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EUCHARISTIE D’APRÈS LA SAINTE ECRITURE


tage. Il y aurait donc eu liallucinalion collective des communautés chrétiennes. Révotulionnaire sans le remarquer, Paul, à son insu, aurait, à leur insu, trompé pour toujours les Églises alors que circulaient pourtant des dépositions écrites ou orales émanant soit des témoins de l’événement soit de leurs disciples immédiats. A cette objection s’ajoutent plusieurs de celles que soulève la thèse d’Andersen et de Loisy.

Pour essayer de rendre moins invraisemblable la supposition, les critiques s’efïorcent de saisir avant saint Paul lui-même une ou plusieurs transformations. J. Hofîmann, op. c17., p. 104 sq., distingue avant saint Paul trois stades : encore discerne-t-il en eux, dans le second par exemple, des étapes successives. Il y eut d’abord des repas eschatologiques remplis par l’attente du retour de Jésus. Suivirent des banquets commémoratifs de la mort du Sauveur. Plus tard, apparurent des festins d’action de grâces pour les bienfaits de la passion. Alors seulement arriva Paul. Goguel, op. cit., p. 288, croit pouvoir faire l’énumération suivante : au début, les disciples prirent leur repas en commun ; plus tard, ils contractèrent l’habitude d’y commémorer ce qu’avait dit et fait Jésus ; de là ils en vinrent à l’idée que leur acte était la répétition de celui du Maître, répétition voulue par lui. Le travail de saint Paul s’opéra alors ; et on peut constater que la tâche à accomplir était immense : l’idée de la présence du corps et du sang de Jésus n’était pas encore exprimée.

Sur quoi donc s’appuient ces minutieux constructeurs pour justifier leurs descriptions si minutieuses ? Sur un mot du livre des Actes, ii, 42, 46 : « Rompant le pain dans leurs maisons, [les premiers chrétiens] prenaient leur nourriture avec joie et simplicité. » Certes, l’historien de l’eucharistie n’a pas le droit de négliger cette donnée, encore que certains exégètes n’aient pas cru apercevoir en cet endroit le rite chrétien. Mais il est impossible d’élever, sur ce seul mot bien vague de fraction du pain, tout un système, d’interpréter ou plutôt de récuser à l’aide de ce seul mot les autres dépositions complètes et claires sur ce que firent Jésus et les premiers disciples. Le texte du troisième Évangile vaut celui des Actes ; la narration de la cène par Luc est aussi importante que la brève indication donnée par lui d’un usage primitif. Le mot qui ne se suffit pas par lui-même devrait, ainsi le veut la méthode historique, être expliqué d’après les récits parallèles non moins anciens et plus précis : c’est le contraire que proposent les critiques. Si pour s’éclairer sur les croyances des catholiques du xx’e siècle, l’historien de l’avenir possédait d’une part cette courte affirmation : « Ils recevaient une hostie, » d’autre part, trois descriptions de la messe et deux développements sur la communion, il n’aurait certes pas le droit de se contenter du premier témoignage et de dire que notre culte consistait dans la simple manducation d’un morceau de pain azyme.

M. Loisy rappeUe aussi l’épisode d’Emmaiis, les apparitions du Christ ressuscité, les repas qu’il prend avec ses disciples et où il mangeait du pain et des poissons. Il conclut, op. cit., t. ii, p. 767 : « La fraction du pain et la disparition subite du Sauveur témoignent du rapport qui existe originairement entre la foi en la résurrection et la cène eucharistique. Le Christ est ressuscité : les Écritures l’avaient annoncé. Il est vraiment vivant : on le retrouve dans la fraction du pain. La foi à la résurrection de Jésus et la foi à la présence du Christ au milieu des siens dans le repas de communauté se sont affermies en même temps. » « Le pain et le poisson de Jean établissent un rapport entre la scène de la pêche miraculeuse et celle de la multiplication des pains et l’on sait d’autre part le rapport qui existe entre la multiplication des pains et l’eucha I ristic. » Op. cit., t. ii, p. 771. La subtilité du critique a seule pu découvrir les fils ténus qui relieraient la cène à la résurrection et permettraient d’cxpUquer la croyance à l’une par la croyance à l’autre. La fraction de pain d’Emmaûs est-elle eucharistique ? Il est permis d’en douter. Les mets consommés par le Christ ressuscité rappellent-ils l’eucharistie et la multiplication des pains ? On peut lire mille fois le récit sans faire cette supposition. Il est plus naturel d’admettre que ces faits sont destinés à prouver, comme l’affirme la narration elle-même, la réalité de la résurrection. En vérité, on ne peut invoquer aucune preuve positive et proprement dite pour démontrer que la foi à la présence réelle du Christ dans la fraction du pain est née en même temps et des mêmes causes que la foi à la résurrection, que ces deux croyances au fond n’en forment qu’une. Les deux concepts sont très différents. Jésus pouvait ressusciter et ne pas imaginer la présence réelle : des millions de protestants ont adopté ce sentiment. Le Christ aurait pu de même instituer l’eucharistie et ne pas ressusciter. De son vivant, à la cène, d’après Paul, il a donné son corps et son sang. Après sa mort et sa sortie du tombeau, il n’était pas obligé de les offrir encore. L’eucharistie est liée à la mort de Jésus ; elle suppose sa divinité et exige la présence de son corps à la cène chrétienne. La résurrection, telle que la rapportent les Évangiles, est tout autre chose : le Christ s’échappe du tombeau, apparaît aux apôtres et aux disciples pendant un temps limité, se montre à eux montant au ciel ; ils le voient de leurs yeux, ils palpent sa chair, ses os, ses plaies, entendent sa voix, observent ses gestes, lui donnent de la nourriture. La présence eucharistique est conçue sur un type bien différent : elle est mystérieuse, invisible, muette et, d’une certaine manière, spirituelle. La bonne volonté la plus complaisante ne peut découvrir dans la vie évangélique du Christ glorieux que des indices douteux de la croyance à la cène ; on ne saurait donc s’appuyer sur ces allusions vagues et problématiques pour rejeter les dépositions fermes, précises et complètes. Ce qu’il faut retenir de l’essai de démonstration tenté par M. Loisy, c’est que sa conception de l’eucharistie est dominée par son système christologique. Le même fait d’ailleurs se constate chez la plupart des critiques. Jésus, n’étant pas Dieu, n’a pu instituer l’eucharistie-sacrement ; et à chacune des conceptions des premiers chrétiens sur la personne du Seigneur correspond une conception sur le contenu de la cène. Or, les développements christologiques présupposés par les critiques non croyants, et en fonction desquels l’histoire de la cène est créée de toutes pièces par eux, ne sont pas historiquement démontrés.

Aussi, est-ce le même caractère fantaisiste qu’on est obligé de relever dans leur histoire de la fraction du pain. Les premiers chrétiens, disent plusieurs critiques, auraient d’abord accompU ce rite, dans des repas pris en commun et ayant tout au plus un vague caractère religieux. Aucun texte ne l’affirme, le récit des Actes n’autorise pas cette conclusion, les témoignages sur la cène du Christ la démentent. — Au début, ajoutent les mêmes historiens, les fidèles n’osaient penser à la mort de Jésus, aux événements qui l’avaient accompagnée, ils se contentaient d’attendre le retour du Maître. Rien ne le démontre. Nul texte ne permet d’affirmer l’existence de banquets eschatologiques, « quel rapport voit-on entre le fait de manger ensemble et le fait d’attendre le retour du Christ ? » Batiftol, op. cit., p. 79. Ne pouvait-on alors « ni manger ni boire sinon eschatologiquement ? » Ibid., p. 81. Qui donc aurait défendu aux premiers disciples de parler de la mort du Seigneur ? N’est-il pas naturel au contraire qu’ils l’aient fait : quiconque pleure un être aimé se rappelle ses derniers moments. — Plus tard, pensent les mêmes