ment intentionnelle ou impérative, qui forme le fond (lu système sacramentaire du cardinal Billot ; elle ne peut avoir son ajjplication que dans l’ordre des signes, et ce n’est pas le cas du feu de l’enfer. Quel que soit donc le terme produit par l’action du feu de l’enfer dans les esprits réprouvés, il y a deux manières de concevoir le mode de cette action : ou bien c’est une causalité pliysique, par laquelle, immédiatement, directement, grâce à la vertu instrumentale que Dieu lui communique, le feu atteint l’esprit réprouvé ; ou bien c’est une causalité morale, qui fait intervenir Dieu immédiatement, dès l’instant où le feu est appliqué au damné. Quel que soit d’ailleurs la conception que l’on retienne, la seconde question concernant ce qui est produit par le feu dans le réprouvé reste entière, tout comme la question de la nature de la grâce est indépendante du mode de causalité des sacrements.
II. ACTiox.
1° Sur les esprits ou âmes séparées.
La difllculté de l’action du feu matériel atteignant les
esprits a, de tous temps, frappé les philosophes et les
théologiens catholiciues. Nous avons vu plus haut,
col. 2207 sq., comment, dans les premiers siècles, plusieurs Pères simplifiaient cette difficulté en attribuant
des corps éthérés aux esprits, et en reculant jusqu’après
la résurrection la peine du feu pour les âmes des damnés. Dans cette hypothèse, fausse d’ailleurs, le feu
n’atteindrait l’esprit que par le moyen du corps. On
trouve encore quelques vestiges de cette doctrine au
moyen âge. Voir col. 2208. A cette époque également,
plusieurs théologiens, dont saint Thomas ne nous
livre pas les noms, reprennent l’explication de saint
Augustin. Voir col. 2228. Le feu est réel, mais n’agit pas
directement sur l’esprit réprouvé. Celui-ci est en proie
â des visions imaginaires, comme il en arrive dans les
songes ; et ainsi, ex visione aliquorurn terribilium quæ
se perpeli vident veracitcr affliguntur ; licet eu a qnilnis
nfjliyuntur, non sint vera corpora, sed similitudines
corporum. De anima, a. 2L Cf. De verilale, q. xxvi, a. 1.
Bien que saint Thomas reconnaisse dans cette explication l’opinion probablement professée par saint
Augustin, De ueritalejoc.cit., il élude, ad4"'n ; /)e anima,
loc. cil., ad 19'"", cette autorité, aflirmant que saint
Augustin a parlé, non determinando, sed inquircndo, et
il en réfute en quelques mots la doctrine, quia, dit-il,
est ostensum, quod potentiæ sensitivæ partis, inter quas
est vis inuujinativa, non manent in anima separata.
De anima, loc. cit. D’ailleurs, une telle hypothèse
aboutit à la négation pure et simple de l’action du feu
sur les esprits. Or, la question se pose ainsi : comment
le feu matériel peut-il atteindre un esprit pur, tel que
le démon ou l'âme séparée ? Tous les théologiens, à
partir de saint Thomas, sont d’accord pour reconnaître que cette action de la matière sur l’esprit est
impossible naturellement ; ce n’est que parce qu’il est
élevé par la puissance divine et appliqué par elle à la
production d’un effet voulu par Dieu, que le feu peut
agir sur les intelligences. Et son action ne pourra être
que correspondante à la nature spirituelle des êtres
qu’elle atteint : tel est le principe admis par tous.
Mais, lorsqu’il s’agit de déterminer d’une façon précise la nature de cette action, deux grands courants partagent le champ des opinions théologiques. Ou bien l’effet produit par le feu est considéré comme appartenant à l’ordre de la connaissance intellectuelle, et alors le feu n’agit sur les esprits réprouvés que parce qu’il est objectivement perçu ou conçu comme nuisible, ayit objective tanquam ccuisa apprchensionem inlcllectus. Ou bien, en plus de cette perception de l’intelligence, il faut admettre un effet préalable, une modilication qui le crucifie réellement : agit ponens ici’iEirnvF aliquid’phijsicum in spiritu, quod sit illi mediim et disconveniens. Action purement objective ; action objective et effective, tels sont les deux points
centraux autour desquels se groupent tous les systèmes. Jean de Saint-Thomas, loc. cit.
Le tableau synoptique suivant sera utile pour éclairer la marche de nos explications :
1. Action piirentent objective :
a) Soit parce que le feu rappelle au réprouvé le bonheur éternel perdu (Durand de Saint-Pourçain, Arrubal) ;
b) Soit parce que le feu csl perçu comme nuisible, quoiqu’en réalité il ne puisse atteindre les esprits (Albert le Grand, saint Bonaventure, Gilles de Rome) ;
c) Soit parce que le feu est perçu comme nuisible, en ce qu’il fixe l’intelligence du réprouvé dans sa perception (Richard de Middletown, Occam, Biel, Duns Scot, Grégoire de Valence).
2. Action pligsiqiie effective :
a) Soit parce que le feu produit un véritable enchaînement de l’esprit, alligatio (saint Thomas, et la plupart des thomistes) ;
6) Soit parce que le feu produit de plus une qualité particulière qui crucifie l’esprit (Vasquez, Suarez) ;
c) Soit parce que le Icu excite dans l’esprit la même sensation de douleur que s’il était uni au corps (Henri de Gand, Dominique Soto, .larcon, Lessius, Tolet, etc.).
Il nous faut maintenant reprendre une à une ces différentes théories, dont le tableau précédent vient brièvement de mettre en relief les divergences.
1. Action purement objective.
a) La théorie que Durand de Saint-Pourçain, In IV Sent., 1. IV, dist. XLIV, q. x, a esquissée timidement et avec réserve, voir Salmanticenses, Cursus tlieologicus, Paris, 1877, t. VIII, p. 410, et que le jésuite Arrubal, voir 1. 1, col. 1991, a formulée d’une façon plus nette. In /^n » Sum. tlieoL, disp. CL IX, c. i, tout en admettant la réalité objective du feu infernal — et c’est ce qui la distingue de l’opinion erronée du feu métaphorique — revient à nier la réalité de la peine du feu, comme tel. Que Dieu fasse du feu de l’enfer, comme le veut Arrubal, l’instrument dont se sert sa justice pour exciter dans les esprits réprouvés le regret et la douleur de la perte du ciel, cela n’ajoute rien à la peine du dam. Aussi, sans être absolument condamnable, puisqu’elle maintient la réalité du feu, cette opinion est néanmoins périlleuse et, à ce titre, doit être rejetée.
b) Plus sérieuse est l’opinion de ceux qui placent la peine du feu dans la perception du feu, par l’intelligence du réprouvé, comme d’un élément nuisible. Cette opinion avait déjà cours avant saint Thomas, puisque le Supplément de la Sonmw en fait mention, q. Lxx, a. 3 : Quidcurt dixcrunt quod hoc ipsum quod est ignem vidcre, sit cmimam ab igné pedi : unde Gregorius, in IV Dial., c. xui, dicit : Ignem eo ipso patitur anima quo videt. « Mais, s’empresse d’ajouter le saint docteur, cette explication n’est pas suffisante. En effet, la chose vue constitue par cela même une perfection de celui qui la voit ; elle ne saurait donc, parce que vue, lui être une peine ; mais elle peut accidentellement devenir afflictive ou contristante, parce qu’on la conçoit comme nuisible. Il faut donc que l'âme, non seulement voie le feu de l’enfer, mais qu’elle le conçoive, en le rapportant à elle-même, comme son mal. » Expliquer comment l’intelligence perçoit le feu comme nuisible et cruci liant pour elle-même, sans que cependant celui-ci agisse sur ladite intelligence autrement que comme objet de connaissance, c’est ce qu’essaient de différentes manières Albert le Grand, In IV Sent., 1. IV, dist. XL IV, a. 34 ; saint Bonaventure, In IV Sent., 1. IV, dist. XLIV, p. II, a. 3, q. ii ; Gilles de Rome, Quodl., II, q. ix ; IV, q. xv ; Richard de Middletown, Duns Scot, Occam et Gabriel Biel, ou plutôt le supplément de son commentaire sur le Maître des Sentences, pour ne nommer que les principaux. Mais tandis que les trois premiers supposent expressément ou équivalemment une erreur de jugement dans l’appréhension des esprits réprouves, les quatre derniers tentent une