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EUCHARISTIE D’APRÈS LA SAIiNTE ÉCRITURE


déjà présage Vex opère operato. Une conception aussi grossière ne s’harmonise pas avec la piété et la pensée de l’apôtre. Elle est donc antérieure à lui, vient du paganisme, est inspirée de rites dont ne pouvaient se passer les nouveaux convertis de la gentilité. Heitmuller essaie d’appuyer sa thèse sur des analogies : il cite, entre autres exemples d’eucharistie païenne, des rites empruntés au culte de Dionysos Sabazios et à celui de Mithra. Voir aussi Kalthoff, Das ChristusproUem, Grundlimen zu dner Sozialtheologie, ’Leipzig, 1903, p. 48. Sur ce thème de l’origine mythique de la cène, les variations les plus inattendues ont été exécutées. Winsch, Die Lôsung der Abendmahlsjrage, Berlin, 1903, montre dans la communion un sacrifice végétarien ; P. Jensen, Das Gilgamesch-Epos in der WelUilteratur. I. Die Urspriinge der allestamenttichen Palriarchen-Prophelen und Befreier-Sage und der neulesiamentlichen Jcsus -Sage, Strasbourg, 1906, p. 900, croit que la cène constitue un repas d’alliance entre Jésus-Gilgamesch et Dieu et la rapproche du sacrifice offert par Xisuthros sur la montagne du déluge aux dieux qu’il va rejoindre. Eisler, The origins oj the eucharist, dans Transactions of the tliird international congrcss forthe history of religions, Oxford, 1908, t. ii, p. 352, cherche dans l’eucharistie des traces d’un rite essénien non sanglant et du culte syriaque du poisson. Salomon Reinach a évidemment tenté une explication de l’eucharistie par les survivances du totémisme. Dans les religions primitives, le clan sacrifiait son animal sacré, le totem, et le mangeait pour s’unir avec son dieu. Ces idées de communion théophagique et de sacrifice d’un être divin passèrent dans les mystères païens et de là s’introduisirent dans le christianisme : elles sont la source des dogmes de la mort expiatoire, de la résurrection et de l’eucharistie de Jésus. Le récit de la cène est une « traduction anthropomorphique du sacrifice périodique du totem. » Cultes, mythes et religions, Paris, 1905-1908, passim ; Orpheus, liistoire générale des religions, Paris, 1909, p. 334 sq. Non moins audacieux est le défi queBinet-Sanglé jette à l’Évangile, La folie de Jésus, Paris, 1909, t. I : le Christ aurait eu peur d’être empoisonné. De là ses idées de mort, de chair sanglante. Il aurait invité ses disciples à manger le pain et à boire la coupe pour voir si l’empoisonnement se réaliserait.

Des systèmes à tendance plus conservatrice ont été proposés. Haupt, Ucber die urspriingliche Form und Bedeutung der Abendmahlsworte, Halle, 1894, attribua aux paroles de Jésus cette signification qui semble bien moderne : « Ma personne contient les énergies d’une vie plus haute qui voudrait s’unir à la vôtre comme le pain s’unit au corps. C’est surtout grâce à ma mort que s’opérera ce don de vie et de salut. » Jésus, selon toute vraisemblance, désirait que la répétition de la cène fût, après son départ, le moyen et la manière de garder son souvenir ; il en recommanda donc la réitération.

F. Schultzen, Das Abendmahl im neuen Testament, Gœttingue, 1895, se rapprocha davantage encore des interprétations traditionnelles. Les disciples n’ont rien surajouté à l’idée de Jésus ; ils s’en sont tenus à la volonté du Maître. D’après les Synoptiques et saint Paul, le Chrjst avait voulu ménager dans le pain et le vin une communion à son corps et à son sang. La cène était un repas sacrificiel intimement lié à sa mort ; et à ce titre, elle devait être renouvelée.

C’est encore à des conclusions relativement modérées qu’aboutit Schæfer, Das Herrenmahl nach Ursprung und Bedeutung mit Riicksiclit auf die neuesten Forschungen, Gutersloh, 1897. Paul surtout nous fait connaître le dessein du Seigneur. La cène fut un repas pascal, repas d’alliance et de sacrifice dont Jésus a voulu la réitération ; le Christ désirait offrir à ceux qui

s’approcheraient avec foi du pain et du vin le pardon des péchés obtenus par sa mort.

H. J. Holtzmann, Lehrbuch der neutestamentlichen Théologie, Fribourg et Leipzig, 1897, t. i, p. 296 sq., admet, lui aussi, que Jésus présenta à ses disciples le pain et le viii, qu’il établit un rapport entre le pain et son corps, le vin et son sang. D’après lui, le Christ insista sur ce second élément d’une manière spéciale pour indiquer qu’il allait fonder une nouvelle alliance. Le Christ voulut, par son dernier acte, s’unir pour toujours à ses disciples. Moïse, au Sinaï, avait répandu le sang d’un animal et dit : Voici le sang de l’alliance, De même, Jésus proclama que la future alliance se scellerait en son sang, qui devait être répandu comme son corps devait être brisé. Peut-être n’a-t-il pas dit : Faites ceci en mémoire de moi. Mais l’idée de réitérer la cène était la conséquence de son acte. Les disciples ont tout naturellement reproduit le geste du Christ. Ce faisant, d’ailleurs, ils pensaient autant à la multiplication des pains qu’à la cène ; ils voulaient commémorer les deux épisodes qui attestaient le mieux la charité du Christ.

Quelque insuffisante que puisse paraître à un catholique cette explication, elle l’est moins encore que la plupart de celles qui furent proposées depuis. Hoffmann, Das Abendmahl im Urclirislentum, Berlin, 1903, considère comme n’ayant, en fait, aucun rapport réel la cène et l’eucharistie primitive. Et il se demande comment on a pu être amené à rattacher l’une à l’autre. Il distingue différents stades dans la formation du concept qui devait prévaloir. Dans un dernier repas que n’assombrit pas l’idée de sa mort prochaine, Jésus avait distribué le pain et le vin par un acte symbolique destiné à montrer en sa personne le centre d’un groupe de frères. D’autre part, il y eut à l’origine, dans la communauté chrétienne, des repas à caractère religieux ouverts par la prière, dominés par la pensée de la venue prochaine du Sauveur, pensée si forte qu’on avait le sentiment de la présence invisible du Christ. Bientôt, la fin du monde ne se produisant pas, l’attention se porta sur la mort du Christ qu’il fallait expliquer ; on découvrit qu’elle était annoncée par les prophètes ; on supposa qu’il l’avait prédite lui-même, en particulier dans le repas d’adieu. On en vint, par un involontaire besoin, tout naturellement à rapprocher de la dernière cène les banquets fraternels de la communauté. Ce fut le second stade. Puis la foi grandit toujours davantage la personne de Jésus ; on vit en lui le serviteur de Jahvé ; on attribua à sa mort une valeur rédemptrice. Les repas de la communauté devinrent des eucharisties, des actions de grâces pour le bienfait du salut. Et on crut que Jésus avait lui-même à la cène inauguré cet enseignement, institué, en donnant l’ordre de le réitérer, un rite commémoratif de sa mort expiatoire. Telle fut la troisième étape. Saint Paul mit le couronnement à l’œuvre, d’abord en faisant des repas de la communauté une fête de confession et de commémoraison voulue par Jésus à son dernier repas ; puis en comparant la communion aux sacrifices païens, ce qui l’amena à voir dans les aliments eucharistiques non seulement le symbole de la mort du Christ, mais un mystère, un sacrement qui établit une communauté de vie entre lui et les fidèles.

C’est aussi l’idée d’un repas fraternel que Wellhausen, Das Evangelium Marci, Berlin, 1903, p. 125 ; Das Evangelium Matlhœi, Berlin, 1903, p. 136-137 ; Das Evangelium Lucæ, BeTin, 1904, p. 121-122, déclare être primitive. Les mots : Ceci est mon corps, ceci est mon sang, sont des formules destinées à marquer fortement la fraternité qui existe entre commensaux ; la seconde fait allusion à la mort de Jésus. Par son acte et ses paroles, le Christ recommandait à ses disciples l’union entre eux. La participation en commun à la table du