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ESPERANCE

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Et la première raison qu’il en donne est celle-ci : « L’espérance appartient à l’amour de convoitise, par lequel nous voulons un bien pour nous. Mais Dieu lui-même ne peut pas être l’objet prochain et imni édiat de notre amour de convoitise, car Dieu doit être aimé pour lui-même et d’un amour d’amitié. Cet objet (immédiat de l’espérance) sera donc quelque autre chose, et ne peut être que notre future béatitude » (en tant que distincte de Dieu). In IV Sent., 1. III, dist. XXVI, q.ii, Paris, 1550, fol. 224. Cette assertion, que Dieu lui-même. ne peut être l’objet direct d’un amour de convoitise, les docteurs des âges suivants la rejetteront d’un commun accord. Capréolus, ce « prince des thomistes » , répondra à Durand, au début du xve siècle : « Dieu peut être aimé d’un double amour, l’un imparfait, qu’on nomme amour de convoitise, l’autre parfait, qu’on nomme amour d’amitié. Aucun des deux n’est péché, mais au contraire acte bon et licite. » /n IV Sent., 1. III, dist. XXVI, q. i, a. 3, Opéra, Tours, 1904, t. v, p. 343. Un siècle plus tard, (^ajctan réfutera de même l’argument de Durand : « Dieu, pris en lui-même, doit être aimé surtout d’un amour d’amitié, mais non pas de ce seul amour : car il peut être aimé aussi d’un amour de concupiscence. » In //^ "//’, q. xvir, a. 5 ; dans la grande édition de saint Thomas, Rome, 1895, t. viii, p. 130. Ainsi nous retrouvons, toujours maintenue dans l’Église, la solide position de la tradition antique sur les deux formes de l’amour de Dieu. C’est à peine si Denys le Chartreux, au xv<e siècle, s’en écarte par des expressions un peu fortes en faveur du désintéressement absolu ; pour lui, au fond, l’espérance théologale reste intéressée, sinon principalement, du moins secondairement, /e/icf(7 (in Deum) non principalitcr infuitu cornmodi. In IV Sent., 1. III, dist. XXVI, Opéra, Tournai, 1904, t. XXIII, p. 454.

Depuis la Réforme jusqu’à la fin du XVIIe siècle : protestantisme et jansénisme.

1. Protestantisme.

Il semble que le protestantisme naissant aurait dû se renfermer, à l’égard de Dieu, dans un amour intéressé. Luther n’a-t-il pas réduit la foi justifiante, c’est-à-dire, pour lui, l’essentiel de la religion, à une joyeuse confiance du pardon de ses péchés, laquelle enferme toute la religion dans un cercle d’intérêt personnel ? Voir Luther. Et pourtant, soit souvenir de maître Eckart ou d’autres mystiques, soit manie d’attaquer les doctrines de l’Église, Luther rejette illogiquement les motifs intéressés. Il faut que le concile de Trente prenne contre lui la défense de l’attrition qui considère dans le péché « sa laideur et sa honte, et comment il fait perdre l’éternel bonheur et encourir la damnation éternelle. » Sess. xiv, can. 5, Dcnzinger, n. 915 (793). Il faut qu’on défende contre lui l’espérance du bonheur céleste et le souci des bonnes œuvres pour l’obtenir.

Si quel<iu’un dit que le

juste pèche, lorsqu’il fait

une bonne œuvre en vue

de rétcrnclle récompense,

qu’il soit anathème.

Si quis dixorit justifica tum peccarc, dum intuitu

a : tprnse mercedis bene opc ratur, anatlipmasit. Sess. VF,

can. 31, Den/.inger, n..Sll

(723) ; cf. can. 2ti.

Toutefois l’idée fondamentale de Luther et de Calvin était moins le triomphe du désintéressement absolu, que la négation de nos mérites en vue de relever le seul mérite du Christ. Parce que mérite et récompense sont des termes qui se correspondent, l’horreur qu’ils avaient pour le souci des « cuvres méritoires retombait sur le souci de la récompense. Au reste, leur triste campagne contre les mérites et les bonnes œuvres n’appartient pas à notre sujet. Voir MC ; niTF, . Cf. litudes du 5 mai 1911, p. 35 1 355.

2. Jansénisme. Nous n’entrerons pas dans l’encmble de ses doctrines. Voir Jansémisme. Sur l’amour intéressé pour Dieu, Jansénius reprend l’idée de Durand après une définition assez exacte des deux amours : Amor concupisccntiæ quidqiiid appetierit id ultimo appclit proptcr se tanquam finem cui ultimo lolum cedat : amor benevolentiæ seu caritatis quidquid appetierit, aut speraueril, ant adeptus jucrit, id totum quasi oblitus sui in hoc ipsum velul finem cui retorquet, quem ista benci’olentiæ caritate dilexerit, il ne veut pas que le premier de ces amours puisse s’adresser à Dieu : Concupiscentia, respcctu Dci, amor vitiosus est. Ce serait nous aimer nous-mêmes et non pas Dieu ; ce serait nous faire nous-mêmes fin dernière. Augustinus, t. ni. De gratia Christi, I. V, c. ix, Rouen, 1643, p. 222, 223. Jansénius, en cela différent des protestants, permet que nous tendions à la béatitude céleste, même considérée comme récompense ; mais toujours par le motif désintéressé, en la considérant comme un moyen suprême de glorifierDieu. « La vision de Dieu… ne doit pas être aimée par un chrétien d’une autre espèce d’amour ; et dans tous les ouvrages d’Augustin comme dans les saintes Écritures, il n’y a pas trace de cette idée qu’on doive désirer son salut en vertu d’un amour différent de la charité véritable. » Lac. cit., c. X, p. 224. Et Jansénius d’accumuler les proptcr Deum et les gratis anutrr, familiers à Augustin, pour exiger au nom du maître un seul amour de Dieu, celui qui est absolument désintéressé. Pauvre exégèse : car Augustin, par ces formules, entendait le plus souvent, nous l’avons vii, le demi-désintéressement qui se trouve dans l’amour de concupiscence à l’égard de Dieu. Voir col. 650.

Ainsi le jansénisme permettait de tendre à la béatitude, mais à condition que le motif intéressé (qui se présente naturellement alors) fût librement repoussé, ou du moins qu’il ne restât jamais seul, et fût toujours accompagné et dominé par le motif de la charité parfaite. L’Église a condamné cette doctrine.

10. Intontio.qua quisdeL’intention par laquelle testatur malum et proseon déteste un mal ou l’on quitur bonum mère ut cæcherche un bien seulement lestemobtineatgloriam, non pourobtenirla gloirecéleste, est recta ncc Deo plaçons. n’est ni droite ni agréable à Dieu.

13. Quisquis ctiam aeterQuiconque sert Dieu en na ; mercedis intuitu Deo favue d’une récompenscniênic mulatur, caritate si caruc- éternelle, s’il n’y joint pas rit, vitionon caret, quotics (le motif de) la charité, fait intuitu beatitudinis opeun acte vicieux, toutes les ratur. Denzingcr, n. l.’iOO fois qu’il agit en vue decette (11(>7 » , 1303, béatitude. Propositions jansénistes, condamnées par Alexandre VIII.

Quand il exigeait de tout chrétien un acte de charité en quelque sorte perpétuel et mêlé â tout, le jansénisme n’avait pas le sens de la réalité. Avec une intelligence faible comme la nôtre dans les choses spirituelles et divines, qui ne peut sans cesse penser â Dieu, et qui, lorsqu’elle pense à lui, le considère tantôt à un point de vue, tantôt â un autre, n’est-ce pas une nécessité que le chrétien, â certains moments, voie Dieu comme son bien personnel (car il l’est véritablement), et l’aime alors d’un amour intéressé, plus à la portée du commun des fidèles ? Et quel mal peut-il y avoir là, si d’ailleurs, à un autre moment de sa vie, il tâche d’aimer Dieu d’un amour désintéressé et plus parfait, qui finalement comidétera tout, et rapportera tout l’homme à la gloire de Dieu, comme au dernier mot de toutes choses ? Et peut-on raisonnablement exiger davantage ?

Mais, disent les jansénistes, celui qui obéit à la loi de Dieu uniquement jiar le motif de la récompense, celui-là, par ime cimséquenee nécessaire, n’obéirait pas, s’il n’y avait pas de récompense, ce qui est immoral. — liéponsr. — La conséquence n’est nulle-