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EUCHARISTIQUES (ACCIDENTS


s’écarte pas, sur la question des espèces eucharistiques, de l’enseignement commun de son temps. On s’en convaincra en lisant la question xxii « de son lY^ Quolibet. On y trouvera la thèse purement thomiste : la quantité, quia immediatius adhærel mater iæ et substantiæ, magis participai modum substantiæ, ut per se esse possit : non tamen ila perfecte habet modum substantiæ sive participât, quod sic per se esse possit virtute naturali, secl virtute divina ipsam sine subjecto conservante. Ibid., p. 299.

On s’attend bien à ce que des thomistes fervents, tels que Gilles de Rome, Pierre de Tarent aise, répètent sur la question l’essentiel de la synthèse thomiste. Il en est de même de l’auteur inconnu du Sententiaire qui porta longtemps pour titre : Sancti Thomse ab Aquino scripta ad Hannibaldum episcopum super quattuor libros Sententiarum ; il ne contient qu’un résumé de l’écrit authentique du saint sur les Sentences ; nous croyons, avec le P. Mandonnet, que cet écrit est du cardinal Anibald lui-même ; mais il a été faussement attribué au docteur angélique bien longtemps avant 1560, puisqu’il a été imprimé avec cette fausse attribution dans l’édition de Bâie, 1492. Cf. Revue tliomisie, mai -juin 1910, p. 298. Gilles de Lessines, un autre thomiste, mentionne en passant, l’opinion commune dans son De unitate formæ, composé en 1278. De Wulf, Le traité De unitate [ormæ de Gilles de Lessines, dans Les philos, belges, Louvain, 1901, p. 15. Le docteur résolu ne s’écarte pas notablement des thèses traditionnelles. Il traite à part, comme avait fait déjà saint Thomas, In IV Sent., 1. IV, dist. XII, q. I, le proplème purement philosophique, celui que Maimonide et la proposition frappée par l’évêque de PariS en 1276 tranchaient par la négative : IJtrum Deus possit facere quodlibct accidens sine subjecto. On remarquera le quodlibel ; de saint Thoma « à Durand de Saint-Pourçain, les problèmes vont s’élargissant et se dilatent en quelque sorte par intussusception de questions nouvelles. Durand distingue entre les accidents absolus et les accidents relatifs, les premiers séparables, les seconds inséparables d’un support substantiel ; le nombre, la multitude, n’étant que des modes des substances, sont inséparables ; le changement local est inséparable de son sujet immédiat, la quantité ; le mouvement d’altération l’est pareillement de la qualité altérée. Pour Durand, la qualité est aussi séparable de la quantité que celle-ci l’est de la substance. Les nominalistes se^ souviendront de cette opinion de Durand, lorsqu’ils nieront que les accidents eucharistiques ont pour sujet immédiat la quantité et qu’ils multiplieront les subsistances miraculeuses en posant que les qualités subsistent chacune avec sa quantité propre, différente de celle de la substance convertie au corps du Christ. Ils oublieront ainsi un principe excellent, posé déjà par Henri de Gand, Quodl., VIII, q. XXXVI, appliqué tacitement par saint Thomas, Sum. theol., III » , q. lxxvii, a. 5, le principe d’économie en matière d’interventions surnaturelles : Semper enim, dit le docteur solennel, qui s’appuie ici sur saint Augustin, quod potest poni absque miraculo in lalibus, melius est ascribere naturie omnino quam miraculo omnino, cail parlim ncduræ et partim miraculo, et ce lui est un motif pour afllrmer que les espèces, en se corrompant, peuvent donner naissance à des vers, sans un retour miraculeux de la matière transsubstantiée. Durand toutefois ne rejette pas la thèse thomiste : Qualitates manentes in hoc sacramento sunt id ipsum quod prius erant et in eodem subjecto proximo sunt in quo prius erant, scilicet in quantitate. Il interprète à sa manière le principe de saint Thomas : Accidentia remanentia retinent actionem substantife, loc. cit., a. 8, en attribuant à Dieu la causalité principale dans la production de la substance, due à l’ac tion des qualités sacramentelles : Si ergo introducatur forma substantialis, oporlet quod hoc sit concurrente actione divina, vel potius hoc principaliter faciente. Et il reste fidèle à son principe, ce qui l’oppose ici à Henri de Gand et à saint Thomas : si les espèces eucharistiques nourrissent, si en se corrompant elles engendrent des substances nouvelles, c’est grâce à un retour ou à une production miraculeuse d’une matière : Oporlet quod de novo ibi fiai materia, virtute divina ad hoc, ut fiât nutritio. Saint Thomas suppose que la quantité des espèces eucharistiques peut être naturellement détruite par division de parties, loc. cit., a. 5, in corp. et ad S"™ ; pour Durand, la destruction de la quantité ne peut être que miraculeuse ; il ne faut pas craindre de parler d’annihilation : Nec est hoc apud Deum inconveniens, quod aliquid per eum cedat in nihilum, sicut omnia per ipsum fada sunt ex nihilo. Cette phrase prend des allures de défi pour qui sait le religieux respect avec lequel ses devanciers avaient répété l’axiome de saint Augustin : Deus non est causa tendendi in non esse. S. Thomas, Sum. theol., III’, q. ixxv, a. 3. On y reconnaît le génie indépendant de celui qui osa écrire dans sa préface au commentaire des Sentences : Nos igitur plus rationi quam aucloritati humanæ consenlienles, nullius puri hominis autlioritatem rationi præferimus.

Pierre de la Palu, le dernier thomiste de cette période dont nous nous occuperons, traite plus largement encore la question purement philosophique. Toute la q. n > de la dist. XII est consacrée à l’examen de la séparabilité des diverses espèces d’accidents : absolus, relatifs, quantité discontinue et continue : le temps et le discours (oratio) sont-ils séparables ? Même discussion par rapport ans. accidents permanents et successifs, aux diverses espèces de la qualité. C’est une revue complète des catégories aristotélicennes de l’accident. Du Boulay et saint Antonin avaient raison, le premier en décernant à Paludanus le titre de disputator acutus. le second en recommandant la lecture de son commentaire au III « et au IV <> livre des Sentences, comme une excellente école de casuistique. Sur le point essentiel, de la Palu est net et précis : Respondeo : communis opinio omnium catholicorum est hic esse accidentia sine subjecto. Il propose ensuite trois exphcations différentes de la thèse qui, toutes, concordent dans la négation de la présence de la substance comme substrat naturel des accidents. La première, très originale, semble appartenir à Godefroid de Fontaines. Au moins, l’édition du commentaire au IV « livre des Sentences de Pierre de la Palu, publiée à Salamanque en 1552, porte-t-elle ici, en marge, une référence au Quolibet VIII « de Godefroid, q. XVII*’, appartenant malheureusement à la partie de l’œuvre de Godefroid restée inédite. D’après cette opinion, les accidents du pain et du vin demeurent inhérenls, non à l’essence, mais à l’existence du pain et du vi ! i, qui persiste après la transsubstantiation. On entrevoit le rapprochement possible avec l’explication donnée par les thomistes de l’union des deux natures dans le Verbe dont l’existence demeure unique ; l’auteur de cette opinion, quel qu’il soit, en tirait argument, à ce qu’il paraît : Sed videtur magis factibile esse sine essentia, quame converso. Sed Deus in incarnatione Verbi fecit essentiam humanitatis sine suo esse. Ergo multo magis potest hic facere esse substantiæ panis sine essentia, ut sicut est ibi assumpta essentia, non autem esse et non manet : sice converso hic conversa potest esse essentia et non manel, et non conversum esse manebit. Nous serions vivement surpris que cette opinion ait appartenu à Godefroid, qui passe communément pour un adversaire déclaré de la distinction réelle de l’essence et de l’existence. La seconde opinion, attribuée par la référence marginale à Henri de Gand, .