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ESPERANCE

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bonté relative de Dieu sans la puissance auxiliatrice. Seule la bonté relative sera le motif général, qui ne fera jamais défaut dans aucun acte de la vertu, qu’il soit complet ou incomplet, qu’il porte sur la fin dernière (objet d’attrilnition, voir col. 631), ou sur les biens subordonnés ; tout cela est désiré comme bon et utile pour nous. Mais quand on parle du motif d’une vertu, on parle d’un ressort qui ne peut manquer dans aucun de ses actes ; ainsi Vaiiclorilcis Dci rcvclanlis est motif de la foi, et se retrouve absolument dans tous ses actes. Dans l’espérance, il n’y a que la bonté relative de Dieu qui joue ce rôle universel : disons donc que c’est le seul motif de la vertu. Par là nous avons une simplilication, et qui est suffisamment fondée ; nous pouvons, avec Scot et Suarez, distinguer l’espérance et la charité par la distinction très simple et très profonde que tous les théologiens reconnaissent entre l’amour de concupiscence et l’amour d’amitié. Cette distinction des deux vertus est donnée par saint Thomas, et rend compte de toutes les données de la révélation, voir col. 615, tandis que les autres différences cherchées entre les deux vertus sont plus ou moins insuffisantes. Voir col. 626 sq. lîUe est donnée par saint François de Sales, par Cajetan, voir col. 621, 639, et beaucoup d’autres théologiens.

Reste à répondre à quelques difficultés. Et d’abord est-elle légitime, cette distinction que, pour apprécier le second et le troisième systèmes, nous avons faite entre le motif de l’espérance-acte, et le motif de l’espérance-vertu ? N’est-ce pas un axiome en théologie, que chaque vertu nous est connue par son acte, et que le motif de l’acte est aussi le motif de la vertu ?

Réponse. — Cet axiome scolastique n"a qu’une vérité approximative. Il serait rigoureusement vrai d’une vertu qui n’aurait à tout point de vue qu’une seule espèce d’actes. Mais cette conception de la vertu est trop bornée et trop pauvre pour les vertus infuses, sortes de facultés surnaturelles greffées sur nos facultés naturelles, et s’étendant à des actes de diverses classes, entre lesquels on peut voir à un certain point de vue, des différences d’espèce. Cf. Lugo, De fide, dist. I, n. 236. — N’y a-t-il pas une différence spécifique entre aimer et détester ? Et cependant tous les théologiens admettent qu’une seule et même vertu infuse aime le bien qui est son motif, et déteste le mal opposé ; de là vient qu’un même péché, d’intempérance, par exemple, peut être détesté par la vertu de tempérance sous son propre motif, par la vertu d’espérance parce que ce péché prive de la béatitude éternelle, par la vertu de charité parce qu’il déplaît à Dieu aimé d’un amour d’amitié. Ainsi l’acte de pénitence, qui est génériquement la détestation du péché, se diversifie spécifiquement suivant les motifs des différentes vertus qui peuvent également le produire : c’est ainsi que l’on aura deux espèces de contrition, la contrition parfaite avec le motif de la charité, et la contrition imparfaite elle-même, qui se subdivisera d’après les motifs des différentes vertus qui la produiront. — Autre exemple. N’y a-t-jl pas une différence d’espèce entre l’acte d’amour, celui de désir et celui de joie ? Et cependant il est reconnu qu’une seule et même vertu aime le bien spécial qui est son motif, le désire quand il est absent, se réjouit quand il est présent : habiliis virtutis idem est, qui inclinât ad diliycndum, et desiderandum bonum dilcelum, et gaiidendiim de eo. S. Thomas, Sum. tlieol.. Il » II" !, q. XXVIII, a. 4 ; cf. q. xxix, a. 4. N’y at-il pas une différence spécifique entre la tristesse et la joie, entre l’espérance et la crainte ? Et cependant la vertu de charité, d’après saint Thomas, produit un acte de tristesse comme un acte de joie, 11^ II*, q. xxviii, a. 1, ad 2°"’; IIL’, q. lxxxv, a. 2, ad 1’"". Et la vertu infuse d’espérance, d’après l’opinion commune, produit la crainte salutaire et l’attrition qui en découle. Ejnsnwdi rationis est, quod Iwmo eupiat bonum siium, et quodtimeut eo privari. Il » II*, q. xix, a. 6. La meilleure manière de tout concilier, c’est de dire que les actes d’une vertu infuse ont tous la même espèce physique, parce qu’ils procèdent du même principe ; mais que pourtant ils peuvent se subdiviser en diverses espèces morales. Aetus qui secundum substantiam suant est in una specie natune (cspèct physique), seeundum eonditiones morales supervenientes ad duas speeies referri potest. 1-’II » ’, q. xviii, a. 7, ad 1°"". Avec un éminent théologien, Adam Tanner, S. J., qui indique notre distinction entre Vacte ordinairement signifié par le mot d’espérance, et la vertu, concluons donc que « s’il s’agit de la vertu d’esp : rance en général, l’objet formel (ou motif) ne peut être que Dieu considéré comme notre bonheur, comme notre souverain bien, aimable d’un amour de concupiscence. » Theologia scholastica, Ingolstadt, 1627, t. iii, p. 541.

Autre objection. Si la différence entre l’espérance et la charité peut se ramener à celle de l’amour de concupiscence (intéressé) et de l’amour d’amitié (désintéressé), à laquelle de ces vertus doit-on attribuer le désir courageux de procurer la gloire de Dieu malgré les obstacles, avec confiance d’y arriver par le secours divin ? D’une part, il y a là tous les éléments de l’acte vulgairement appelé « espérance « . D’autre part, l’amour y est désintéressé. —

Réponse. — Cet acte doit être produit par la vertu infuse de charité, puisqu’il en a le motif général. Comme l’observe Cajetan, la « charité veut à Dieu sa gloire et son règne sur la terre, non seulement en s’y complaisant, mais aussi en désirant qu’ils soient réalisés, et augmentés. Elle s’efforce de les procurer tant qu’elle peut, elle se réjouit de leur réalisation, s’attriste de leur diminution ou la craint, et est courageuse contre ceux qui y font obstacle, » etc. In II<^<^ II, q. xxiii, a. 1, dans S. Thomas, Opéra, Rome, t. viii, p. 164. C’est aussi la charité qui nous fera espérer d’une manière désintéressée un bien pour le prochain ; par la vertu d’espérance on n’espère, en effet, que pour soi, suivant le principe de saint Augustin, voir col. 603, et de saint Thomas : Spes dicitur proprie respecta alicujus quod expectatur ab ipso speranle habendum. Sum. theol., III-’, q. VII, a. 4.

Mais, dira-t-on, si la charité peut avec confiance espérer pour Dieu une gloire extérieure ; si, d’autre part, l’espérance, par un acte incomplet, peut aimer et désirer Dieu sans l’espérer au sens ordinaire du mot ; si ces deux vertus ne se distinguent entre elles que comme deux amours d’espèce différente : pourquoi la seconde vertu théologale est-elle appelée espérance plutôt qu’amour, pourquoi la troisième est-elle appelée amour (ayaTcr], car/7as) plutôt qu’espérance. — Réponse. — Une vertu ayant plusieurs classes d’actes tire forcément son nom d’une seule de ces classes, qui prime à un certain point de vue. Or « l’amitié pour Dieu, dit Suarez, est ce qu’il y a de premier et de principal dans la vertu de charité : de là son nom. Qu’elle produise parfois un acte de désir ou d’espoir, c’est pour elle quelque chose de moins fréquent que l’amour, et pour ainsi dire, d’accidentel… Au contraire, pour la vertu d’espérance, l’acte non seulement le plus difficile, mais que Dieu avait principalement en vue en nous donnant cette vertu, c’est le désir efficace (et confiant) de la béatitude absente, malgré tant d’obstacles et de difficultés ; de là le nom d’espérance, bien qu’elle ait d’autres actes avec celui-là. « Disp. I, scct. iii, n. 18, t. xii, p. 609. En effet, dans la grande imperfection de la vie présente, l’intérêt propre, qui distingue la seconde vertu théologale, est le seul ressort capable d’agir fréquemment et puissamment sur la multitude des chrétiens, et de les pousser à travers