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ERREUR DOCTRINALE


manière imparfaite, en sorte que l’intelligence, par cet acte de la pensée, puisse atteindre la vérité, sans pour cela connaître son objet, en tant qu’il est vrai. En elTet, l’idée, par elle-même, représente l’essence des choses ; d’où il résulte qu’elle doit être conforme avec cette essence même, c’est-à-dire qu’elle possède, en quelque sorte, la vérité. Mais, comme par l’idée seule l’intelligence ne connaît pas sa convenance avec son objet, il s’ensuit que la vérité logique ne saurait appartenir proprement et parfaitement à cette simple représentation, sans qu’intervienne l’acte du jugement.

Toutefois, si, dans un certain sens, la vérité se rencontre dans la simple appréhension de l’esprit, ou dans l’idée, l’erreur n’y existe point par elle-même, per se, ou directement. Car aucune faculté ne peut se tromper touchant son objet propre ; mais l’intelligence, par la simple idée, perçoit l’essence des choses, ce qui constitue d’ailleurs son objet propre. Il faut donc conclure que l’idée, prise en elle-même, n’est pas accessible à l’erreur, et qu’on doit réprouver l’opinion de ceux qui, avec le philosophe Laromiguière, Leçons de philosophie, Paris, 1835, leçon x, t. ii, p. 298, pensent que les idées sont tantôt vraies et tantôt fausses. Mais si nous disons que l’idée, par elle-même et par sa nature, ne peut être sujet de l’erreur, nous ne nions pas qu’accidentellement, per accidens, elle ne soit parfois erronée, en raison même d’un jugement qui s’y trouve accidentellement impliqué. Or, cela peut avoir lieu de deux manières : d’abord, d’une façon occasionnelle, lorsque l’idée devient l’occasion d’un jugement faux ; c’est ainsi que l’idée d’un centaure peut fournir l’occasion de ce jugement : les centaures existent ; ensuite, d’une façon présupposée, en tant que l’idée apparaît comme le fruit d’un jugement faux qui a été porté antérieurement, et qu’elle peut également devenir la cause matérielle d’un jugement erroné subséquent. — Ce que nous avons dit de l’idée peut également se dire de la sensation : une sensation, en efiet, ne saurait être erronée par elle-même ; elle est nécessairenient ce qu’elle doit être, étant donnés l’action de l’objet extérieur et l’état de nos organes ; l’erreur ne peut donc résider que dans l’interprétation de la sensation, ce qui, en définitive, est un jugement. En outre, la sensation peut être dite erronée d’une manière accidentelle, per accidens, en tant qu’elle peut servir d’occasion à un jugeinent faux : telle est, par exemple, la vue d’un bâton droit qui, immergé partiellement dans l’eau, donne l’illusion d’être brisé ; encore que cette sensation soit vraie, puisque l’objet auquel elle se trouve rapportée est bien l’apparence d’un bâton brisé, elle peut induire l’intelligence à juger faussement que le bâton est en réalité divisé en deux parties.

Ainsi donc, le véritable sujet de l’erreur est le jugement ; et l’erreur peut se définir d’une manière plus précise : « un désaccord positif entre nos jugements et leur objet » . En effet, le jugement suppose essentiellement la comparaison d’un sujet avec un attribut, desquels il affirme la convenance ou l’opposition ; or, en établissant cette comparaison, ou, pour mieux dire avec saint Thomas, en « composant » ou en « divisant » le sujet et l’attribut, l’esprit peut facilement se tromper et conclure à une affirmation erronée. Loc. cit., a. 3. Aussi bien « l’expérience atteste que nous nous trompons de trois manières sur la réalité ou la vérité des choses : 1° en attribuant à un sujet une note qu’il n’a pas ; ou 2° en niant de lui une note qu’il a ; ou enfin 3° en transportant à l’ordre réel le sujet lui-même, quand celui-ci n’existe que dans l’ordre idéal. Or, dans ces trois cas, il y a désaccord entre la pensée et son objet, et ce désaccord se vérifie dans un jugement. Donc l’erreur est constituée par un pareil

désaccord, et elle se trouve dans le jugement. » Castelein, op. cit., p. 232. Observons toutefois qu’en disant que l’erreur est dans le jugement seul, nous opposons au jugement l’idée, mais non le raisonnement, qui n’est pas autre chose qu’un ensemble de jugements. En outre, nous n’entendons point dire que le jugement soit par lui-même, et par sa nature, sujet de l’erreur, car, autrement, il faudrait conclure que l’intelligence se tromperait vis-à-vis de son objet propre et formel qui doit toujours être la vérité, ou au moins l’apparence de la vérité ; et il faudrait ainsi supposer un désordre essentiel dans la nature humaine. Si donc le jugement devient sujet de l’erreur, c’est seulement par accident et en vertu d’une cause étrangère à l’intelligence qui fait que celle-ci croit voir la vérité là où elle n’est qu’apparente et n’existe pas en réalité. Cf. Willems, op. cit., p. 116 sq. Nous verrons plus loin quelles sont les causes qui peuvent influencer ainsi notre esprit, au point de l’induire en erreur et de provoquer des jugements erronés.

3 » Degrés. — L’erreur, ainsi que la vérité, peut être examinée dans son objet formel et dans son objet matériel. L’objet formel de la vérité et de l’erreur est ce qui la constitue dans son caractère propre et distinctif d’être ou vérité ou erreur. Or, le propre de la vérité est d’être un accord, une équation entre la pensée et son objet, tandis que le propre de l’erreur est d’être un défaut d’équation, un désaccord positif entre la pensée et son objet. L’objet matériel de la vérité et de l’erreur, c’est toute l’extension des notes que l’esprit perçoit, et sur lesquelles porte cette équation ou ce désaccord. En outre, la vérité et l’erreur peuvent être considérées subjectivement, c’est-à-dire en raison de la fermeté plus ou moins grande de l’assentiment vrai ou erroné de l’intelligence.

Ces remarques préliminaires étant faites, nous disons que la vérité n’admet pas de degrés dans son objet formel, parce que l’équation qui la constitue est indivisible, mais elle admet des degrés dans son objet matériel, parce que, dans l’acte de sa perception, l’intelligence peut se mettre en équation et en accord avec plus ou moins de notes de son objet, selon le degré même de sa compréhension ; enfin la vérité, subjectivement prise, admet, elle aussi, des degrés selon le mode divers dont elle existe dans les différents actes de l’esprit qui sont la simple appréhension ou l’idée, le jugement et le raisonnement, car, tandis que la vérité logique n’existe qu’imparfaitement dans l’idée, elle existe d’une manière parfaite dans le jugement et le raisonnement. Quant à l’erreur, elle a des degrés dans son objet matériel et dans son objet formel, ainsi que subjectivement prise. En effet, tout d’abord, l’erreur a des degrés dans son étendue, c’est-à-dire qu’elle peut affecter plus ou moins de notes de l’objet qui est connu ; elle a également des degrés dans son intensité, c’est-à-dire que, par rapport aux mêmes idées, elle peut être plus ou moins grande ou intense, et le désaccord positif de l’esprit peut constituer un éloignement plus ou moins grand de l’équation elle-même qui est la vérité : par exemple, dire de Pierre qu’il est un être sans raison, ou bien qu’il est simplement malade, etc. Enfin l’erreur, subjectivement prise, comporte aussi des degrés selon que l’assentiment faux de l’intelligence est plus ou moins ferme, et qu’ainsi l’erreur est plus ou moins difficile à guérir, par exemple, en raison de la vivacité de l’esprit, du caractère, des motifs ou des circonstances. Cf. Castelein, op. cit., p. 241 ; Willems, op. cit., p. 119 sq.

Différentes espèces.

Dans l’acte du jugement et

dans le raisonnement, l’erreur peut provenir du fond ou de la forme. L’erreur vient du fond lui-même, lorsqu’on prend pour vraies et pour certaines des pré-