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EUCHARISTIE D’APRÈS LA SAINTE ÉCRITURE


Père. Et vous, les Douze, voulez-vous aussi me quitter ? — Vous avez les paroles de la vie éternelle, répond Pierre.

Tout se tient, s’enchaîne ; le développement n’a rien de fictif, d’artificiel. Et on sent que les faits ont fort bien pu se passer ainsi : rien ne s’y oppose. Le Sauveur greffe habilement son enseignement sur le miracle ; il révèle peu à peu sa pensée ; il recourt à la comparaison de la manne pour mieux faire accepter ce que son langage a d’insolite ; il parle d’abord de la foi, ensuite seulement de l’eucharistie. Et parce que l’idée est neuve, parce que ses auditeurs ne peuvent facilement comprendre que la chair de Jésus sera une nourriture, le Sauveur se répète, insiste, emploie des expressions toujours plus fortes. Aussi un certain nombre de disciples scandalisés l’abandonnent. Le Maître n’en est pas surpris, il sait et reconnaît que sans la foi on ne peut adhérer à son enseignement, et qu’il annonce un mystère. Les Douze ne disent pas qu’ils ont compris, mais qu’ils croient. La défection des disciples n’est pas dissimulée, aucune préoccupation apologétique n’apparaît. Tout est mystérieux, tout est vraisemblable.

Sans doute, les métaphores sont nombreuses ; mais elles le sont moins qu’on le prétend. Jésus, d’ailleurs, sans faire disparaître tout ? énigme, prend la peine d’expliquer comment il est la manne, le pain du ciel, ce que signifient les mots venir à lui. Le Christ des Synoptiques se sert, lui aussi, de comparaisons, d’allégories, et propose des paraboles. Et si, dans la dernière partie du discours, le Sauveur n’explique pas en quel sens on doit le manger, c’est que le mot doit s’entendre au sens littéral.

Ainsi encore, le Verbe johannique rejoint Jésus des Synoptiques. On a vivement soutenu le contraire. On a essayé d’établir une opposition entre le concept de l’eucharistie du quatrième Évangile et celui de ses devanciers. On a cru découvrir maintes allusions à la liturgie de l’époque et du pays où fut rédigé l’écrit johannique ; on a dit que Jésus parlait de l’eucharistie comme « d’une institution actuellement en vigueur. » Déjà nous avons noté que pour Loisy la présence des restes après la distribution des aliments multipliés fait allusion à la permanence du sacrement ; que l’ordre de ne rien perdre donné après ce miracle rappelle le soin des premiers chrétiens pour ne laisser tomber aucune parcelle consacrée ; que le possesseur des pains d’orge est le type des diacres ; que le mot £J/apiTTT, Ta ; employé dans le récit du prodige est le terme technique qui désigne la cène. D’autre part, « la substitution de (jipç, chair, à Tfuaa, corps, dans le discours sur le pain de vie est aussi à expliquer par le langage liturgique et dogmatique de temps. « Loisy, op. cit., p. 458. L’apparition de Jésus ressuscité dans les réunions des disciples, XX, 26 ; XXI, 1, figure les assemblées dominicales des chrétiens, sous la présidence mystique du Seigneur. Le pain trempé que Jean fait offrir par Jésus à Judas est le rite antique de la communion sous l’espèce du vin ; la mention de l’arrivée de Satan dans l’âme du traître montre l’effet de la mauvaise communion. « L’allégorie de la vigne est une allusion assez directe au cérémonial eucharistique et le chapitre xvi est une prière d’actions de grâces, prototype des prières analogues qui se faisaient dans les communautés après les repas sacrés. » Le récit johannique de la dernière cène insiste sur l’amour, c’est-à-dire sur l’agape, parce que, dans les milieux où vit l’évangéliste, eucharistie et agape sont unies. Les effets du pain de vie sont d’ailleurs exprimés en une théologie tardive, bien postérieure à celle des Synoptiques. La chair du Sauveur est nécessaire au fidèle, pour établir une circuminsession entre Jésus et les fidèles et,

par cette relation, une participation à la vie divine que le Verbe reçoit du Père ; elle dépose pour la Iransformalion finale de l’être des forces que la résurrection mettra en actiuité, et ainsi elle confère la vie éternelle : elle purifie l’âme puisque le lavement des pieds a été substitué à la cène. Loisv, op. cit., p. 428, 458, 708, 710, 714, 729, 918, 919, 936. Voir aussi H. J. Holtzmann, Neulestamentliche Théologie, Leipzig, 1897, t. II, p. 497 sq. ; J. Réville, op. c(7., p. 148, 182.

Si nous discutons chacune de ces affirmations, nous sommes obligés de constater d’abord que les emprunts à la liturgie eucharistique de la fin du i « ’siècle, dans ce qu’elle offrait de spécifiquement distinct du rite primitif, ne sont pas démontrés. Déjà nous avons établi qu’il est impossible d’admettre le caractère symbolique de la plupart des détails du récit de la multiplication des pains. L’emploi du mot 7-/ç* de préférence à Ti : >p.a. s’explique très bien : il est parlé du corps de Jésus comme d’une nourriture, d’une viande céleste, d’une chair qui donne la vie. D’ailleurs, les deux termes sont usités également dans les documentsliturgiques. L’allusion au rite de la communion sous l’espèce du vin est affirmée par les critiques en raison d’une vague ressemblance qu’il est permis de discuter ; d’ailleurs à l’époque où fut rédigé le quatrième Évangile, le ministre de l’eucharistie distribuait-il du vin ou du pain trempé dans la coupe ? Il y a une similitude entre les assemblées des premiers chrétiens et les réunions des disciples honorées de la présence du Seigneur ressuscité : prouve-t-elle que l’évangéliste invente ce qu’il dit de l’eucharistie ? L’allégorie de la vigne est destinée à faire comprendre que les fidèles doivent être unis à Jésus pour porter du fruit ; où est le sacrement ? Les prières eucharistiques de l’ancienne liturgie rappellent l’oraison sacerdotale de Jésus à la cène ; soit, mais est-ce parce que le quatrième Évangile met sur les lèvres du Sauveur les formules en usage de son temps ? N’est-il pas plus naturel de penser que les premiers chrétiens se sont inspirés des paroles du Maître ? Le rapprochement entre l’agape et la cène laisse encore plus rêveur ; l’agape était-elle célébrée là où écrivait saint Jean, et si oui, était-elle unie à l’eucharistie ? Et s’il en était ainsi, faut-il conclure qu’il n’en était pas de même à la première cène, que l’institution de l’eucharistie ne devait pas être liée à un repas, que dans ce repas il ne pouvait pas être question de la charité ? Le recours à la liturgie de la fin du i’"e siècle pour expliquer la juxtaposition des idées de banquet, de sacrement et d’agape n’est nullement nécessaire.

Pas plus que les rites, la théologie johannique de l’eucharistie n’est différente de celle de ce sacrement d’après les autres écrivains. Jésus annonce qu’il donnera sa chair à manger, son sang à boire. Les Synoptiques et saint Paul lui font dire : Prenez, mangez, ceci est mon corps ; buvez, ceci est mon sang, la nouvelle alliance dans mon sang. Le Verbe johannique rappelle que sa chair est livrée pour la vie du monde. A la cène, le Christ des Synoptiques et de saint Paul dit : Ceci" est mon sang versé pour beaucoup, versé pour beaucoup en rémission des péchés ; ceci est mon corps donné pour vous ; ceci est mon corps pour vous, la nouvelle alliance est dans mon sang versé pour vous. Le quatrième Évangile montre dans le sacrement un moyen d’union à Jésus et par lui au Père ; les Synoptiques et l’apôtre disent du sang eucharistique qu’il est celui de l’alliance ; saint Paul prouve que le communiant participe au Seigneur. Faut-il, en raison de l’épisode du lavement des pieds, que Jean place à la cène, attribuer à celle-ci la vertu de remettre les péchés ? Cette conclusion est loin d’être démontrée ; si elle l’était, on devrait se rappeler qu’en saint Matthieu la rémission des péchés est mentionnée dans les