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ESPERANCE
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commande l’acte d’espérance, et, par là même, le rend désintéressé, d’intéressé qu’il était en soi. — Ce système, plus modéré, au lieu d’attatiuer saint Thomas « t l’École, reconnaît avec eux que l’espérance est par elle-même intéressée et cherche à utiliser la théorie scolastique de Vimperium carilatis, comme aussi t s’autoriser du 13 « article d’Issy, où il était dit : « Dans la vie et dans l’oraison la plus parfaite, tous ces actes (des différentes vertus) sont unis dans la seule charité, en tant qu’elle anime toutes les vertus, et en commande l’exercice, selon ce que dit saint Paul. La charité soufïre tout, elle croit tout, elle espère tout, elle soutient tout. I Cor., xiii, 7. » Cet article avait été ajouté au projet primitif sur la demande de Fénelon. Œuvres, t. ii, p. 226. Fénelon arbore ce système dans ses deux Lettres à un de ses amis, manifestes lancés au moment où son livre est déféré à Rome. Nous avons cité la première, voir col. 663. Dans la seconde, il donne comme point essentiel de sa doctrine « l’état habituel où toutes les vertus sont désintéressées, étant unies dans la seule charité qui les anime et les commande, » t. II, p. 285. Ce système est également introduit comme explication et correctif dans la seconde édition du livre des Maximes, préparée par Fénelon, mais restée inédite, et que vient de publier M. Chérel, Paris, 1911, p. 33, 126, 306.
Inconvénients du 3° système. —
a) Comment l’acte
d’espérance, qu’on reconnaît comme intéressé en
soi, peut-il perdre cette propriété essentielle par le
simple fait accidentel qu’un acte de charité l’a précédé
et commandé ? De même que la charité ne perd pas
son désintéressement essentiel, du seul fait qu’elle
est commandée par l’espérance, par exemple, si un
chrétien à l’article de la mort, sans prêtre, se commande
à lui-même, par un désir intéressé de son salut,
un acte de charité parfaite comme moyen de se réconcilier
avec Dieu et se sauver, de même l’espérance
ne perd pas de son caractère intéressé, du fait
qu’elle est précédée et commandée par un acte de pur
amour ; chacun des deux actes, gardant son motif
djstinct, garde sa physionomie propre, d’autant plus
qu’ils se complètent et ne se détruisent pas. —
b) Si
vous supposez que, sous l’influence de la charité,
l’acte devient désintéressé, ce n’est plus un acte
d’espérance » comme vertu distincte » , et le l' article
d’Issy n’est plus observé. Ce qui a trompé
Fénelon, c’est que la charité avec son motif peut
intervenir de deux façons très différentes dans le domaine
d’une autre vertu, au témoignage de l’expérience.
Dans le premier cas, elle ne conserve de l’autre
vertu que l’objet matériel, et substitue son motif
au motif propre de cette autre vertu : ainsi on peut
payer ses dettes, non pour le motif propre de la
justice auquel on ne pense même pas, mais uniquement
pour faire plaisir à Dieu (motif de la charité) ;
on peut désirer le ciel non pour le motif intéressé de
l’espérance, mais uniquement pour ne plus ofïenser
Dieu et lui rendre là-haut une plus grande gloire.
Alors il ne reste plus qu’un acte de charité, car l’autre
vertu ne peut réellement agir où n’intervient pas son
motif spécifique et son motif ne peut intervenir où
il n’est pas perçu : un motif ne peut nous mouvoir
qu’à travers la connaissance que nous en avons.
Dans le second cas, qui est Vimperium caritatis tel que
le considèrent les scolastiques, il y a deux actes successifs
et distincts, le premier de charité (actus imperans),
le second d’espérance (actus imperatus), chacun avec
son motif propre, donc le premier désintéressé, le
second intéressé. On peut dire, il est vrai, dans les
deux cas, que « la charité spécifie » l’acte de désirer,
d’espérer ; dans le premier cas, c’estclair, iln’yaqu’un
motif, qui est celui de la charité, et qui rend l’acte
désintéressé ; dans le second cas, on peut dire encore
que I la charité spécifie > en ce sens que l’acte d’espérance
lui-même, outre son motif essentiel, est dirigé
vers la gloire de Dieu par l’acte de charité qui le
commande. C’est pour lui une nouvelle fin surajoutée,
une fin extrinsèque, élément qui en morale contribue
à la spécification de l’acte, tellement qu’un acte bon
peut devenir mauvais par une fin surajoutée, ou, au
contraire, acquérir une nouvelle et spéciale bonté.
Il y a alors deux fins subordonnées, deux formes
subordonnées si l’on compare les fins à des formes ;
d’où l’on peut dire, avec saint Thomas, que l’acte
est formellement un acte de charité, que la charité est
la forme de toutes les vertus auxquelles elle donne
la dernière fin. Sum. theoL, I^ IP-, q. xiii, a. 1 ;
II’IP’, q. xxiii, a. 8. D’autre part, cette fin surajoutée
à l’acte par la charité, n’est relativement à
lui qu’une fin extrinsèque et accidentelle (finis ope
rantis), sur laquelle la fin intrinsèque, le motif essentiel
de l’acte, doit prévaloir comme spécification ;
aussi l’acte reste-t-il avant tout un acte d’espérance,
un acte intéressé ; commandé par la charité, il n’est
pas transformé par elle en acte désintéressé, il n’est
pas épuré » par elle ; Fénelon s’efforce en vain de
conclure cela de ces textes, sous prétexte que, d’après
saint Thomas, la charité donne à l’acte qu’elle commande,
sa forme, son espèce, t. ii, p. 349. Mais la
question est très complexe ; il n’est donc pas étonnant
que Fénelon, confondant deux cas psychologiques qui
ont une certaine analogie, ait pris du premier, le désintéressement
absolu de l’acte, et du second, la
conservation de l’acte d’espérance comme vertu
distincte avec son motif propre, et qu’il ait voulu
réunir en un seul et même cas deux propriétés qu’un
acte ne peut posséder à la fois. En réalité, c’est dans
le premier cas que Fénelon se place pratiquement,
il ne laisse donc plus à l’acte le motif propre et intéressé
de l’espérance. Mais il prétend le lui laisser,
sous prétexte que c’est notre salut, notre bien que nous
voulons alors, pour la seule gloire de Dieu. Ce sont,
dit-il, « des actes de vraie espérance… Ils ont l’objet
formel, qui est le bonum mihi : par là ils ont un motif
qu’on peut en un sens nommer intéressé… C’est un
vrai motif, et c’est dans un sens un motif d’intérêt
propre, et même du plus grand de tous les intérêts, »
t. II, p. 258. Il ne voit pas que notre salut, notre béatitude,
n’est pas un motif, mais un objet matériel
que nous pouvons désirer pour des motifs bien différents,
et que lui-même ne désire plus que pour le
motif désintéressé de la charité. L’évêque de Chartres
lui en fait très bien la remarque : « Quoique le bonum
mihi demeure comme objet, il n’y demeure pas comme
motif, c’est-à-dire raison qui meut ; parce que, comme
il est dit après, p. 45 (du livre des Maximes), on le veut
par pure conformité à la volonté de Dieu, c’est-à-dire
que la conformité à sa volonté est la seule raison qui
meuve : « Je ne le veux pas par ce motif précis qu’il « est mon bien ; mais je le veux par pure conformité
à la volonté de Dieu. » Loc. cit., p. 268. Voir
Éludes du 20 juin 1911, p. 745-753.
4° système, dernière évolution des idées de Fénelon sur l’espérance : l’espérance intéressée, apanage du commun des fidèles, se compose en réalité d’un mélange de surnaturel et de naturel ; le naturel, c’est la tendance à « l’intérêt propre » ; purifiez l’espérance surnaturelle de cet élément étranger, vous l’aurez telle qu’elle est en elle-même, c’est-à-dire absolument désintéressée, ainsi chez les parfaits. On voit que cette nouvelle conception est opposée à la précédente, qui reconnaissait l’espérance surnaturelle comme intéressée en soi, avec l’École.
Une première ébauche du système, empruntée à une phrase de saint Bernard, donne à cet élément naturel le nom de cupidité soumise. « N’est il pas vrai,