être faite à Dieu, est, par conséquent, un vœu. D’abord, il n’y a aucune raison pour que l’homine s’engage vis-à-vis d’un autre homme à l’état de perfection. Si l’on excepte l’obéissance, que m’importe que Pierre ou Paul pratique les conseils évangéliques de pauvreté ou de chasteté ? S’ils veulent tendre à un degré spécial de chasteté, quels motifs puis-je avoir de les en empêcher ? Une promesse de ce genre deviendrait caduque par défaut de motifs sérieux.
En outre, la promesse faite à un homme serait purement humaine, l’état qu’elle déterminerait serait sacré, d’ordre divin et dès lors il n’y aurait aucune proportion entre la cause et l’effet.
L’état de perfection a pour fin la perfection de la divine charité, mais cette fin peut être poursuivie de deux manières : ou bien en recherchant la perfection pour soi, ou bien en la communiquant aux autres. Dans le premier cas, c’est l’état religieux dans lequel le chrétien, par l’émission des trois vœux de pauvreté, chasteté et obéissance, s’engage à la pratique de la perfection par la pratique des conseils évangéliques. Dans le second cas, c’est l’état de l’épiscopat ; l’évêque, dans sa consécration, contracte l’obligation de se dévouer au salut du troupeau qui lui est confié, et donc de développer en lui la divine charité. Obligation stable, puisque l’évêque est uni à son église par un mariage spirituel, de sol indissoluble.
Gomme les curés ont, eux aussi, charge d’âmes et sont attachés à une portion déterminée de l’Église, on peut dire, par analogie avec l’épiscopat, qu’ils sont dans un état de perfection.
Ainsi, l’on distingue deux états de perfection : l’un passif, état de perfection à acquérir, status perfectionis acquircndæ, l’autre actif, état de perfection à communiquer, status perfectionis communicandse. Dans le premier état, le religieux tend à la perfection dans son âme ; dans le second état, l’évêque (et par analogie le curé) produit la perfection dans les âmes qui lui sont confiées.
Ne pourrait-on pas imaginer un troisième état de perfection dans lequel le chrétien resterait, se maintiendrait dans la perfection acquise ? Personne ne pouvant sans présomption se déclarer parfait, ce troisième état serait fictif et mensonger. En outre, comme la perfection dépend de la grâce divine, le chrétien est absolument impuissant à s’établir et se fixer dans un degré déterminé de perfection.
Les deux états de perfection dont nous venons de parler peuvent se déduire du terme de la charité. La charité a pour objet Dieu et le prochain ; amour de Dieu, elle donne naissance à l’état de perfection des religieux ; amour du prochain, elle est le fondement de l’état de perfection des évêques.
Jésus-Christ est la cause et l’exemple de toute perfection. Or, d’une part, il a voulu promouvoir dans son Église le zèle de la perfection à laquelle il exhorte les hommes et la pratique des conseils évangéliques ; d’autre part, il a institué le ministère pastoral auquel il propose cette règle : « Le bon pasteur donne sa, vie pour ses brebis. » Joa., x, 11. Ce qui constitue pejjples évêques l’état de perfection, c’est l’obligation perpétuelle de se dévouer au salut des âmes. Dans cette formule sont contenus les trois éléments de la charité parfaite envers le prochain : 1. l’amour des ennemis, jiarce que la sollicitude de l’évêque doit s’étendre à toutes les brebis sans exception, même à celles qui seraient rebelles. Ne doit-il pas, à l’exemple du Maître, laisser au bercail les quatre-vingt-dix-neuf brebis pour se mettre à la recherche de la brebis égarée ? — 2. le sacrifice de sa vie, parce que cette sollicitude quotidienne, constante, de l’évêque pour son troupeau, comprend la vie tout entière ; — 3. la communication des dons divins les plus précieux,
puisqu’il s’agit de la sublime fonction de pasteur spirituel. La perfection de la charité envers le prochain, n’est-ce pas de lui donner Dieu ? Telle est la doctrine de saint Thomas dans l’opuscule De per/cclione vitæ spiritualis, c. xvi, xvii, et dans la Somme tfiéotof/ique, 11 » II*, q. xviil.
Sans doute, plusieurs théologiens de marque, tels que Bellarmin, Controv., 1. II, c. ii, n. 7 ; Suarez, De retigione, tr. VII, 1. I, c. xv, n. 7 ; Bouix, De jure regularium, part. I, sect. i, c. iv, soutiennent que l’évêque est dans l’état de perfection acquise, perfectionis acquisitse ; mais cette opinion soulève de graves difficultés. Cf. Vermeersch, De religiosis, c. i, n. 9 ; Génicot, Theol. moralis, t. ii, n. 92. En effet : 1. La nature d’un état de vie est déterminée et se connaît par la profession publique qui en est faite. Or, il est manifeste que rien dans la consécration des évêques n’indique que ceux-ci sont parvenus à l’état de perfection, ou qu’ils entrent dans un état de perfection acquise.
— 2. Il est vraiment difficile de soutenir que les évêques ont acquis la perfection à laquelle tendent les religieux en vertu de leur état. « Les évêques, écrit Bellarmin, loc. cit., devraient être parfaits, c’est-à-dire avoir atteint le degré de charité auquel tendent les religieux par leurs vœux et leurs exercices. » Et ce degré de charité il le définit : « Celui dans lequel Dieu est aimé autant qu’il peut l’être par une créature jnortelle. » Assurément, il est à souhaiter que les évêques soient ornés de toutes les vertus au plus haut degré et, cependant, qui oserait affirmer que leur charité atteigne un degré tel qu’ils aiment Dieu autant qu’il peut être aimé par une créature mortelle, suivant la formule de Bellarmin ? Saint Thomas ne dit-il pas : « Il n’est pas nécessaire de choisir pour évêques ceux qui sont les meilleurs par la charité, » Sum. theol. ^ II » 11=^, q. CLxxxv, a. 3 ? Le souverain pontife n’accorde-t-il pas à de saints évêques la permission d’entrer dans un ordre religieux ? Mais alors, comment pourraient-ils tendre à une perfection qu’ils ont acquise par état ?
3° Comparaison entre les différents étals de perfection. — Pour mieux comprendre les considérations qui précèdent, il est utile de comparer entre eux l’évêque, le prêtre, le religieux. Cette comparaison est développée longuement par Suarez, De religione, tr. VII, 1. I, c. xvii-xx, il nous suffira de résumer brièvement l’enseignement de saint Thomas sur ce point. Sum. theol., Il » II » , q. CLXxxiv, a. 6. Il importe de remarquer que la comparaison ne porte pas sur le mérite des personnes, mais sur la condition objective de leur vie. i
On peut prendre comme termes de comparaison : l’état, Vordre, la fonction. — Au point de vue de l’élut de vie, les personnes constituées dans l’état de perfection, à savoir, les évêques (les curés par analogie de ministère) et les religieux, sont supérieures aux shnples prêtres séculiers. Au point de vue de l’ordre, les évêques sont supérieurs aux prêtres et ceux-ci l’emportent sur les religieux qui ne sont pas revêtus du sacerdoce. Enfin, au point de vue de la fonction, on doit donner le premier rang à ceux qui ont charge d’âmes.
La supériorité qui résulte des trois éléments que nous venons de considérer est partielle et relative. S’agit-il de la dignité adéquate, intégrale ? Dans ce cas, le premier rang revient incontestablement aux évêques. Ils l’emportent, en effet, sur les prêtres et les religieux par l’ordre, par la fonction et encore par l’état de vie. L’état épiscopal se place au-dessus de l’état religieux par l’obligation plus stricte de se dévouer au salut des âmes et par la sainteté que suppose ce ministère. Cf. S. Thomas, De perfccl. vitæ spiritualis, c. XVII. Saint Tliomas rapproche de la per-