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ESPRIT-SAINT

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Il y a, eu effet, un certain nombre de principes communs à la tliéolo, i, ’ie trinitaire grecque et latine, principes qu’on ne saurait répudier sans bouleverser en nême temps l’cconomie divine de la sainte Trinité. De ces principes, par une série de déductions rigoureuses, la spéculation théologique établit que le Saint-Esprit ]5rocède du Père et du Fils. Rejeter cette conclusion après avoir accepté les principes d’où elle a été déduite, ce serait ou renier les principes eux-mêmes, ou violer les lois immuables de la pensée, les règles les plus élémentaires de la logique.

D’après la théologie grecque et latine, le Saint-Esprit est la troisièiue personne de la sainte Trinité. 11 procède donc du Père ayant engendre le Fils ; il s’ensuit que le Fils a sur le Saint-Esprit une priorité d’or141ne. Cette priorité n’entraîne pas avec elle une priorité chronologique, car les processions divines s’accomplissent toutes dans le perpetinim nunc de l’éternité. Si le Saint-Esprit procède donc du Père ayant engendré le Fils, dans l’ordre des processions divines, il présuppose à la fois le Père et le Fils.

Mais il y a un autre principe commun à la théologie trinitaire de l’Orient et de l’Occident. Saint Athanase déclare qu’on attribue au Fils tout ce qu’on attril )ue au Père, excepté la paternité. Oral., iii, contra nrianos, 3, 4, P. G., t. xxvi, col. 328. La même doctrine est exposée par les Pères grecs du iv<e siècle, en particulier par saint Basile. De fuie, 2, P. G., t. xxxi, p. -165, 468. Cette doctrine des Pères grecs est con<lensée dans la formule suivante : Tout est commun aux personnes divines, excepté s’il y a opposition de relations personnelles. Or, rEsprit-Saint, en tant qu’il est troisième jîersonne, présuppose le Père et le Fils, et entre le Père et le Fils tout est commun, hors les relations opposées de paternité et de filiation. Si cela est vrai, nous devons nécessairement admettre que le pouvoir de produire le Saint-Esprit appartient eu même tenips au Père et au I-’ils, parce que ce pouvoir ne s’oppose ni à la paternité ni à la filiation. Saint Thomas résume ainsi cet argument : Pater et Filins in omnibus m unum sunl, in quitus non dislinguil inlcr eos relalionis oppnsilio. Unde cnm in hoc, quod est esse principium Spirilus Sancli, non opponantur relative, sequitur quod Pater et Filius sunt unum principium Spirilus Sancli-Sum. theoL, I » , q. xxxvi, a. 4. C-j qui ne sépare pas le Père et le Fils, argumente Grégoire Mamnias, est commun au Père et au Fils ; mais la spiralion du Saint-Esprit ne sépare pas le Père et le Fils. Elle appartient donc au Père et au Fils. Ad imperalorem Trapezunlis, 6, P. G., t. CLX, col. 213.

Eu d’autres termes, à la lumière de la révélation, nous posons une distinction réelle entre les relations pcrsouuelh’s en Dieu, nous admettons entre les personnes divines une priorité et postériorité d’origine. Sans cet ordre des processions divines, sans cette àxo/ou’ii’a /.x-.’x Tx’iv, nous ne pourrions plus parler d’une seconde et d’une troisième pers()niu’s eu Dieu. L’unité de Dieu serait sauvegardée, mais la distinction réelle des hypostases divines s’évanouirait. Si cet ordre d’origine est donc nécessaire, le I-ils, en tant qu’il est la seconde personne, ne saurait être la troisième ; le Saint-Esprit, en tant qu’il est la troisième, ne saurait être la econde. Et si le Saint-Esprit est ncces.saireinent le troisième dans l’ordre d’origine, il est évident qu’il dépend, quant à sou origine, de la seconde personne, de même que le fruit, pour donner un exemple que les Pères grecs citent communément, dépend à la fois de la racine et de la branche.

La théologie orthodoxe n’a jamais su répondre h cet argument qui se résume dans le syllogisme suivant : « D’après l’ordre d’origine, énoncé comme nécessaire dans l’Écriture sainte et la tradition, la génération du Verbe précède logiquement la procession du Saint Esprit ; mais le Fils en naissant reçoit du Père toutes ses perfections et ses énergies divines, hors la seule paternité ; le Fils donc reçoit du Père la nature divine, et avec elle l’énergie spiratrice du Saint-Esprit et, par conséquent, il est avec le Père le principe du Saint-Esprit. » La force démonstrative de cet argument est telle que plusieurs théologiens russes de notre temps ont été obligés d’avouer que, au point de vue de la spéculation théologique, le Filioque renferme une parcelle de vérité. Kireev, A propos de la question vicux-catliotique, dans Bogoslovskij Vicslnik, Scrghiévo, 1807, t. i, p. 326 ; Livansky, U archiprêlre Janychev et la nouvelle crise doclrincde de l’Église russe, Fribourg, 1888, p. iv-V. Cf. Palmieri, La consustanzialita divinae la proccssione dello Spirito S(U}to, Rome, 1900, p. 0.

2 » Solution des objections. — La Myslugogic de Photius renferme de nombreuses objections théologiques contre la procession du Saint-Esprit ab ulroquc. Photius y déploie en pure perte toute la souplesse de son esprit dialectique. Ses objections, ainsi que celles de .Jean Phournès, Nicolas de Méthone, Théophylacte de Bulgarie, ont été vigoureusement réfutées par Jean A’ekkos, De unione Ecclesiarum, 35-68, P. G., t. cxli, col. 94-156. Elles ont été reprises, de nos jours, par le métropolite Macaire, op. cit., t. i, p. 343-347, et le docteur Gouscv, de l’Académie ecclésiastique de Kazan, Une apologie jésuitique de la doctrine du Filioque, Moscou, 1900.

La théologie orthodoxe reproche d’abord à la théologie latine des tendances rationalistes. D’après Gousev, les arguments théologiques latins qui établissent le Filioque se conforment aux lois de la pensée humaine et aux principes de la logique et de l’ontologie, mais ils ne répondent jias aux témoignages de l’Écriture sainte et de la tradition. Op. cit., p. 10. Si nous comprenons bien la portée de ce reproche et si nous en tirons les conséquences, la contradiction serait possible entre les vérités de l’ordre surnaturel et les vérités de l’ordre naturel ; une proposition pourrait i être conforme aux lois de la dialectique et, en même I temps, contraire à la révélation divine. Il va sans dire I que cet axiome ruine de fond en comble la base sur laquelle repose l’apologétique du christianisme. La théologie orthodoxe, aussi bien que la théologie catholique, soutient cette thèse, que Dieu, comme vérité essentielle, est la source de toute vérité, et que la vérité créée découle de Dieu. Il n’y a donc pas de contradiction i)Ossible entre cette vérité et la vérité incréée, car, si elle était possible, Dieu lui-même serait à la fois le principe de la vérité et le principe de l’erreur.

La théologie catholique, à l’égard du Filioque, n’innove pas dans le domaine de l’apologétique traditionnelle ; elle n’est pas asservie, comme le jirétend Gousev, aux sophismes captieux d’un rationalisme sui generis. Op. cit., j). 10. Les Pères de l’Église ont été les premiers à donner rexemple d’élargir les horizons de la pensée chrétienne dans l’étude du mystère de la Trinité. La nécessité d’en appeler A la raison, ; la logique, pour montrer, en partant de principes révélés, que la procession du Saiut-lCsprit est exigée par l’économie divine de la sainte Trinité, n’est donc pas le produit du rationalisme théologique de l’iiglise latine. La théologie latine a marché sur les traces des Pères et, en même temps, a dû suivre l’exemple de Pliotius.qui, le premier, a transporté la controverse du Filioque sur le terrain rationnel. La Mystagogie, en elTct, est toute tissée d’arguments théologiques et de subtilités dialectiques, Hergenrothcr, J’hotius, t. iii, p. 400, et c’est pour réfuter ses sophismes quc la théologie latine s’est placée sur le même terrain. D’ailleurs, s’il est iiennis aux théologiens orthodoxes de combattre le Filioque par des raisons theologiqucs,