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EUCHARISTIE D’APRÈS LA SAINTE ÉCRITURE


Tous les arguments accumulés pour établir que Jésus n’a pas consacré le pain et le vin se heurtent donc inutilement aux paroles : « Ceci est mon corps » textuellement répétées par les quatre témoins, et à la formule qui se retrouve équivalemment chez tous : « Ceci est le sang de l’alliance. » Vouloir leur opposer un Évangile aujourd’hui perdu et dont on ne peut prouver l’existence, c’est récuser des témoignages réels à cause d’une déposition dont on ne sait si elle a jamais eu lieu.

c. Jésus a donné l’ordre de réitérer la cène, c’est lui qui a institué l’eucharistie. — Paul et Luc rapportent seuls les mots : « Faites ceci en mémoire de moi ; » encore ce dernier ne les insère-t-il qu’une fois dans son récit ; beaucoup de critiques concluent que Jésus ne les a pas prononcés : « S’il est facile de comprendre comment cet ordre a pu être introduit dans un texte qui iie le contenait pas primitivement, on ne pourrait pas s’expliquer, s’il avait fait partie de la tradition primitive, comment il aurait pu disparaître dans les textes de Matthieu et de Marc, » écrit Goguel, op. cit., p. 82, qui cite comme tenants de cette opinion B. Weiss, Brandt, Spitta, Grafe, Joachim, A. Réville, Barth, Wellhausen, J. Hoffmann, W. Schmidt, Andersen, Soltau, J. Réville, Lietzmann. Voir aussi Julicher, Gardner, Titius. Et Berning, op. cit., p. 137, remarque à bon droit que, dès l’origine de la Réforme, on constate une tendance à contester ou à nier l’institution de l’eucharistie par le Christ.

Au contraire, non seulement les catholiques, mais beaucoup de protestants et de critiques n’appartenant à aucune confession affirment l’authenticité de l’ordre de réitérer (Goguel nomme : Keim, Beyschlag, Weizsâcker, 2e édit., Harnack, R. A. Hoffmann, Stapfer, Schæfer, O. Holtzmann, Feine, Zahn). Plusieurs critiques croient que si la parole citée par saint Paul et saint Luc n’est pas authentique, la répétition de l’acte répondait à la pensée de Jésus. H. J. Holtzmann, op. cit., t. i, p. 304." Cf. A. Robertson et A. Plummer, A critical and excgetical commentary on the first Epistle of St. Paul to the Corinthians, Edimbourg, 1911, p. 245.

Un des arguments invoqués par les négateurs de l’historicité est d’ailleurs sans portée contre les catholiques. L’eucharistie est un symbole, donc il n’y a pas lieu de la recommencer : ainsi raisonne J. Hoffmann, op. cit., p. 4. Cette remarque est sans valeur : « La répétition d’un acte symbohque se justifie chaque fois qu’il y a intérêt à rappeler l’idée exprimée une première fois. » Goguel, op. cit., p. 101. D’ailleurs, l’eucharistie n’est pas une simple figure, elle est le don du corps et du sang du Christ, don qupest utile aux fidèles du xxe siècle, autant, sinon plus, qu’aux Douze ; c’est une nourriture, un breuvage : le choix de cette figure semble indiquer qu’on doit la recevoir plusieurs fois.

Une autre preuve mise en avant par certains critiques ne touche pas les exégètes catholiques ou conservateurs. Ceux qui prétendent que le Christ ne s’est jamais préoccupé de ce que deviendraient ses disciples après sa mort, concluent qu’il n’a pu songer à la reproduction de la cène. Mais nous savons que Jésus a voulu étabhr l’Éghse ; et aux critiques qui rejettent ce sentiment, on peut encore faire observer que si, d’après eux, la pensée de la séparation et de l’avenir ne s’est pas présentée à l’esprit du Christ avant la cène, à ce moment la perspective de sa mort prochaine a été entrevue par lui et qu’il a pu songer à ce qui devait s’accomplir après sa vie.

Pour nier l’authenticité des mots : « Faites ceci en mémoire de moi, » il faut abandonner les affirmations de Paul et de Luc. Pourtant, les textes sont authentiques ; ils sont clairs ; rien nepermet de supposer qu’ils

ont été inventés par l’apôtre ou par l’évangéliste. On croit certainement que Jésus a ordonné de réitérer la cène. La meilleure preuve, c’est qu’on la renouvelle à Jérusalem, à Troas, à Corinthe, dans toutes les communautés fondées par saint Paul. L’apôtre ne se contente pas de citer la recommandation du Maître. Il insiste sur l’origine du rite chrétien : ce qu’il a enseigné, il le tenait du.Seigneur, .ussi parle-t-il de la table du Seigneur, de la coupe du Seigneur, du repas du Seigneur. Dans la I" Épitre aux Corinthiens, il se réfère à la doctrine que déjà il a répandue. S’il imaginait à ce moment les mots : « Faites ceci en mémoire de moi, en réprimandant et pour avoir mieux le droit de réprimander les destinataires de la lettre, ils auraient pu l’accuser de modifier sa catéchèse. C’est donc au plus tard quand il entra pour la première fois en contact avec eux qu’il aurait créé cette recommandation. Mais il n’aurait pu le faire sans être sûr de ne pas être démenti par les apôtres, par leurs disciples immédiats, par ceux dont il subissait les attaques. Si l’ordre de réitérer est aussi ancien, il devient impossible de ne pas attribuer au Christ l’institution de l’eucharistie. Car très rapidement, la cène s’introduisit et se répandit dans les communautés les plus diverses : aucune église ne fit opposition, n’hésita à imiter le geste de Jésus. Tout s’explique si les apôtres attribuaient au Christ l’ordre de le réitérer ; or s’ils l’ont fait, comment admettre et démontrer qu’ils l’ont inventé ?

Schmiedel, Die neuesten Ansichten iiber den Ursprung des Abendmahls, dans Protestantisehe Monatshefte, Berlin, 1899, p. 136, a essayé de résoudre ainsi ce problème. On renouvela le repas d’adieu. Un jour peut-être, le président du banquet dit, mais en son nom : « Prenez, mangez. » Quelqu’un s’imagina que ces mots avaient été prononcés par Jésus. Ils passèrent dans Matthieu et Marc. Un autre s’avisa de dire : « Faites ceci en mémoire du Maître » ou d’employer une formule semblable qui fut ensuite placée tout naturellement sur les lèvres du Christ. Voilà quelles hypothèses gratuites on accumule pour éluder un texte ! On sait pourtant le respect que dès la plus haute antiquité les chrétiens professèrent pour les paroles de Jésus. Si, au cours d’une cène, les assistants avaient osé confondre le langage de l’un d’eux avec celui du Seigneur, les absents auraient-ils accepté sans protester cette transposition ? Les communautés voisines et éloignées l’auraient-elles admise ? Pourquoi d’autres additions et modifications ne nous sont-elles pas parvenues ? Pourquoi les paroles qui précèdent nous sont-elles arrivées dans tous les récits sous une forme si arrêtée et si hiératique ? Comment expliquer que Luc, Paul, les liturgies primitives aient canonisé ces gloses purement accidentelles et celles-là seulement et sous une forme identique, et enfin en les attribuant au Christ ? « Le croie qui peut 1° dit Berning, op. C17., p. 142, note 2.

Mais Matthieu et Marc ne disent pas que Jésus ait prononcé ces mots. Et s’il les avait dits, leur silence ne s’expliquerait pas. D’abord, comme le remarque fort bien Mgr Batiffol, op. cit., p. 64, < nous ne pouvons vraiment pas ne pas souligner ce qu’a d’arbitraire le procédé par lequel on fait taire les témoins qui affirment pour n’écouter que ceux qui ne disent rien. Au surplus, il ne faut rien exagérer ; si les deux premiers évangélistes n’affirment pas expressément, ils ne nient pas non plus. Leur récit n’exclut pas l’ordre de réitérer. Si toujours les Synoptiques rapportaient les mêmes faits, les mêmes paroles, les mêmes détails sans que chacun d’eux omît jamais rien de ce que disent les autres, l’addition de saint Paul et de saint Luc pourrait surprendre le lecteur. Mais il en va tout autrement. A peu près jamais, les biographes de Jésus ne