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ÉTRANGERS — EUCHARISTIE D’APRÈS LA SAINTE ÉCRITURE
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EUCHARISTIE D’APRÈS LA SAINTE ECRITURE


se serL pas de ce mot une fois eu passant et comme par inattention, mais à neuf reprises. Il assimile la manducation du pain de vie à celle de la manne qui ne fut pas métaphorique. Nous sommes donc bien en face d’une idée nouvelle et force nous est d’entendre les mots au sens propre. Si nous admettions qu’il s’agit ici comme précédemment de la foi, non seulement nous dirions que la pensée n’avance pas, mais nous affirmerions qu’elle recule ; nous croirions qu’après avoir employé treize versets pour dissiper ce qu’il y avait d’obscur dans les expressions métaphoriques dont il a usé, après avoir expliqué les figures, Jésus recourrait à des locutions plus équivoques que les précédentes ; qu’il exposerait sous une forme énigmatique et paradoxale les idées déjà présentées en termes très clairs ; qu’il se servirait de métaphores dont personne ne se serait servi n » avant ni après lui et qu’il le ferait sans en donner l’intelligence à ses auditeurs.

b. 2° développement : il faut manger la chair de Jésus et iMire son sang, 51 d-54. — La première proposition de ce nouveau développement fait apparaître le mot chair non employé auparavant.’O apTo ; Se riv ifi’o èiitiui T| trâf ; uo’j eiTiv ûitkp ttiÇ toO xôajiciy ï(i)f|Ç, ce qu’on traduit d’ordinaire : Le pain que je donnerai, c’est ma chair pour la vie du monde. B.’Weiss a proposé de lire : Le pain que je donnerai, ma chair, est pour la vie du monde, ce qui lui permet de conclure qu’il n’est pas question ici de l’eucharistie. Loisy, op.cil., p. 455, a bien jugé cette tentative : « Phrase entortillée, d’allure moderne, de signification indécise et llottante qu’on ne songerait pas sans doute à couper si ijizarrement, si le sens naturel cju’elle présente ne déconcertait quelque préjugé théologique. » On trouve d’autres leçons, mais qui ne paraissent pas modifier l’idée fondamentale. Les onciaux B, C, D, l’omettent 01 £, ’( » ) Sio-j’.) : « Le pain, c’est ma chair pour la vie du monde. » Le Sinailicus porte : « Le pain que je donnerai pour la vie du monde, c’est ma chair, » leçon adoptée par de Gebhardt et Calmes. Certains Pères grecs lisaient : « Le pain que je donnerai, c’est ma chair que je donnerai pour la vie du monde. » La pensée, on le voit, reste la même.

Quelle est-elle’? De rares critiques ne veulent voir ici que la promesse de l’eucharistie et excluent toute allusion à la passion et à la mort de Jésus. Cf..1. Réville, op. cit., p. 65, 66. Ils rapprochent cette affirmation de celle duꝟ. 33 : » Le pain de Dieu, c’est celui qui descend du ciel et donne la vie au monde ; » ils estiment meilleure et ils considèrent comme leur étant favorable la leç » n du Sinaiticus citée plus haut ; ils observent que la chair du Christ est vivifiante non commit chair d’une victime morte, mais en qualité de chair du Logos. Ils relèvent l’emploi du mot Tcip ? (et non du mot iMuia) qui, chez les Hébreux, désigne la nature physique de l’homme et qui, pour ce motif, est choisi par saint Jean pour nommer l’incarnation (et le Verbe devint chair, i, 14). Certains Pères grecs, d’ailleurs, avaient déjà entendu ainsi ce passage.

.Mais cette interprétation ne paraît pas suffisante. Soutenir qu’il est fait allusion ici à l’incarnation seulement paraît impossible. Cet acte n’est pas la seule preuve que la chair de Jésus a été donnée pour la vie du monde. Les versets précédents, 36-40, contenaient toute une doctrine de l’incarnation. Or, ici, comme l’observe Hatiffol lui-même, op. cit., p. 93, malgré sa préoccupation de ne pas encore trouver l’eucharistie, « nous sommes à un tournant du discours du Sauveur, quelque chose de nouveau doit donc ni>p ; iraltrc. La conception de l’incarnation comme un sacrifice n’est d’ailleurs pas exprimée par saint Jean. Les mots « pour la vie <hi monde font beaucoup plus naturellement penser ù la passion et à

la mort du Sauveur. Ils rappellent ces autres affirmations : <i Le Père m’aime parce que je donne ma vie… Personne ne me l’ôte, mais je la donne moi-même. » Joa., X, 11, 17, 18. Ils semblent une anticipation de la déclaration du Christ à la cène : " Ceci est mon corps pour vous, » I Cor., xi, 24 ; « Ceci est mon corps qui est donné pour vous… Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang qui est versé pour vous. » Luc, XXII, 19, 20.

Mais doit-on dire que seule ici la passion de Jésus est annoncée, que « l’idée de l’eucharistie ne lui est pas encore associée ? » Batifïol, op. cit., p. 94. Cf. Cajetan, Jansénius de Gand et quelques catholiques ; parmi les protestants, la plupart des anciens et quelques conservateurs aujourd’hui. Si Jésus n’avait voulu ici qu’annoncer sa mort il « se serait grandement torturé l’esprit pour exprimer la chose la plus simple du monde. » Loisy, op. cit., p. 455. S’il avait eu seulement l’intention que lui prêtent certains protestants de promettre le salut par la foi à sa passion rédemptrice, il aurait oublié de le dire, car il ne parle pas ici de la foi à cette passion. Il annonce sa mort, dans une fin de phrase, sans en avoir parlé auparavant, sans en parler dans la suite : il semble donc bien qu’elle n’est pas seule l’objet de sa préoccupation en ce moment. Et si, comme Batiffol l’avoue, les mots « pour la vie du monde » correspondent aux mots » pour vous » de saint Paul et de saint Luc, ne faut-il pas conclure que, dans ce discours comme dans les paroles de la cène, il est question de l’eucharistie et de la passion ? Donnée sur la croix pour le salut des hommes, la chair de Jésus l’est aussi dans le sacrement. Au repas comme au calvaire, Jésus se livre. Et l’eucharistie apparaît déjà comme une communion au Sauveur dans le symbole de sa mort.

D’autres indices ont été relevés en ce verset. Jésus parle du pain (ou de la chair) qu’il donnera. L’emploi du futur n’est peut-être pas tout à fait nouveau (voir 27). Mais dans la première partie du discours, les verbes sont presque tous au présent ou au passé. S’il s’agit plus haut de la foi, de la doctrine du Sauveur, ici de sa passion et de son eucharistie, la différence s’explique aisément. Déjà Jésus a enseigné, a accordé le don de la croyance en lui ; il n’a pas encore livré sa chair.

On peut souligner enfin une autre différence entre le langage des deux parties. D’abord, c’est le Père qui donne, 32, 37, et dans les premiers développements son action sur les hommes est mise continuellcinent en relief. Le Fils intervient comme son envoyé, pour communiquer ce qui est du ciel : intelligence et volonté du Père, pour recevoir ce que le Père attire à lui. Ce langage se comprend très bien s’il s’agit de la doctrine : le Christ, dans le quatrième Évangile, est présenté avec insistance comme le Logos qui révèle le Père aux hommes. Maintenant, au contraire, il est parlé du pain que.lésus donnera et le travail du Père sur les hommes n’est plus mentionné une seule fois dans cette seconde partie. Si elle traite de l’eucharistie, tout s’explique : le sacrement est vraiment le don personnel, relui de la personne de Jésus.

A peine le Sauveur a-t-il prononcé le mot « chair que les discussions s’élèvent parmi ses auditeurs. « Comment peut-il nous donner sa chair à manger ? » 52. Ainsi les Juifs ont entendu an sens littéral les paroles de Jésus. Aupara : int. les interruptions avaient été tout autres : « (^ue devons-nous faire ? Quel signe accomplis-tu pour que nous croyions en toi… ? Donne-nous toujours de ce pain-là. N’est-ce pus Jésus, le fils (le.loseph ? » 28. 30. 34. 42. Ici, la question est tout autre. Les auditeurs ont compris que le sujet de la conversation n’est plus le même, que Jésus les in-