Aller au contenu

Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 5.djvu/346

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

€()7

ESPERANCE

668

commande l’acte d’espérance, et, par là même, le rend désintéressé, d’intéressé qu’il était en soi. — Ce système, plus modéré, au lieu d’attatiuer saint Thomas « t l’École, reconnaît avec eux que l’espérance est par elle-même intéressée et cherche à utiliser la théorie scolastique de Vimperium carilatis, comme aussi t s’autoriser du 13 « article d’Issy, où il était dit : « Dans la vie et dans l’oraison la plus parfaite, tous ces actes (des différentes vertus) sont unis dans la seule charité, en tant qu’elle anime toutes les vertus, et en commande l’exercice, selon ce que dit saint Paul. La charité soufïre tout, elle croit tout, elle espère tout, elle soutient tout. I Cor., xiii, 7. » Cet article avait été ajouté au projet primitif sur la demande de Fénelon. Œuvres, t. ii, p. 226. Fénelon arbore ce système dans ses deux Lettres à un de ses amis, manifestes lancés au moment où son livre est déféré à Rome. Nous avons cité la première, voir col. 663. Dans la seconde, il donne comme point essentiel de sa doctrine « l’état habituel où toutes les vertus sont désintéressées, étant unies dans la seule charité qui les anime et les commande, » t. II, p. 285. Ce système est également introduit comme explication et correctif dans la seconde édition du livre des Maximes, préparée par Fénelon, mais restée inédite, et que vient de publier M. Chérel, Paris, 1911, p. 33, 126, 306.

Inconvénients du 3° système.
a) Comment l’acte d’espérance, qu’on reconnaît comme intéressé en soi, peut-il perdre cette propriété essentielle par le simple fait accidentel qu’un acte de charité l’a précédé et commandé ? De même que la charité ne perd pas son désintéressement essentiel, du seul fait qu’elle est commandée par l’espérance, par exemple, si un chrétien à l’article de la mort, sans prêtre, se commande à lui-même, par un désir intéressé de son salut, un acte de charité parfaite comme moyen de se réconcilier avec Dieu et se sauver, de même l’espérance ne perd pas de son caractère intéressé, du fait qu’elle est précédée et commandée par un acte de pur amour ; chacun des deux actes, gardant son motif djstinct, garde sa physionomie propre, d’autant plus qu’ils se complètent et ne se détruisent pas. —
b) Si vous supposez que, sous l’influence de la charité, l’acte devient désintéressé, ce n’est plus un acte d’espérance » comme vertu distincte » , et le l' article d’Issy n’est plus observé. Ce qui a trompé Fénelon, c’est que la charité avec son motif peut intervenir de deux façons très différentes dans le domaine d’une autre vertu, au témoignage de l’expérience. Dans le premier cas, elle ne conserve de l’autre vertu que l’objet matériel, et substitue son motif au motif propre de cette autre vertu : ainsi on peut payer ses dettes, non pour le motif propre de la justice auquel on ne pense même pas, mais uniquement pour faire plaisir à Dieu (motif de la charité) ; on peut désirer le ciel non pour le motif intéressé de l’espérance, mais uniquement pour ne plus ofïenser Dieu et lui rendre là-haut une plus grande gloire. Alors il ne reste plus qu’un acte de charité, car l’autre vertu ne peut réellement agir où n’intervient pas son motif spécifique et son motif ne peut intervenir où il n’est pas perçu : un motif ne peut nous mouvoir qu’à travers la connaissance que nous en avons. Dans le second cas, qui est Vimperium caritatis tel que le considèrent les scolastiques, il y a deux actes successifs et distincts, le premier de charité (actus imperans), le second d’espérance (actus imperatus), chacun avec son motif propre, donc le premier désintéressé, le second intéressé. On peut dire, il est vrai, dans les deux cas, que « la charité spécifie » l’acte de désirer, d’espérer ; dans le premier cas, c’estclair, iln’yaqu’un motif, qui est celui de la charité, et qui rend l’acte désintéressé ; dans le second cas, on peut dire encore que I la charité spécifie > en ce sens que l’acte d’espérance lui-même, outre son motif essentiel, est dirigé vers la gloire de Dieu par l’acte de charité qui le commande. C’est pour lui une nouvelle fin surajoutée, une fin extrinsèque, élément qui en morale contribue à la spécification de l’acte, tellement qu’un acte bon peut devenir mauvais par une fin surajoutée, ou, au contraire, acquérir une nouvelle et spéciale bonté. Il y a alors deux fins subordonnées, deux formes subordonnées si l’on compare les fins à des formes ; d’où l’on peut dire, avec saint Thomas, que l’acte est formellement un acte de charité, que la charité est la forme de toutes les vertus auxquelles elle donne la dernière fin. Sum. theoL, I^ IP-, q. xiii, a. 1 ; II’IP’, q. xxiii, a. 8. D’autre part, cette fin surajoutée à l’acte par la charité, n’est relativement à lui qu’une fin extrinsèque et accidentelle (finis ope rantis), sur laquelle la fin intrinsèque, le motif essentiel de l’acte, doit prévaloir comme spécification ; aussi l’acte reste-t-il avant tout un acte d’espérance, un acte intéressé ; commandé par la charité, il n’est pas transformé par elle en acte désintéressé, il n’est pas épuré » par elle ; Fénelon s’efforce en vain de conclure cela de ces textes, sous prétexte que, d’après saint Thomas, la charité donne à l’acte qu’elle commande, sa forme, son espèce, t. ii, p. 349. Mais la question est très complexe ; il n’est donc pas étonnant que Fénelon, confondant deux cas psychologiques qui ont une certaine analogie, ait pris du premier, le désintéressement absolu de l’acte, et du second, la conservation de l’acte d’espérance comme vertu distincte avec son motif propre, et qu’il ait voulu réunir en un seul et même cas deux propriétés qu’un acte ne peut posséder à la fois. En réalité, c’est dans le premier cas que Fénelon se place pratiquement, il ne laisse donc plus à l’acte le motif propre et intéressé de l’espérance. Mais il prétend le lui laisser, sous prétexte que c’est notre salut, notre bien que nous voulons alors, pour la seule gloire de Dieu. Ce sont, dit-il, « des actes de vraie espérance… Ils ont l’objet formel, qui est le bonum mihi : par là ils ont un motif qu’on peut en un sens nommer intéressé… C’est un vrai motif, et c’est dans un sens un motif d’intérêt propre, et même du plus grand de tous les intérêts, » t. II, p. 258. Il ne voit pas que notre salut, notre béatitude, n’est pas un motif, mais un objet matériel que nous pouvons désirer pour des motifs bien différents, et que lui-même ne désire plus que pour le motif désintéressé de la charité. L’évêque de Chartres lui en fait très bien la remarque : « Quoique le bonum mihi demeure comme objet, il n’y demeure pas comme motif, c’est-à-dire raison qui meut ; parce que, comme il est dit après, p. 45 (du livre des Maximes), on le veut par pure conformité à la volonté de Dieu, c’est-à-dire que la conformité à sa volonté est la seule raison qui meuve : « Je ne le veux pas par ce motif précis qu’il « est mon bien ; mais je le veux par pure conformité à la volonté de Dieu. » Loc. cit., p. 268. Voir Éludes du 20 juin 1911, p. 745-753.

4° système, dernière évolution des idées de Fénelon sur l’espérance : l’espérance intéressée, apanage du commun des fidèles, se compose en réalité d’un mélange de surnaturel et de naturel ; le naturel, c’est la tendance à « l’intérêt propre » ; purifiez l’espérance surnaturelle de cet élément étranger, vous l’aurez telle qu’elle est en elle-même, c’est-à-dire absolument désintéressée, ainsi chez les parfaits. On voit que cette nouvelle conception est opposée à la précédente, qui reconnaissait l’espérance surnaturelle comme intéressée en soi, avec l’École.

Une première ébauche du système, empruntée à une phrase de saint Bernard, donne à cet élément naturel le nom de cupidité soumise. « N’est il pas vrai,