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EUCHARISTIE D’APRES LA SAINTE ÉCRITURE


force légèrement pour les besoins de la cause, il y a des différences notables. Dans l’un et l’autre cas, il est question de pain d’orge ; rien d’étonnant : ce pain est la nourriture ordinaire. Et si l’cvangéliste avait composé son récit, sans souci des faits, uniquement de traits symboliques, il aurait plutôt dû choisir le froment pour marquer la valeur de la nourriture eucharistique. Il est vrai que le pain d’orge aurait été appelé par une intention symbolique ; il rappellerait le pain des prémices (celui dont parle le récit des Rois), la fête de Pâque en laquelle le Christ fit la cène eucharistique. Loisy, op. cit., p. 427. Il est plus naturel de croire que le trait indiqué est historique : le jeune homme a apporté le pain qui est d’usage courant. Le rapprochement essayé est d’ailleurs sujet à caution. Nous ne sommes qu’à proximité de la Pâque ; or, c’est seulement le 16 nisan, second jour de cette fête, que s’offrait la gerbe des prémices.

Le jeune homme (jtatSipiov) semble-t-il « représenter les ministres auxiliaires de la cène eucharistique chez les premiers chrétiens ? » Loisy, lac. cit. Son rôle ne rappelle que bien imparfaitement les fonctions des diacres ; son nom n’évoque pas leur souvenir.

La foule, cinq mille hommes, s’asseoit sur le gazon. Ce détail et ce chiffre sont dans les Synoptiques aussi bien que dans saint Jean. Et les symbolistes les plus convaincus ne peuvent donner une explication mystique de leur présence. Alors a lieu la bénédiction des pains. D’après saint Jean, Jésus rend grâces (s-Jyapc(7Tr|(Taç), 11, ’-3. Les Synoptiques disaient qu’il avait béni les pains (îù/oYOTev). Le quatrième Évangile, conclut-on, « préfère le terme sacramentel par lequel on désignait de son temps l’eucharistie et qui est déjà employé par Marc et Matthieu dans le récit de la seconde multiplication des pains. » Loisy, op. cit., p. 428 ; J. Réville, op. cit., p. 184. Même s’il en était ainsi, on ne pourrait conclure de ce fait que l’auteur a conçu artificiellement son écrit en vue de l’idée théologique à exprimer. Deux autres évangélistes emploient ce même verbe eJyâpcciTE’v, à propos de la seconde multiplication des pains. D’ailleurs, Matthieu et Marc, dans le récit de la cène, usent à la fois de ce mot et de l’autre terme £J), oYciv ; le dernier, verbe actif, montre mieux l’opération exercée sur l’objet. Et si l’auteur du quatrième Évangile substitue à l’histoire l’allégorie, pourquoi n’a-t-il pas gardé un autre mot qui figure dans les récits des trois Synoptiques, Matth., XIV, 19 ; xv, 36 ; Marc, vi, 41 ; viii, 6 ; Luc, IX, 16, mot qui, d’autre part, se retrouve dans les narrations de la cène et devint un des termes techniques par lesquels on désigna dans la haute antiquité l’eucharistie ? Voir Matth., xxvi, 26 ; Marc, XIV, 22 ; Luc, xxii, 19 ; I Cor., xi, 24. Pourquoi n’a-t-il pas observé que Jésus « rompit » les pains après les avoir bénis ? Il aurait ainsi annoncé la nourriture eucharistique et son rapport avec la passion du Sauveur.

Pourquoi encore, s’il veut uniquement faire penser à la communion, saint Jean écrit-il que les pains furent distribués par Jésus lui-même, 11, et non par les apôtres ? On lit dans les Synoptiques : le Christ, « rompant les pains, les donna à ses disciples, et les disciples les donnèrent au peuple. » Matth., xiv, 19. Ce sont donc eux, et non le quatrième Évangile, qui pourraient être accusés de vouloir présenter « les Douze comme distributeurs de pain de vie. »

Et que viennent faire les poissons dans le récit de saint Jean, s’il est purement symbolique ? Le quatrième Évangile n’aurait dû mentionner que le pain, seul nommé dans le discours suivant, ou lui adjoindre le vin. Le poisson serait un symbole complémentaire de la vie. Loisy, op. cit., p. 428. Qui le prouve ? Pour quoi serait-il clioisi de préférence à d’autres mets accessoires ? Quelle raison de désigner un sij/nbolecomlilémenlaire’.’Et pourquoi saint Jean insisterait-il plus que ses devanciers sur ces poissons, sur leur distribution à la foule, sur ce qu’en reçut chacun ? Le poisson serait une figure de Jésus, a-t-on sui)posé encore. Sans doute il en fut ainsi plus tard, mais rien ne montre que ce symbolisme soit aussi ancien que le quatrième Évangile. Le poisson est nommé dans les récits des Synoptiques. Et on s’explique à merveille cette donnée : n’est-on pas sur les bords du lac ?

La foule est rassasiée et il y a surabondance. Jean dit qu’il reste du pain, est-ce pour montrer <" le caractère permanent, inépuisable du pain de vie ? » Loisy, op. cit., p. 428. Même si l’auteur avait cette pensée, le récit pourrait être historique, le sens littéral recouvrirait une figure. Mais le trait semble plutôt être consigné afin d’accentuer le caractère merveilleux de la multiplication des pains. Jésus ordonne, il est vrai, au. disciples de recueillir le superflu « pour que rien ne soit perdu, » 12. Cet ordre rappelleraitil l’usage liturgique de ne rien laisser à l’abandon des éléments eucharistiques ? Il peut fort bien se justifier sans qu’on recoure à cette hypothèse : ce pain servira dans la suite. Si c’est aux Douze que cette invitation est adressée, est-ce pour signifier que le pain de vie est confié aux apôtres, ce qu’achèverait de prouver le nombre des douze corbeilles remplies de débris ? Loisy, op. ciV., p. 428. Inutile de le croire. On comprend fort bien que Jésus fasse exécuter ses volontés par ses disciples, et puisqu’ils sont douze, qu’ils recueillent douze corbeilles de morceaux. Était-il « plus conforme au sTnbolisme » que seuls les débris de pain et non ceux des poissons fussent recueillis ? Op. f (7., p. 429. Si oui, c’est que le poisson n’est pas une figure de la nourriture eucharistique, et il aurait donc dû disparaître du récit tout entier.

Après le miracle, raconte saint Jean, 14, 15, 1a foule croit que Jésus est le prophète, veut lui donner la royauté et le Sauveur se retire. Il n’y aurait pas là une afiirmation d’un fait réel, mais la description, sous forme d’incident concret, des sentiments desGaliléens et la transposition de la relation relatée par les Synoptiques. Loisy, op. cit., p. 431, 432 ; J. Réville, op. cit., p. 187. Ce sont là des hypothèses gratuites. Il est, au contraire, très vraisemblable qu’à la suite de ce miracle, la foule ait vu en Jésus un prophète, le Messie national, roi des Juifs. Les premiers Évangiles affirment, eux aussi, que les témoins des prodiges du Christ se demandaient ce qu’il était, qu’avant le jour de l’entrée triomphale à Jérusalem, ils avaient acclamé en lui le « Fils de David » .

Les essais tentés pour transformer le second miracle raconté au c vi, la traversée du lac, en épisode symbolique dépourvu de valeur historique, sont encore moins heureux. L’évangéliste voudrait préparer les lecteurs à admettre « que le corps du Christ n’est pas soumis aux conditions ordinaires des corps humains ; » les inviter ainsi « à ne pas s’étonner que sa chair puisse être un aliment surnaturel. » J. Réville, op. cit., p. 176. Loisy écrit de même que Jean k transforme » un épisode des Synoptiques « dans une intention didactique, » pour « faire entendre que le Verbe incarné, qui tout à l’heure parlera de donner sa chair en nourriture et son sang en breuvage, n’est pas soumis aux lois de la matière, pas plus à la loi de l’étendue qu’à celle de la pesanteur. » Op. cit., p. 436.

D’abord, le fait n’est pas raconté par le quatrième Évangile seul ; les Synoptiques le relatent. Et d’autre part, cette idée de l’immatérialité du corps de Jésus n’est pas relevée dans le discours sur le pain de vie.

Si saint Jean ne se soucie que de la partie allégorique du miracle, pourquoi est-il plus précis que les Synop-