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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 5.2.djvu/84

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EUDES


Cæii, dont il élait devenu supéiieur en 1640. Rien n'était plus conforme aux vues du cardinal de Bérulle et du P. de Condren. Le Bienheureux eut pourtant la douleur de voir sa demande rejetée.

C’est alors que la pensée lui vint de fonder une société nouvelle, qui ferait de la formation des clercs dans les séminaires son œuvre principale. Il y fut encouragé par le cardinal de Richelieu et par un grand nombre de personnages d’une expérience et d’une sainteté reconnues. Sûr alors de faire la volonté de Dieu, il quitta l’Oratoire et fonda à Cæn, le 25 mars 1643, la congrégation de Jésus et Marie, qui commença dès lors à travailler à la formation des ordinands.

Une violente opposition ne tarda pas à se déchaîner contre la société naissante. A Cæn, à Versailles, à Rome, les ennemis du Bienheureux eurent recours à tous les moyens pour ruiner son œuvre. Ils étaient puissants, et plus d’une fois ils furent sur le point de réussir. C’est ainsi qu’en 1650 ils eurent assez d’influence sur l'évêque de Bayeux pour faire fermer la chapelle du séminaire de Cæn, qui ne fut rouverte que deux ans plus tard. C’est ainsi encore qu’en 1674, ils réussirent à indisposer Louis XIV contre le P. Eudes, ce qui mit son œuvre à deux doigts de sa ruine. Malgré cette opposition tenace, la congrégation de Jésus et Marie se consolida peu à peu, et le Bienheureux eut la joie, non seulement de voir prospérer le séminaire de Cæn, mais d'être appelé à en fonder d’autres, à Coutances (1650), à Lisieux (1653), à Rouen (1658), à Évreux (1667) et à Rennes (1670).

Missions.

La direction des séminaires ne suffisait pas à occuper l’activité de P. Eudes. Au début,

elle ne consista guère qu'à préparer les ordinands à la réception des saints ordres par ce qu’on appelait les Exercices des dix jours. Dans l’intervalle, le Bienheureux put donc continuer à prêcher des missions.

Il avait pour ce genre de ministère des aptitudes hors ligne. Il possédait, en effet, à un haut degré, toutes les qualités qui font l’orateur : un air noble et majestueux, une voix souple et sonore, un regard expressif, une imagination forte et riche, une étonnante facilité de parole, un caractère ardent et impétueux. A ces dons naturels s’ajoutaient chez lui un zèle admirable pour la gloire de Dieu et le salut des âmes, une immense compassion pour les pécheurs, et tout le prestige que donne une sainteté un versellement reconnue. Aussi ses succès furent-ils prodigieux.

Partout où il parut, le zélé missionnaire groupa autour de sa chaire des foules considérables. Les églises étaient trop étroites pour les contenir et souvent le prédicateur fut obligé de parler en plein air. Le Bienheureux atteste lui-même que, durant la mission qu’il prêcha à Valognes, en 1643, on évalua un jour à 40 000 le nombre de ses auditeurs. Une lettre de saint Vincent de Paul nous apprend d’autre part que, si grande qu’elle fût, la cour des QuinzeVingts ne suffisait pas à contenir la foule qui venait entendre les prédications du P. Eudes pendant la mission de 1660.

L'éloquence du Bienheureux exerçait sur ces multitudes une action vraiment étonnante. « Ses sermons sont des foudres, disait M. de Renty : ils ne donnent aucun repos aux consciences qu’elles ne se soient ouvertes de leurs péchés secrets, en sorte que les confesseurs travaillent plus à consoler qu'à émouvoir. » Plus d’une fois, des faits extraordinaires vinrent montrer jusqu'à quel point l’auditoire était touché. Un jour, par exemple, pendant que le célèbre missionnaire prêchait sur les rigueurs de la justice divine, il fut interrompu par les clameurs de l’auditoire qui s'écria tout d’une voix -.'Miséricorde, mon Dieu, misé ricorde ! Depuis saint Vincent Ferrier, on n’a pas vu de missionnaire, du moins en France, qui ait exercé autant d’action sur les foules.

Le P. Eudes était accompagné dans ses missions par un grand nombre d’ouvriers apostoliques, qui n’appartenaient pas tous à sa congrégation, mais qui s'étaient formés à son école. Parfois il en emmena avec lui jusqu'à vingt-cinq, et même davantage. Les missions qu’il prêchait comportaient une grande variété d’exercices, et duraient au moins six semaines. Quelques-unes même durèrent beaucoup plus longtemps. Ainsi celle de Rennes commença avec l’Avent de 1669, pour ne finir qu’après le dimanche de Quasimodo 1670. On conçoit que de pareilles stations aient produit des fruits immenses et renouvelé des villes entières.

Le Bienheureux travailla à l'œuvre des missions jusqu'à la fin de sa vie. Ses biographes affirment qu’il n’en prêcha pas moins de 110. Il en donna trois à Paris : une à Saint-Sulpice en 1651, une autre aux QuinzeVingts en 1660, et la troisième à Saint-Germain-des-Prés également en 1660. Il eut même l’honneur d'être appelé par Louis XIV à prêcher une mission à Versailles (1671), et une autre à SaintGermain-en-Laye (1673). Les missions les plus célèbres qu’il fit en province sont celles de Cæn (1639, 1665), de Rouen (1642, 1667), de Valognes (1643), d’Autun (1648), de Beaune (1648), de Coutances (1641, 1651), de Lisieux (1653), de Saint-LÔ (1642, 1657), de Meaux (1664). de Châlons-sur-Marnc (1665), d'Évreux (1667) et de Rennes (1670).

Dans les missions de Versailles et de Saint-Germainen-Laj’e. ainsi que dans celles qu’il prêcha à Paris, le P. Eudes eut souvent l’occasion de parler aux grands de la terre. Il le fit toujours en homme de Dieu et avec la plus entière liberté. Un jour même il parla avec tant de hardiesse à la reine Anne d’Autriche que le bruit courut qu’il allait être mis à la Bastille. La reine, qui en fut informée, prit la défense du prédicateur et fit son éloge. « Vraiment, dit-elle, on me croit bien méchante de dire que j’ai fait mettre à la Bastille un prédicateur qui prêche ce qu’on doit prêcher, et dont j’ai beaucoup de satisfaction. »

4° Établissement du cuite public des Sacrés Cœurs de Jésus et de Marie. — Tout en fondant des séminaires et en se dépensant dans le rude labeur des missions, le B. Jean Eudes travaillait activement à propager la dévotion des Sacrés Cœurs de Jésus et de Marie. Avant lui, cette dévotion était le privilège de quelques âmes d'élite, qui la pratiquaient dans le secret de leur vie privée. A vrai dire, elle n’existait guère qu'à l'état de tendance. Le P. Eudes est le premier qui en ait fait une dévotion précise et vivante, en en déterminant l’objet et la pratique et en instituant des fêtes qui devaient la rendre populaire.

Les causes qui amènent le Bienheureux à se faire l’apôtre de la dévotion aux Sacrés Cœurs sont assez nombreuses. L’habitude qu’il avait prise à l’Oratoire d’honorer les dispositions intérieures de Jésus et de Marie l’y préparait déjà. L'étude des Révélations de sainte Gertrude et surtout de sainte Mechtilde y fut certainement pour beaucoup, comme le prouvent les écrits du pieux apôtre. La lecture du Traité de l’amour de Dieu et des Lettres de saint François de Sales y contribua également. Mais la cause principale fut évidemment un attrait particulier de la grâce. Il est possible aussi que le Bienheureux ait reçu directement du ciel la mission d'étabUr le culte des Sacrés Cœurs ; mais sur ce point on ne peut rien affirmer de certain.

Quoi qu’il en soit, dès 1641, le P. Eudes dédia au Cœur de Marie l’ordre de Notre-Dame de Charité qu’il venait de fonder. En 1643, il dédia également au Cœur