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EUCHARISTIQUES (ACCIDENTS)


retour miraculeux des substances transsubstantiées, et comme injustifiée la création d’une matière nouvelle, S. Thomas, Sum. theoL, III', q. lxxvii, a. 5. alors que son illustre devancier, Alexandre de Halés, avait encore admis le retour, soit de la substance, ou du moins de la matière primitive : sicut dicitur de columba, in qiia appariiit Spiriius Sanctus, Matth., iv, dicitur enim qiiod peracto oIJicio suo in præiacenlem naturam rediii (unde siwjpta est) similiter dicitur de slella magorum, quæ peraclo o’Jicio, mox esse desiil, reverlens in præjacentem naturam unde sumpta eral. Et il citait en faveur de cette opinion naïve la Glosse et l’Histoire scolastique de Pierre le Mangeur : Hoc dicitur inGlossa et a Magislro in Hicloria. Sum. Iheol., part. IV, q. x, m. viii, a. 2, § 2, resol., et § 4, resol. Ces incertitudes et ces demi-solutions permettent de mesurer le progrès que le ferme génie de saint Thomas fit faire à la théorie des accidentia sine subjecto : il lui donna cette puissante organisation logique, cette rigueur vigoureuse avec lesquelles elle se présente dans la q. LXXVII de la III « partie de la Somme lliéologique. Ce qu’Alger avait renoncé à comprendre, Thomas l’expliquera aisément, a. 4, 6 ; ce qui était chez le scolastique de Liège conjecture timide, vérité seulement entrevue dans un demi-jour encore douteux, se transformera chez l’ange de l'École en réponse catégorique toujours lumineuse et parfois hardie. Qu’on examine, par exemple, q. lxxx, a. 3, ad 3°'", de quelle vive façon il congédie l’opinion posant que le corps du Christ déserte mystérieusement les espèces, au premier contact d’un animal vil. Lui, si pieusement jaloux d'épargner à la foi chrétienne les railleries des infidèles, il n'éprouve aucune des craintes qui font dire au doux Bonaventure : Vidctur opinio qnæ dicit quod defertur corpus quousquc spccies dejcruntur nimis ampla ; quia tune in ventrem trajiccrcl et in cloacam descenderel quod cnires pise, el si diccremus, hærelici el infidèles déridèrent nos et irridcrent. In IV Sent., 1. IV, dist. XIII, a. 2, q. ii. C’est lui qui développe logiquement dans le sens de la métaphysique réaliste, héritée d’Aristote, la réponse donnée longtemps avant lui, il faut bien le remarquer, au problème des espèces eucharistiques. Chez lui, cette réponse prend les formes d’un système cohérent, où les questions s’amorcent les unes les autres et sont résolues en fonction ù la fois du dogme de la transsubstantiation et d’une philosophie naturelle dont les solutions et les conceptions s’adaptaient sans trop de peine à l’expression de ce dogme et de ses conséquences logiques. Il serait injuste, toutefois, de ne pas reconnaître que ses devanciers lui ont préparé les voies. La solution à laquelle s’arrêta frère Thomas se retrouve en substance chez Alger de Liège, chez l’auteur du Brcvis tractalus de sacramentoallaris, parmi les Œuvres d’IIildebert, édit. Beaugendre, col. 1106, chez Hugues de Saint-Victor, loc. cit. ; Guillaume de Saint-Thierry, De sacram. altaris, c. iii, P.L., t. clxxx, col. 343 ; Robert Pulleyn, Sent, libri oclo, 1. VIII, c. v, P. L., t. clxxvi, col. 966 ; Pierre Lombard, loc. cit. ; S. Martin de Léon, Serm., xxi, in cena Domini, P. L., t. ccviii, col. 839 ; Pierre de Celles, Serm., xxxvi, P. L., t. ccii ; Serm., xxxviii, col. 757 : Sacramenti corlicc operto, écrit ce dernier, corpore sancto Christi reficiam in via ; Pierre de Blois lui emprunte à la fois l’image et la théorie qu’elle est destinée à illustrer : Verilatem crgo rei pcrcipimus sub quodam vclamento speciei, sub quodam corlice sacramenti, Opéra, édit. J. A. Giles, Londres, t. iv, p. 83 ; dans sa lettre cxi., adressée ; Pierre, clerc du roi d’Angleterre, il s’ex]iriuu', toucliant l’eucharistie, dans un langage d’une précision parfaite : Et ut^ gratia exempli, in uno sacramentorum videas abijssum profundissimum et Immano scnsui impcrceplibilem, pane el vino rRANSSUBSTANTiATis virtute verborum cœlestium

in corpus et sanquinem Christi, accidentia quæ prius ibt fueranl, sine subjecto rémanent et apparent. Ibid., t. ii, p. 43. Alain de Lille, dans ses Requise tlKologicæ, groupe autour de l’opinion des accidentia sine subjecto les opinions différentes défendues de son temps ; son texte oiïre ainsi une sorte de synopse de la question, Reg., 117, édit. Jo. A. Mingarelll, Anecd. fasciculus, Rome, 1756, p. 248-249 ; Contra hærct. l. I V, 1. 1, c. lviii, P. L., t. ccx, col. 361 ; Pierre de Poitiers, disciple du Lombard et successeur de Pierre le Mangeur dans l’office de chancelier de l’université de Paris, à laquelle il occupa durant trente-huit ans la chaire de théologie, adopte dans ses Libri sententiarum quinque, l’opinion de son illustre maitre. Dans sa Somme, la méthode scolastique apparaît en progrès : les ad hoc obiicitur sont fréquents. Il discute tour à tour les diverses solutions et éclaire son choix par cette comparaison préalable : Alii vertus dicunt quod panis essentialiler vi verborum fil corpus Christi, luinquam lamen panis ille crit corpus Christi et sunt illa accidentia sine subjecto. Quomodo sit, pênes illum est qui hoc potesf. Sent., 1. V, c. x, P. L., t. ccxi, col. 1242. Les accidents servent à voiler le mystère : Ipsum vero corpus non essentialiler videtur, nisi in sacramento, id est, in forma illa panis exlrinseca, quæ visui se offert velans mijslerium, ibid. ; le corps du Christ est caché sous les espèces : Non videtur corpus Christi, sicut nec manus sub cappa. Ibid., col. 1242. Le cardinal Hugues de Saint-Cher reprendra cette gracieuse comparaison : Nota quod non videmus proprie corpus Christi in allari, scd videmus ipsum velalum : sicut non videmus aliquem qui circumdatus est capa sua. In Epis t. D. Pauli, Opcra, Lyon, 1669, t. vu. On trouvera encore la même solution chez Baudouin de Cantorbéry, P. L., t. cciv, col. 403, 678-680 ; Innocent III, op. cit., 1. IV, c. IX ; Guillauiue de Paris, op. cit., t. i, p. 434. Chez ce dernier, plusieurs questions dénotent un progrès marqué. Comme Alain de Lille, il semble admettre qu’un accident peut servir de sujet à un autre : Quædam sunt accidenliaquæ pcr atia accidenlia insunt subjectis : quædamquæ non per alla. A cette seconde classe appartient la bhuicheur, mais, touchant la fraction de l’hostie, il écrit : ibi est jraclio et aliquid est ea fraclum, quia f radio inest substanliæ mediante conlinuitale ; unde cum sit ibi conlinuilas, vere dicitur quod ibi est fraclum aliquid fractione illa. In IV Sent., tr. V ; édit. François Regnault, Paris, fol. 19. Il discute longuement la question de savoir si les accidents peuvent nourrir ; il est très catégorique surtout sur la thèse essentielle : Secundum naturam sunt ibi accidenlia sine subjecto : ut color, sapor, rotundilas et Inijusmodi. Hoc autem est supra naturam, sed non supra intelleclum : quia inlctlectus bene intelligit accidentia sine sub ; eclo : potentior enim est Deus in opérande quam intelleclus in intelligendo. Ibid., fol. 18. Les accidents voilent le corps du Christ, celui-ci n’est qu’indirectement visible : videtur lamen secundum quid, quia videtur velalum. Voir une main gantée n’autorise pas à affirmer sans restriction qu’on voit une main : Sed non scquitur : ergo videtur, sicut non sequitur : iste vidcl manum cirothecatam islius : ergo videt manum islius. Ibid., fol. 19. Nous aurions, sans nul doute, rencontre des théories analogues dans les Sommes du magister Prsepositinus et de Roland de Crémone, le premier maître de l’ordre dominicain, à l’université de Paris, vers 1229, et qui devait, plus tard, se montrer hostile à saint Thomas. Malheureusement, leurs Sommes demeurent toujours inédites. Il importait de signaler cette tradition scolaire qui, sans interruption notable ; va d’Alger de Liège à Thomas d’Aquin.

Albert le Grand, dont saint Thomas ne fera que développer les principales solutions, sera vraiment en droit d'écrire : Cum igitur secundum opinionem celé-