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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 5.djvu/580

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EUCHARISTIE D’APRÈS LES PÈRES

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partageaient pas la même foi clirétienne ; et c’est pourquoi Tertullien signale ce danger pour s’opposer aux mariages mixtes. « DciToberez-vous, dit-il, aux regards de votre mari ce que vous prenez en secret avant toute nourriture ? S’il vient à découvrir que c’est du pain, ne supposera-t-il pas que c’est ce pain dont on fait tant de bruit ? Et comme il ne peut pénétrer un mystère qu’il ignore, que d’alarmes, que de soupçons 1 » Ad uxorem, ii, 5, P. L., t. i, col. 1296. Ces divers textes sont significatifs : ils prouvent, à n’en pas douter, la foi en la présence réelle.

Mais d’autres prêteraient facilement à l’équivoque. En voici un qui paraît assez singulier à première vue : Acceptum panem et dislributum discipuUs, corpus suum illum fecil. Hoc ut corpus vac^mdicendo, id est, figura corporis met. Adv. Marcion., iv, 40, P. L., t. ii, col. 460. Tertullien use souvent de l’hyperbate ; quand il écrit : Christus mortuus est, id est unctus, Adv. Praxeam, 19, on voit qu’il veut dire : C/uis^us, id est, unctus, mortuus est. Dans cette phrase : Apcriam in parabolam aurem meam, id est, similitudinem, Adv. Marcion., iv, 11, on voit que similitudinem est l’explication de parabolam et non de aurem. En est-il de même dans le texte cité ? Si oui, l’incidente explicative, id est, figura corporis mei, ne s’appliquerait pas à /îoc, mais à acceptum panem ; il y aurait une hyperbate, et le sens serait à l’abri de tout reproche. Telle est l’explication qu’en ont donnée Bellarmin et Duperron. Cf. Arnauld, Perpétuité de la foi, Paris, 1669-1674, t. iii, 1. II, c. ii-v, p. 62-91. Mais il ne faut pas oublier que Tertullien argumente contre un docète qui niait la réalité de l’incarnation. Il a donc soin de lui rappeler, d’après l’Évangile selon saint Luc, tel qu’il l’admettait, que le pain et le vin avaient été, dans l’Ancien Testament, des figures du corps et du sang du Christ, et que c’est en se servant du pain et du viii, qu’il appelle ou qu’il fait son corps et son sang, que le Christ a réalisé les anciennes figures : Deus in Evangelio quoque vestro revelavit panem corpus suum appelions, ut et hinc jam intelligas corporis sut figuram pani dédisse, eu jus rétro corpus in panem prophètes figuravit, ipso Domino hoc sacramentum postea interpretaturo. Adv. Marcion., iii, 19, P. L., t. II, col. 348. Marcion n’a pas compris que le pain était anciennement la figure du corps du Christ : Itaque illuminalor antiquitatum quid tune voluerit significasse panem, salis declaravit corpus suum vocans panem. Adv. Marc, iv, 40, col. 461. De même pour le vin : Ita et nunc sanguinem suum in vino consecravit, qui tune vinum in sanguine (uvœ) figuravit. Ibid., col. 462. En disant donc : acceptum panem… corpus suum illum fecit. Hoc est corpus meum dicendo, id est, figura corporis 7neî, Tei’tullien entend prouver que le pain était bien jadis la figure de son corps, puisqu’il en fait son corps, et c’est pourquoi il ajoute : Figura autem non fuisset, nisi veritalis esset corpus. Mais il n’entend pas pour autant nier la réalité de la présence du Christ dans l’eucharistie, puisqu’il l’affirme d’ailleurs, corpus suum illum fecil, etqu’il la suppose nécessairement pour pouvoir en conclure la réalité de l’incarnation : Panis et calicis sacramento jam in Evangelio probavimus corporis et sanguinis dominici verilalem adversus phantasma Marcionis. Adv. Marcion., v, 8, ibid., col. 489. En se servant donc du mot figure, ce n’est pas du symbole d’une chose absente qu’il a parlé, mais d’un symbole couvrant et contenant cette mystérieuse réalité qu’est la chair et le sang, dont se nourrissent, nous a-t-il dit ailleurs, les fidèles.

Un autre terme, dont on a fait état pour essayer de prouver que Tertullien était partisan du symbolisme eucharistique, est celui de reprivsentare. Pour montrer, en effet, que le Sauveur ne réprouve pas les éléments dont Marcion attribuait la création à un démiurge différent du vrai Dieu, Tertullien cite l’eau du bap tême, l’huile de la confirmation, le miel et le lait des initiés, puis panem quo ipsum corpus suum représentai. Adv. Marcion., i, 14, col. 262. Or reprœsentare a deux significations, celle du verbe français « représenter » , et celle du sens étymologique latin « rendre présent, présenter » . Nul doute que, s’il avait eu affaire à des symbolistes tels que les calvinistes, Tertullien n’eût surveillé de plus près ses expressions et qu’il n’eût employé un autre terme que reprœsentare. Mais du seul fait qu’il s’en est ser’i, on ne peut pas logiquement conclure que, par une contradiction trop grossière avec luimême, il ait changé d’avis après avoir tenu ailleurs un langage si nettement réaliste : ce qu’il faut dire, c’est qu’il a employé reprœsentare dans son sens étymologique latin, comme il l’a fait quand il appelle le second avènement du Christ une seconde reprœsentatio, ou quand il dit qu’au Thabor Dieu a présenté son Fils, celui qu’il avait promis : Itaque jam représentons eum : Hic est fllius meus, utique subauditur quem repromisi. Adv. Marcion., iv, 22, col. 414. Ainsi, conclut Mgr Batifîol, L’eucharistie, p. 215, à la cène le Sauveur présente son corps, et de même dans l’eucharistie ; reprœsentare n’a rien de symbolique. Cf. Duperron, L’eucharistie, Paris, 1622, ’p. 211-213 ; Arnauld, Perpétuité de la foi, t. ii, 1. III, c. v, p. 270-278 ; Gore, Dissertations on subjccts connected with the Incarnation, Londres, 1895, p. 310 ; d’Alès, La théologie de Tertullien, Paris, 1905, p. 356-359.

Un troisième reproche qu’on fait à Tertullien est l’emploi du verbe censetur dans son explication de l’oraison dominicale. Il entend spirituellement le pain quotidien ; il l’interprète du Christ et ajoute : corpus ejus in pane censetur. De oralione, 6, P. L., t. i, col. 1160. Bonne preuve, prétendent les calvinistes, que Tertullien ne croit pas à la présence réelle, mais à une présence symbolique. Mais c’est là prêter à Tertullien une pensée qui n’est pas, qui ne peut pas être la sienne. Le Christ, dit-il, est notre pain, parce qu’il est la vie et le pain de vie ; et comme son corps censetur in pane, en demandant le pain quotidien nous demandons à rester toujours dans le Christ, à ne jamais nous séparer de son corps, perpetuitatem inChristo, et individuitatem a corpore ejus. Et ceci pourrait bien s’entendre, non du corps eucharistique, mais du corps mystique du Christ, c’est-à-dire de l’Église. Quant au verbe censetur, Tertullien l’emploie parfois dans le sens de est. C’est ainsi qu’il écrit : Tu Deo, cujus tu quoque imago et similitudo censeris, Adv. Praxeam, 5 ; eum duæ subslanliæ censeantur in Christo, divina et humana, ibid., 29 ; imago in effigie, similitudo in seternitate censetur. De baptismo, 5 ; atque adultrr censetur qui dimissam a viro duxerit. Adv. Marcion., IV, 34. Aussi de bons critiques ont-ils voulu y voir un terme emprunté au langage juridique, avec la signification précise de est ou se trouve ; et dans ce cas le terme est suffisant pour exprimer le dogme de la présence réelle, mais non pour signifier celui de ! a conversion. Quoiqu’il en soit, il ne faut pas oublier que Tertullien a un style très singulier, peu correct, etqu’il parle à une époque où le langage théologique n’est point fixé ; il ne faut pas oublier surtout qu’en bonne critique les passag es obscurs ou équivoques d’un auteur doivent s’interpréter à la lumière de ceux qui ne laissent pas le moindre doute sur sa pensée ; or, ces derniers abondent dans Tertullien, comme on a pu le voir plus haut, et ils n’autorisent pas les critiques protestants à ne faire état que des premiers pour revendiquer le prêtre de Carthage comme l’un des témoins de la théorie symbolique de l’eucharistie. Malgré tout, Tertullien reste un témoin du réalisme eucharistique.

2. Saint Cijprien.

Le grand évêque de Carthage au iiie siècle pensera et parlera, on peut en être assuré