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ESPERANCE

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appelée par plusieurs théologiens « raison formelle » , ou même considérée comme faisant partie de 1’« objet formel » de l’espérance. Mais alors 1’< objet formel » est pris dans un troisième sens, distinct du motif, car la difficulté ne peut certainement pas faire partie du « motif » . I^e motif (expression très nette, que nous préférons pour cela) attire la volonté : or îa difficulté d’atteindre l’objet désiré n’attire pas, elle repousserait plutôt. Le motif agit, est la cause de l’acte : or la difficulté n’agit paSj ne cause pas l’acte d’espérance, elle est seulement pour celui qui désire un bien l’occasion, s’il le i ; eu/, de montrer un certaincourage en continuant de désirer ce bien malgré les diflicultés : alors son désir est dit " efficacc » , et c’est l’espèce de désir qu’il faut dans l’espérance. S’il le veut, ai-je dit : car en pareil cas on peut aussi, et plus aisément, se laisser repousser et décourager par la dilticulté ; et c’est là qu’apparaît le plus clairement la libellé ile l’acte d’espérance, qui, pour être vertueux et méritoire, doit être libre. La difficulté n’est donc pas un principe d’action, comme le motif : elle est inJilïérente à occasionner l’élan courageux de l’espérance, ou le lâche abattement du désespoir. « Le bien ardu ou dilTicile, dit saint Thomas, a d’une part une raison pour que l’on tende à lui en tant que bien, ce qui appartient à l’espérance, mais d’autre part une raison pour que l’on s’éloigne de lui en tant que difficilc, ce qui appartient au désespoir. » Suin. theol., I » 1I « , q. xxiii, a. 2. Tous les théologiens reconnaissent aujourd’hui que la difficulté ne figure pas dans l’espérance comme motif ; et si quelques anciens scolastiques, comme Henri de Gand, ont eu vraiment Topimon contraire, elle est définitivement abandonnée.

Mais en dehors de ce point, l’accord est loin d’être fait. La question du motif de l’espérance chrétienne a fait éclore quantité de théories ; c’est par vingtaines qu’il faudrait les compter 1 Eflrajés de cet apparent chaos, les auteurs qui traitent de l’espérance (traité assez souvent sacrifié) se bornent volontiers à donner ici leur opinion particulière, et passent. Ceux cqui ont cité les diverses opinions l’ont ordinairement fait sans ordre et sans exactitude, mêlant mal à propos l’objet d’attribution et le motif, présentant incomplètement la pensée de plusieurs théologiens, et surtout de saint Thomas. Essayons de débrouiller cet écheveau ; la question en vaut la peine : au fond, c’est la nature même de l’acte et de la vertu d’espérance qui est en jeu.

La multiplicité des théories peut d’ailleurs se réduire à trois systèmes principaux, comme on Ta parfois remarqué. Voir Marin, ’J ticologia, Venise, 1720, t. il, p. 447. Et nous verrons que les trois systèmes ont chacun approfondi avec sagacité un côté de la question très complexe. Par lii ils se font équilibrc, ils se com plètent mutuellement dans ce qu’ils ont de positif, en sorte qu’on peut dégager de l’ensemble une théorie satisfaisante de l’espérance et de son motif.

1er Système. Motif de l’espérance : le secours divin, ou Dieu comme puissance auxiliatrice.

Exposé et preuves.

1. Côté positif du système.

Espérer > est plus cpic > désirer’. C’est l’âme s’clevant contre les difficudés avec la confiance d’arriver à ce qu’elle désire. Voir plus haut, col. 609. Le motif du désir, c’est la bonté ou convenance de l’objet ; le motif de la confiance, c’est la possibilité d’aequérir l’objet. Voir plus haut, col. 612, 628. Or ce n’est pas la bonté dune chose qui la rend possible, qui lui donne plus de chances de se réaliser mous ne le savons que trop, le mal arrive plus facilement que le bien. H faut donc, pour exciter la confiance, des considérations nouvelles, un motif indépendant de celui du désir. Dans l’espérance chrétienne, ce fpii excite la confiance en montrant la possibilité d’atteindre la fin surnaturelle désirée. c’est le secours divin : c’est donc un motif de notre espérance. — L’Écriture nous fait arriver à la même conclusion : ne parle-t-elle pas sans cesse du secours divin, de la puissance et de la bonté de Dieu, quand elle excite à espérer ? Voir plus haut, col. 605-606. Et saint Thomas ne dit-il pas : « De même que l’objet formel de la foi (ici, son motif) est la vérité première, qui sert comme de moyen par lequel l’intelligence adhère aux vérités qui sont l’objet matériel de la foi : de même l’objet formel de l’espérance est le secours de la puissance et de la miséricorde divine, à cause duquel ce mouvement de l’âme, que Ton appelle espérance, tend aux biens espérés, qui sont l’objet matériel. » Quæst. de virtutibus, q. iv, a. 1.

2. Côté négatif ou exclusif.

Non seulement « espérer n’est plus que « désirer » , mais du concept d’espérance il faut exclure le désir. Il est vrai, l’espérance suppose le désir d’un bien, et dans ce désir un amour I de convoitise (ou amour intéressé) ; mais ce n’est là qu’un pur présupposé, une sorte de préface qui reste en dehors de l’espérance. On peut entendre ainsi saint Thomas, quand il dit que « l’espérance (théologale) appartient à l’amour de convoitise : » il ne dit pas qu’elle soit un amour. Voir col. 623. Ailleurs, il dit j clairement que « l’espérance présuppose le désir » (il ! est vrai qu’il s’agit là de l’espérance comme passion). I Surn. theol., I" II » , q. xl, a. 1. Preuves rationnelles : i Un même acte ne peut être dans deux facultés dilTcj rentes ; or le désir est dans l’appétit concupiscible, I l’espérance dans l’appétit irascible ; l’acte d’espéj rance ne peut donc renfermer le désir. Il vaudra donc i mieux dire avec saint Bonaventurc, que la foi, rési ! dant dans l’intelligence, atteint l^icu comme vrai ; la charité, résidant dans l’appétit concupiscible, l’atteint comme bien ; l’espérance, résidant dans l’appétit irascible, l’atteint comme difficile (arduuin, ad quod se erigit) : ou mieux encore, qu’elle l’atteint comme puissance auxiliatrice, en qui elle se confie. De plus, le motif de l’espérance, c’est ce qui répond à la question : « Pourquoi espérez-vous ? » Or, demandez d’abord à un malade : pourquoi désirez-vous votre guérison ? il répondra : parce que la santé est un grand bien. Demandez-lui ensuite : pourquoi V espérez-vous ? Il ne parlera plus d’un bien qu’il aime, mais des secours d’un habile médecin, et de tout ce qui rend sa guérison possible et probable..Ainsi, nous prenons sur le fait l’opposition outre le désir et l’espérance et la diversité de leurs motifs spécifiques : l’un n’est pas l’autre. Réduisons donc l’espérance à Verectio animi et à la confiance ; et son motif, à la puissance auxiliatrice de Dieu, qui suffit à les exciter.

Tel est le premier système, défendu au XIIIe siècle par saint Bonaventure contre certains docteurs qu’il ne nomme pas. In IV Sent., 1. III, dist. XXVI, a. 2, (|. IV, Quaracchi, 1887, t. iii, p. 576. Pour saint Thomas, c’est très douteux, comme nous verrons. Les thoniistes « les derniers siècles se sont presque tous ralliés à ce premier système. Cf. Jean de Saint-Thomas, In // « » II’, dist. IV, a. 1, Paris. 1886, t. vu. p..330.sq. ; les théologiens deSalamanque, Dr spe, disp. I, n. 50, 51, Paris, 1879, t. xi, p. 473 s([. ; l.’illuart. De spe, a. 2, sect. II, Arras, 1868, t. iii, p. 451. En dehors de l’école thomiste, cjuelques autres, comme Vasquez, In / » ’", disp.LXXXIV, c. I, et surtout In /// » "’, dist. XL III, c. ii.Lugo, que Ton cite fiucUiuefois pf)ur ce système, et sans aucune référence, n’a rien de semblable dans ses ouvrages édités, où il ne touche même pas la question. Enfin, de nos jours, Schifllni, De virtutibus, p. 360, 377 sq.

Ce système admet nombre de variantes :
a) suivant qu’on semble faire entrer dans le motif la difficulté, nrdmim, ou qu’on l’en exclut, ce qui est l’ordinaire ;
b) suivant que ce mot vague » le secours divin » est