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ESCLAVAGE

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3° Autre forme de la même objection : « Il eût donc .semblé naturel que le christianisme se préoccupât de faire cesser cette affreuse inégalité. Il eût pu la condamner comme il condamnait l’idolâtrie ou la fornication, et en imposer l’abandon à ses fidèles. » Ch. Guignebert, Tertullien, p. 372.

Outre que ces deux comparaisons ne sont pas justes en droit, il avait été répondu longtemps d’avance : « l’Église chrétienne… a laissé subsister l’esclavage, dont la base est si profondément inique, mais dont le temps avait fait une sorte de droit sur lequel les sociétés reposaient, et qui ne fût pas tombé sans que tout tombât avec lui ; … seulement, le christianisme jette dans.un coin le germe d’un ordre nouveau, il le développe, il le fait grandir, il donne en petit le modèle sur lequel les grandes sociétés doivent se façonner un jour. » Champagny, Les Anlonins, t. ii, p. 132.

4° Mais peut-on dire que l’Église a posé les principes qui devaient affrancliir les esclaves, alors que l’affranchissement a tant tardé ? Il a tardé, non par la faute du christianisme, mais par la faute des chrétiens, et aussi des influences qui ont entravé l’action du christianisme. Nombre d’évêques féodaux n’ont pas eu grand zèle pour l’amélioration du sort des serfs ? C’est possible ; mais l’Église les a subis bien plus qu’elle ne les a choisis. Les évêques dans l’Amérique du xvii<= siècle ont été insuflisants dans la défense des nègres ? C’est vrai : mais les papes n’ont pas manqué de dire avec fermeté ce qu’il fallait faire, et si ces évêques avaient été moins choisis par la cour, et davantage par l’Église, ils auraient été plus fidèles.

5° L’histoire de l’esclavage reste une page triste dans l’histoire de l’Église.

Sur ce point, comme sur tous les autres de la morale chrétienne, il n’y en eut que peu qui prirent la voie étroite ; sur ce point, comme sur tous les autres, il serait injuste d’estimer la vertu de l’Église d’après ceux qui agirent contrairement à ses principes. Tout compte fait, du monde occidental, constitué en société chrétienne, l’esclavage avait disparu ; l’esclavage chez les Maures a trouvé pour sa consolation les ordres des trinitaires et de la Merci : « il se trouva des hommes dans l’Église pour faire ce métier pendant six cents ans. » Cochin, L’abolilion de l’esclavage, t. ii, p. 439. En Amérique, les nègres ont trouvé des missionnaires d’une générosité égale à leurs épreuves. Beaucoup de maîtres ont été barbares ; mais ceux-là appartenaient à l’Église comme le bois mort appartient à un arbre ; -et s’ils n’ont pas fait honneur à l’Église, leurs esclaves, vraiment chrétiens, ont parfois glorieusement servi cette même Église. Le P. du Jarric cite des Indiens clirétiens de la côte de la Pêcherie, qui avaient fui leurs maîtres portugais, et qui, par l’entremise de .saint François-Xavier, retournèrent à leur ancien état : aymant mieux perdre leur liberté, pour serir Dieu avec plus de liberté. ^ Histoire des choses plus mémorables advenues lanl ez Indes Orientales, etc., I3()rdeaux, 1008, t. i, p. 204. Le P. I-r. Iléard, supérieur de la mission des Antilles(Y 10r).’<), aHirmait avoir vu nombre <le ses chrétiens s’exposer à mille cruautés plutôt que (le consentir à l’offense de Dieu. Aug. Cochin a cité cette lettre du préfet appstolique de la Guyane en 1848 : « Quelques jeunes noirs de la ville sont venus me prier de dire une messe j.our leur obtenir la grâce de ne pas abuser de la liberté, » Abolition de l’esclavage, t. I, p. 3 11, et cet autre trait : « On a vu des noirs fatigués, vieux, certains d’être punis le lendemain, faire une lieue â pied, la nuit, trois fois par semaine, pour se rendre au catéchisme. « Ibid., t. i, p. 298. Kt la remarque de Léon XIII reste vraie : " L’action de l’Église, éducatrice et moralisatrice par excellence, est indispensable… ; il serait vain d’abolir la traite, les marchés, et la comlition servile clic même, si les

esprits et les coutumes restent barbares. » Allocution du 2 mai 1891. L’Église a sanctifié les relations réciproques des maîtres et des esclaves ; les maîtres commandent et les esclaves obéissent, parce que Dieu, qui sera le juge des uns et des autres, l’a ainsi déterminé ; et Dieu fait homme a pris la forme d’esclave. En outre, la dignité humaine n’est plus l’épanouissement d’une personnalité qui veut dominer et jouir ; c’est l’accomplissement de la loi de Dieu qui ordonne le bien. Cette idée nouvelle, au lieu de susciter l’indiscipline et la révolte, tend à introduire une charité qui dépasse ce que faisaient espérer les conditions de chaque époque. 6 » L’abolition de l’esclavage américain est « le terme du développement de la culture germanique et protestante en opposition à la culture romaine catholique. » Dobschiitz, dans la Rcalencyklopàdie, t. xviir, p. 433. Aux premiers temps de cet esclavage, ni ce cjue Las Casas rapporte des luthériens, ni les souvenirs de Hawkins (auquel Elisabeth avait octroyé de graver au-dessus de ses armes le buste d’un nègre garrotté) ne justifient cette assertion ; ni non plus les paroles de Luther dans son Écrit contre les hordes homicides et pillardes des paysans : « De même que l’âne doit être étrillé, le peuple doit être maté : Dieu le sait bien ; aussi a-t-il mis entre les mains de l’autorité, non la queue d’un renard, mais un glaive. » Cf. Janssen, t. ir, ]). 565-570. L’avidité avec laquelle l’Angleterre a retenu la traite, l’opportunité du moment où elle a proposé l’abolition, les intérêts pliisieurs fois d’accord avec les principes, tout cela (en écartant même le souvenir des peuplades indiennes systématiquement détruites) n’établit lias victorieusement la proposition de Dobschûtz ; l’Église, est-il besoin de le rappeler, n’a importé nulle part des alcools ou des armes à feu. Sans nier l’intervention déterminée et efficace de quelques hommes d’État anglais, on accorderait plulôt aux théories rationalistes une ardeur spéciale à combattre resclavai ; e. Logiquement, le système mène là : une humanité, rêvée indépendante et sans lendemain, veut jouir. Pratiquement, les philosophes pa’iens, ceux-là même qui avaient entrevu et loué la grandeur morale du rachat et de l’affranchissement des esclaves, semblent s’en être tenus à la spéculation. Les ph ; losophes modernes les plus sensibles. Bernardin de Saiut-Pierre, un planteur, Raynal, Frédéric II et Catherine, qui avaient plus de serfs et plus durement traités que n’en avait l’abbaye de Saint-Claude, se sont bien gardés de réduire en pratique leurs systèmes. Et peut-être il appartiendrait à ceux qui voient la légi.slation contemporaine s’enqiloyer contre la traite des blanches de n’adresser à l’Église que des reproche* modestes. Parlant du mouvement général anti-esclavagiste de 1888, le cardinal Lavigerie écrivait : …J* constate qu’cn fait, au 1’^ janvier 1888, ni la phil(>sol >hie, ni l’économie politique, ni les assemblées, ni les gouvernements n’avaient pris en main, d’une manière pratique, la cause de l’esclavage africain, et que, depuis le mois de mai de la même année, cette cause s’agite dans tous les esprits et dans tous les cœurs. Que s’est-il donc passé entre ces deux dates ? Simplement ce fait, que le souverain pontife faisant écho aux longs cris de douleur de l’Afrique intérieure, a jeté lui-même un cri puissant qui a réveillé le monde chrétien. » Lettre sur l’esclavage africain, dans les, 1/j.ssions calholiqiirs. 19 octobre 1888, t. 49Cy. Dans cette dernière phase de la lutte contre l’esclavage, la volonté la plus logique, l’aumône la jilus généreuse et la plus constante, ne se sont rencontrées que dans l’ÉRlisc. l’n 1888, Léon XIII donnait pour ces reuTes d’Afrique .’KtOOOO francs. Le 24 mai 1888, dans une audience où il avait devant lui des esclaves rachetés, il reconimandail à tous les missionnaires de consacrer toutes