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ESPERANCE

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pas avoir eu de l’espérance une notion bien approfondie, et ne la touche qu’en passant, leur offrait cette définition : « L’espérance est une attente certaine de la future béatitude, » etc. S. Bonaventurc, Opéra, Quaracclii, t. iii, p. 553. Il avait pour lui un mot de saint Augustin sur « l’espérance certaine » . Et puis, les grands docteurs de la scolastique ne pouvaient prévoir l’abus que feraient un jour les protestants de cette certitude de l’espérance ou de la confiance.

Ce qui est remarquable, c’est que le principal texte scripturaire apporté pour la « certitude i’de l’espérance, ne dit rien de plus que la » fermeté » en général. C’est le texte qui a donné à l’art chrétien le pittoresque emblème de cette vertu, une ancre de navire : « L’espérance, qui est jjour notre âme une ancre sûre et ferme. » Heb., vi, 19. La fermeté de l’ancre qui s’agrippe au fond des eaux n’est pas forcée de signifier quelque chose d’intellectuel, et peut aussi bien symboliser le désir courageux du ciel, qui dans les grandes épreuves empêche la volonté de se laisser entraîner à la dérive, la tranquille confiance qui fixe ses inquiétudes. Ce qui est non moins remarquable, c’est que le concile de Trente évite le mot de « certitude » pour employer le mot plus vague de « fermeté » , flrmissimam spem. Voir plus haut, col. 608. L’Église n’a pas autrement défini cette qualité de l’espérance chrétienne.

La seconde explication, qui est très répandue, prend la certitude au sens propre du mot : seulement, elle n’en fait pas une qualité intrinsèque de l’espérance, mais ime pure dénomination qui lui vient de l’acte de foi précédent, en qui réside la certitude. De même que nous appelons « volontaire » un mouvement du corps fait sous l’influence d’un acte de la volonté, ainsi, semble-t-il, nous pouvons dénommer < certain " un mouvement de la volonté fait sous l’influence d’un jugement certain de la foi.

C’est l’explication de saint Thomas, dans II » II’q. xviii, a. 4. Ailleurs, il explique de même comment le nom de fîdiicia vient de fides, quoique la confiance, fidiicia, soit dans la volonté et non dans l’intelligence : « De cette croyance, fides, qui précède, dans l’intelligence, le mouvement qui suit dans l’appétit, reçoit le nom de fiducia. Le mouvement appétitif reçoit une dénomination tirée de la connaissance qui précède, comme un effet tire son nom de sa cause plus connue que lui : car la force qui connaît saisit mieux son acte propre que celui de la force appétitive. > Aperçu profond qu’indique en passant le grand docteur. Il est naturel que notre force de connaître, en se réfléchissant sur elle-même, voie mieux ce qui se passe en elle, ce qui sort d’elle, et au contraire analyse moins bien ce qui est le fait d’une autre force. De là. sans doute, la précision que met notre raison dans l’analyse de ses opérations logiques, et le vague qu’elle rencontre dans l’analyse de ce qui est sentiment, amour, volonté. De là aussi cette tendance ultra-intellectualiste dont doivent se défier le psychologue et le théologien, et qui consiste à transposer dans l’ordre intellectuel, pour les analyser plus facilement, des actes purement aflectifs ; c’est ce qui est arrivé à l’espérance elle même. Voir plus haut, col. 614 sq.

Conciliation de l’espérance avec la crainte salutaire.

Les auteurs nombreux qui donnent cette seconde explication font remarquer avec raison que l’espérance est « certaine du côté de Dieu, incertaine du côté de l’homme, » en d’autres tcrii ; c$, que le jugement infafllible de la foi, d’où l’expérience tire cette dénomination de certitude, porte imiquement sur les promesses divines, sur les attributs divins, toutes choses inébranlables qui ne peuvent faire défaut, Heb., VI, 17, 18, mais qu’il ne porte pas sur la persévérante coopération des hommes, qui peut manquer par leur faute ; et, dans ceux-là mêmes où elle se rencontrera un jour, elle n’est pas révélée, et, par suite, n& peut être l’objet de foi infaillible et divine. De là, à côté d’une possibilité d’espérer, une possibilité de craindre. S’il est essentiel à l’espérance de supprimer les anxiétés troublantes, les terreurs exagérées et nuisibles, il ne lui est nullement essentiel de sujiprimer toute crainte. Et si l’on est libre, pour mieux espérer, de s’absorber dans la contemplation des promesses divines et des divins attributs qui les caractérisent, en oubliant pour le moment sa propre faiblesse, voir plus haut, col. 614, on est libre aussi déconsidérer, à d’autres moments, cette faiblesse humaine qui peut tout perdre, et de redouter les sanctions que Dieu a voulu joindre à sa loi, apparemment pour qu’elles nous ser’ent quelquefois à nous éloigner du mal par une crainte salutaire. C’est ce qu’indiquait plus haut le concile de Trente. Voir col. 617. L’espérance et la crainte, bien qu’elle ? fassent sur l’âme des impressions contraires, pensent se coordonner au même but : la crainte peut s’employer à rendre plus sûre l’acquisition de l’objet espéré. « Poursuivre un bien comme fait l’espérance, fuir un mal comme fait la crainte, voilà qui paraît opposé, dit Guillaume d’Auvergne, et cependant, on n’a pas l’un sans l’autre. Personne n’arrive au bonheur des divines promesses sans échapper au malheur des divines menaces… De plus, la crainte est un remède contre la présomption : ce contrepoids, ce régulateur retient l’espoir et le préserve d’une élévation ruineuse. » De moribus, c. m. Opéra, Paris, 1674, p. 196.

En somme, l’incertitude de notre salut met notre âme entre deux courants contraires d’espérance et de crainte, auxquels elle peut se livrer successivement. Ces deux courants se tempèrent l’un par l’autre : l’espérance retient la crainte dans de justes bornes, pour qu’elle n’amène pas le trouble ou le désespoir : la crainte empêche l’espérance de dégénérer en présomption et en laisser-aller. Suivant qu’une âme fait prédominer dans sa vie normale l’un de ces deux, courants, ou fait prédominer sur tous les deux le motif de la charité parfaite, il y a lieu de distinguer avec les Pères différentes catégories de chrétiens.

Luther et Calvin, parce qu’ils voyaient dans la confiance l’unique moyen de salut dont on ne saurait abuser, et qu’ils y faisaient entrer la certitude absolue du salut personnel, sont arrivés logiquement à condamner la crainte. Sur ! a légitimité et l’utilité de la crainte de l’enfer, voir Crainte, Attrition.

Quand saint Paul dit que l’espérance ne fera pas honte, où —/aTattr/ûvei, spes non confundit, Rom., v, 5, faut-il en conclure que l’événement espéré, le salut, arrivera infailliblement ? Non ; mais lors même que le chrétien qui a espéré sera couvert de confusion à cause des péchés qui l’auront perdu, il restera VTai que son espérance surnaturelle ne lui fera pas de honte. Quand est-ce que l’espérance fait’rougir ? Quand elle a été futile, mal fondée, imprudente ; quand elle a désiré un faux bonheur, poursuivi comme but de la vie un vain fantôme ; quand elle s’est fiée, pour atteindre son but, à des secours débiles, à des promesses trompeuses. Si telle est l’espérance du mondain et de l’impie, Jer., xvii, 5 sq. ; Sap., v, 15, 16, ce n’est pas le cas de l’espérance surnaturelle, prudente, bien motivée, poursuivant le seul vrai bonheur, avec l’aide puissante de la grâce divine. Il n’y a pas à rougir d’un tel acte, quoi qu’il advienne. Cf. Ripalda, —De spe, . dist. XXV, n. 68, Paris, t. viii. p. 135.


V.L’espérance comme acte affectif, analyse plus approfondie

Théorie de l’amour ; nature de l’amour qui est à la base de espérance. Voir plus haut, col. 609. —

C’est un amour intéressé, en ce sens que celui qui espère aime un bien pour soi, et cherche