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ESPERANCE

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avant tout un jugement de possibilité sur son olrjet : et, pour être prucjente, elle exige que ce jugement soit fondé sur une preuve sérieuse. Saint Thomas l’a très bien vii, et observe que, dans l’espérance théologale, c’est la foi, autre vertu théologale, qui doit porter ce jugement de possibilité. « L’objet de l’espérance, dit-il, est un bien futur, difiicile, mais possible à obtenir. Ainsi, pour que l’on espère, il faut que l’objet soit proposé comme possible. Or, l’objet de l’espérance (chrétienne) est la béatitude éternelle et le secours divin… L’un et l’autre nous sont proposés par 2a foi, (jni nous fait connaître que nous pouvons parvenir à la vie éternelle, et que le secours divin nous a i : té préparé pour cela… Il est donc manifeste que la foi précède l’espérance. » Snm. IheoL, II » II, q. xvii, a. 7.

C’est en ce sens que la foi est appelée le fondement de l’espérance, Heb., xi, 1 ; aujourd’hui des protestants mêmes inclinent à traduire CiTroTTÔui :, par /ondenunt, soutien. Cf. Hastings, Dictionary of the Bible,

art. Hiipe, t. ii, col. 412. C’est en ce sens que la foi

est le fondement et la racine de tout le processus de la justification. Concile de Trente, scss. vi, c. vi et viii. Voir Foi. Les païens, n’ayant pas la foi, ne pouvaient avoir l’espérance. Eph., ii, 12. La foi, pour fonder l’espérance, nous fait reconnaître, d’une part, les attributs divins de toute-puissance, de miséricordieuse Jjonté, de fidélité aux promesses ; de l’autre, les promesses divines contenues de fait dans la révélation que Dieu a bien voulu nous donner. Les premières vérités sont nécessaires, les secondes contingentes. Toutes nous sont présentées par la foi avec une certitude souveraine, et servent de base solide au « jugement de possibilité » antérieur à l’espérance.

Mais la foi, n’ayant pour objet que ce qui est révélé, ne peut projeter sa certitude spéciale sur le fait déterminé de notre salut personnel, parce que ce fait n’a pas été révélé. La foi anirme bien cette proposition conditionnelle : > Je serai sauvé, si je ne manque à aucune condition du salut, telle, par exemple, qiie la persévérance finale. » ÎVIais elle n’affirme pas, purement -et simplement, d’une manière déterminée et absolue : " Je serai sauvé. » Et cependant, c’est bien ce salut personnel, pris d’une manière absolue et déterminée, que l’espérance doit avoir pour objet : j’espère mon salut, purement et simplement. Comme objet, l’espérance déliasse donc la foi. Conséquence : le préambule intellectuel de l’espérance ne consistera pas en un simple acte de foi, mais sera plus complexe. Voici, à peu prés dans tout son développement explicite, la série d’actes qui se dérouleront dans l’intelligence du chrétien, du moins si son esprit est cultive et exigeant ; et doit répondre aux objections du décou-Tagement :

Quoique mon saint soit un bien surnaturel, où ma nature ne peut atteindre, la révélation me dit que Dieu a promis à tous les hommes cette béatitude surnaturelle, I Tim., ii, 1, et il est fidèle en ses promesses : donc, mon salut est pratiquement possible.

On peut m’objecter que la promesse du salut est seulement conditionnelle, ( t qu’ainsi tout demeure en suspens..Mais si la promisse du salut est conditionnelle, la promesse du secours de la grâce ne l’est pas : je suis si’ir d’avoir en toute hypothèse le secours divin sufllsant pour pouvoir me sauver. On peut m’objecter encore les tentations terribles qui viendront m’assaillir. Mais, là aussi, le secours divin ne manquera pas. I Cor., X, 1.3. On peut m’objecter enfin que le secours de la grâce demande m.i coopération pour arriver au but ; que cette coopération n’est pas certaine comme le secours lui-même, et qu’elle finira par manquer, vu la faiblesse et la mobilité de ma volonté. Je « uis bien forcé « l’avouer que ma coopération future n’est pas certaine : mais elle est possible, ce qui suffit au jugement de possibilité, préambule sulïisant de l’espérance. F.t puis, je me rejette du côté de la miséricorde inlime de Dieu, des dons ineffables qu’il m’a déjà faits, en me donnant son Fils, etc., Rom., viii, 32 ; de la puissance de sa grâce qui triomphe de nos faiblesses, du don de persévérance accordé à la prière… Alors, sous l’influence de ces vues de foi, mon désir du salut se nuance de cette confiance qui calme le trouble et les angoisses exagérées de la crainte et qui n’a pas besoin pour cela de la certitude de l’événement, ni même de sa très grande probabilité.

Mais, dira-t-on, un simple jugement de possibilité ne nous avance guère. Le chrétien même qui désespère de son salut peut en reconnaître pourtant la possibilité : car, perdant l’espérance, il ne perd pas nécessairement la foi, et il peut continuer à admettre les promesses et la grâce de Dieu, qui rendent le salut possible. Conmient un jugement, compatible avec le désespoir, peut-il servir de base suffisante à l’espérance ? Ou bien, quelle modification ce jugement de possibilité subit-il dans le désespéré ? — Réponse. — Il peut se faire, c’est vrai, que le désespéré admette spéculatiL’cnient son salut comme possible. : Mais, souvent il en ient mal à propos à s’imaginer que, de fait, il ne sera pas sauvé ; ce jugement sur le fait détruit prutiquenunt le jugement de possibilité. « Car, en matière d’espérance, remarque Théophile Raynaud, la conviction que l’événement n’aura pas lieu, d’où qu’elle vienne, équivaut (pratiquement) à un jugement sur son impossibilité : jugement qui, comme on sait, est un obstacle absolu à l’espérance. » (^pe ; a, Lyon, 16155, t. iii, p. 488. D’autres fois, le désespoir peut venir d’une exigence déraisonnable : on voudrait à tout prix avoir la certitude de son salut, quand on n’en peut avoir que la probabilité ; la volonté a le tort de se buter ; et, sans perdre une estime toute spéculative pour le bien désiré, on arrive, à cause de son incertitude, à en faire pratiquement peu de cas, et à le néi ; lii ; er complètement, en quoi consiste proprement ! e désespoir. « Alors, nous ne voulons plus employer aucun moyen pour l’obtenir. Tant que nous sommes disposés à employer encore quelque moyen, ce n’est pas le complet désespoir. » Ilaunold, Theologia, p. 422.

Concluons que le jugement de possibilité est un terrain sulfisant pour faire germer l’espérance, en y ajoutant, toutefois, cette condition négative, qu’il n’y ait pas alors dans l’esprit une idée arrêtée que l’événement n’aura pas lieu (ou une exigence déraisonnable de certitude). Tanner, Theologia scholastica, Ingolstadt, 1627, p. 516. Que notre jugement sur l’-ivénement dépasse souvent ce minimum, qu’il alfirme (à tort ou à raison) une très grande probabilité, une certitude morale de notre salut, soit : mais ce n’est pas là une condition requise pour l’espérance chrétienne, et ce n’est qu’une conjecture humaine et faillible, qui ne repose pas sur la révélation, et ne doit pas se confondre avec la certitude souveraine de la foi.

Intellectualisme â éviter.

Le préambule intellectuel, du moins dans son minimum, est absolument nécessaire à l’espérance. II lui est tellement enchaîné, que parfois, passant aisément d’un bout de la chaîne à l’autre, et les confondant entre eux, nous appelons « espérance n ce jugement lui-même, cette prévisiou de l’avenir, comme si « espérer » était un acte intellectuel. « Qu’espérez-vous de cette démarche ? » c’est-à-dire que pensez-vous de son ulilité.de son résultat ? « l’n événement inespéré, » c’est-à-dire imprévu. " Il a peu (l’espoir qu’il retrouve son argent, » c’est-à-dire peu de probabilité. Ces abus de langage ont déconcerté quelques théologiens peu connus, qui ont pris