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ESCLAVAGE


Louis Gucrin, envoyé en 1645 par saint Vincent de Paul, et Jean le Vacher, qui devait ctre mis à la bouche d’un canon avec vingt-deux chrétiens, en 1C82, avec eux le frère Barreau et le frère Francilien furent très zélés, soit qu’il s’agisse de procurer la délivrance des captifs, soit qu’il s’agisse d’assurer leurs intérêts spirituels. Dans les instructions données parles supérieurs à ceux qui passaient en Barbarie, revient ce motif : « Cet emploi est un des plus charitables que l’on puisse faire sur la terre. Pour s’en acquitter dignement, ils doivent avoir une pleine dévotion au mystère de l’incarnalion, par lequel Notre-Seigneur est descendu sur la terre pour nous tirer de l’esclavage où l’esprit malin nous tenait captifs. » Mém. de la congr. de la Mission, t. ii, p. 274. L'Église ne parle pas autrement dans l’oraison de saint Pierre Nolasque : Deus qui in tuæ caritatis exemplum…

Même esprit de foi chez les laïques. Dans la donation du 20 mai 1647, faite par la duchesse d’Aiguillon pour « entretenir à Alger, Tunis et autres lieux de Barbarie, où il y a des chrétiens esclaves, un prêtre de la ditte mission, » on indiquait ce qui avait inspiré cette aumônerie des esclaves : « Ayant madite Dame Ducliesse désiré lu présente donation à l’intention d’honorer Notre-Seigneur Jésus-Christ étant venu en la terre pour tirer les hommes hors de la misère du péché et les réconcilier à Dieu son Père, les ayant rachetés par son sang et par sa mort. » Mém. de la Mission, t. ii, p. 148.

La relation de 1671 cite un Espagnol, don Louis de Pedrola, qui, ayant réalisé sa fortune, vint luimême à Alger avec 16 000 livres pour racheter des captifs. Un bourgeois de Paris, qui ne voulait pas être connu, donna à M.Vincent une somme deSOOOO livres, pour être placées en rentes sur l’hôtel de ville, et dont le revenu devait être employé à l’assistance et rédemption des esclaves chrétiens. Maynard, Vie de S. Vincent de Paul, t. i, p. 424.

Parmi les personnages les plus célèbres qui connurent cette servitude chez les Turcs, on relève, dans les illustres captifs du P. Dan, deux généraux des trinitaires : Robert Gaguin et Nicole ; un général des minimes : François Presto. Tous ces noms disparaissent devant celui de saint Vincent de Paul, captif de 1605 à 1607. Plusieurs de ses prêtres furent eux aussi mis à la chaîne : Jean le Vacher à plusieurs reprises, et M. Poissant en 1741.

La captivité.

Toutes les relations ont décrit

la vente qui suivait l’arrivée du captif. « Leur procédeure à nostre vente, dit saint Vincent de Paul, feust qu’après qu’ils nous eurent despouillez tout nuds, ils nous baillèrent à chascun une paire de brayes, un hocqueton de liii, avec une bonete, nous promenèrent par la ville de Thunis…, les marchands nous vindrent visiter tout de mesme que l’on faict à l’achat d’un cheval ou d’un bœuf, nous faisant ouvrir la bouche pour visiter nos dents, palpant nos costes, sondant nos playes, et nous faisant cheminer le pas, troter et courir, puis tenir des fardeaux, et puis luter pour voir la force d’un chacun, et mile autres sortes de brutalitez » (24 juillet 1607). Maynard, Vie, t. I, p. 38. « Or, ces esclaves de l'État ou des particuliers étaient réduits à un 'sort horrible : travaux excessifs, nourriture insufiisantc, court sommeil dans d’affreux bouges ; injures et châtiments abominables, voilà pour le corps ; impossible de dire les tortures de l'âme, les outrages à la vertu, et les persécutions infligées à la foi. » Mém. de la Mission, t. ii, p. 14.

Un captif, le sieur Mouette, affirme : « J’ai vu surtout dans Salé des esclaves attachés à la charrue avec des ânes ou des mules, et contraints par la faim de manger de l’orge avec ces animaux. » Relation, 1683, p. 116. La Relation des Pères de la Merci, 1724, dit :

I « Le roi tue à coups de fusil ceux qui ne travaillent j pas à sa fantaisie. Cf. Relation de Conslanlinople, 1695, dans Carayon, t. xi, p. 248. Voir Dan, Ilisl. [ de Barbarie, 1. V, où sont décrites les peines et les I misères que les Turcs et les Barbares font endurer aux chrétiens qu’ils tiennent esclaves.

La relation de 1662 explique les mauvais traitements : « On leur donne la falaque, ayant la tête contre terre, et recevans sur leurs pieds élevés en haut, et passez dans les trous d’un morceau de bois des centaines de coups de bâton, ou de cordes poissées, ou de nerfs de bœuf. » Le miroir de la charité, p. 65.

Sur l’extrême misère des esclaves, et sur le danger très prochain d’apostasie, tous les témoignages, , quelles qu’en soient la date et la provenance, sont unanimes. « M. le Vacher dit avec raison qu’il voit dans chaque membre de cette Église toutes les misères qu’on trouve dans tous les povres ensemble de la chrétienté, puisqu’il n’j' en a point qui soient si mal nourris, si mal vêtus, si mal couchés, si mal traités, , et par dessus cela, tous dans une tentation continuelle de se faire Turcs comme le seul moyen qu’ils ont de s’affranchir. Mais les filles, femmes et enfants souffrent encore davantage que les autres, car on ne les sollicite jamais, on les bat sans cesse dans les commencements qu’ils sont achetés. » /îe/a/(o/ !, 1671, Mazarine, ms. A. 15 450, n. 14. Cf. Destandres, L’ordre des trinitaires, t. ii, p. 348, n. 243 ; Mouette, Relation, p. 63 ; Mém. de la Mission, t. ii, p. 27.

Le P. Robert Saulger, de Constantinople, le 20 mars 1664 : « Nous allons, tous les dimanches, au grand bagne du grand seigneur, qui est le lieu où il tient ses esclaves, qui montent au nombre de 2 000. L’on y voit de toutes sortes de nations, mais particulièrement des Français… On ne peut s’imaginer le bien que' l’on fait de maintenir dans la foi ces pauvres esclaves, qui ne sont malheureux que pour être chrétiens. » Carayon, t. xi, p. 100.

On conçoit aisément le danger moral que signalait M. le Vacher ; les Mémoires de la Mission contiennent à plusieurs reprises le récit du martyre ou des tourments encourus par ces esclaves qui voulaient garder leur foi ou leur vertu : Antonin de la Paix, t. ii, p. 20 ; deux adolescents, t. ii, p. 84 ; un jeune Marseillais detreize ans, t. II, p. 20 ; un enfant de huit ans, t. ii, p. 161 ; Pierre Borgunjs t. ii, p. 167. Maynard en a cité plusieurs à la fm du ii"vol.de laVie de S.Vincent de Pend. Cf. la relation de 1671.

On comprend aussi que sous des épreuves si cruelles nombre de courages aient fléchi. Il y avait des défections misérables. La relation de 1724 cite un faux béquillard qui se dit guéri par Mahomet et apostasie.Les ordres religieux, qui, à cette même époque, avaient compte en Europe nombre d’apostats, en avaient aussi parmi les esclaves. Sur les renégats, voir Histoire générale, i. iv, p. 752, 820 ; P. Dan, Histoire de Barbarie, 1. IV, où sont comprises plusieurs particularités touchant le renégat.

Vis-à-vis des chrétiens, les renégats témoignaient d’une animosite particulière. A un chrétien qui lui en faisait reproche, un renégat espagnol répondait : « Depuis qu’il avait renié le ^Maître, il ne se souciait plus des serviteurs. » Relation de 1724, p. 255. Beaucoup d’entre eux étaient comme celui qu’avait connu le P. Dan : « l'âme toujours géhennée de la faute qu’il avait faite, et un extrême désir de se sauver en terre de chrétiens, à la première commodité qui s’en présenterait. » Hist. de Barbarie, p. 446.

Fidélités.

 En dehors des martjTS, nombre de

chrétiens étaient fidèles, et plusieurs des apostats se repentaient. M. Guérin écrivait en 1646 : « Cependant ces pauvres esclaves souffrent leurs maux avec une patience incroyable ; ils bénissent Dieu parmi