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EUCHARISTIE DU IX" A LA FIN DU XI" SIÈCLE


populo, sanus et integer manel. Tolus in cselo, lotus in cordibus fidelium. Il y a, dans ce texte, tous les éléments du problème qui passionna les esprits. La chair et le sang du Christ sont mystérieusement présents dans le sacrifice de la messe, le corps du Christ est tout entier dans le ciel, tout entier dans chaque hostie consacrée et dans chacune de ses parcelles ; tous ceux qui communient le reçoivent tout entier et, d’autre part, il demeure intact. Comment concilier ces choses ? La part faite au mystère, une question surgit : quelles sont les propriétés du corps eucharistique du Christ ? Est-il étendu ou non ? A-t-il un mode d’êlre corporel ou spirituel ? Quels sont les rapports entre le Christ eucharistique et le Christ historique ? Ce corps, qui est présent sur des milliers d’autels, est-ce le même que le corps céleste du Christ, ou en diffère-t-il ?

Un essai de solution, partiel et mal venu, existe dans le De ecclesiaslicis offîciis d’Amalaire (vers 823), 1. III, c. XXXV, P. L., t. cv, col. 1154-11.55, qui dit : Tri forme est corpus Chris ti, eorum scilicct qui guslaverunt mortem et mortui sunt. Primum videticet, sanctum et immaculalum, quod assumplum est ex Maria Virgine ; alterum, quod ambulat in tfrra ; ierlium, quod jacel in sepulcris. Per particulam oblatæ (l’hostie de la messe) immissæ in calicem oslenditur Christi corpus quod jam resurrexit a moriuis ; per comestam a saccrdole vel a populo, ambulans adhuc super lerram ; per rcliclam in cdlari, jacens in sepulcris. Florus de Lyon, dans sa lutte contre Amalaire, s’empara de ce passage, et le fit condamner par le concile de Kiersysur-Oise (838), comme de spirilibus erroris et doclrinis dsemoniorum sumptum, Opusc. adversus Amalarium, II, c. VI, P. L., t. cxix, col. 83 ; il présente ainsi l’opinion d’Amalaire : asserit… corpus Christi triforme et triparlitum, imo tria esse Christi corpora, c. v, col. 81. Cf. Opusc, I, c. IV, col. 74. Le texte d’Amalaire sur le corpus triforme du Christ eut une fortune étrange. Il passa dans divers écrits : le De inslituiione clericorum de Raban Maur, 1. I, addition au dernier chapitre, P. L., t. cvii, col. 326 ; le Micrologus (probablement de Bernold de Constance), c. xvii, P. L., t. cli, col. 988 ; le Liber de divinis offîciis du pseudo-Alcuin, c. XXXIX, P. L., t. CI, col. 1246, etc. Dans ce dernier ouvrage, la phrase se trouve placée à la suite de l’assertion que le pape Sergius établit l’usage de réciter V Agnus Dei (cf. L. Duchesne, Le Liber pontificalis, Paris, 1886, t. i, p. 381), de telle sorte qu’un lecteur peu attentif pouvait croire que cette phrase d’Amalaire est dans la bouche de Sergius. C’est sans doute ce qui a trompé Gratien ; en tout cas, ce dernier transcrivit cette phrase comme une réponse de Sergius, dans la III’^ partie de son Décret, De consecralione, dist. II, c. XXII. Une fois attribuée à un pape, elle attira l’attention de tous les théologiens. Citons, entre autres, Pierre Lombard, Sent., 1. IV, dist. XII, P. L., t. GXGii, col. 866 ; Innocent III, De sacro cdlaris mgsterio, 1. VI, c. iii, P. L., t. ccxvii, col. 907, et saint Thomas d’Aquin, Sum. theol., III » , q. lxxiii, a. 5, ad S"" » . Seulement tous ces auteurs interprétèrent cette prétendue décision pontificale d’une manière orthodoxe. « Ils y virent l’indication des ellets produits par le corps de Jésus-Christ, au ciel, sur la terre et en purgatoire. » J.-]I.-A. Vacant, Le sacrifice de la messe dans la tradition de l’Église kdine, dans L’université catholique, Lyon, 1894, t. xvi, p. 368, note. Quel est le sens véritable d’Amalaire ? Disons, tout d’abord, que sa terminologie se distingue de celle dont saint Augustin a fourni les éléments, qu’adoptent Paschase Radberl, Liber de corpore et sanguine Christi, c. vii, P. L., t. cxx, col. 1284-1286, et, avec lui, de nombreux auteurs, et qui consiste à appeler « corps du Christ » et le corps né de Marie, et le corps eucharistique, et le corps mystique ou l’Église. Amalaire aurait-il vrai ment enseigné, ainsi que le lui prête FJorus, que le Christ a trois corps, ou bien aurait-il simplement exposé — ainsi l’interprète dom R. Ceillier, Histoire générale des auteurs sacrés et ecclésiastiques, Paris, 1752, t. xviii, p. 571 — que, « outre le corps naturel de Jésus-Christ, on peut encore dire que l’Église militante est son corps, mais d’une autre manière, et que l’Église des morts, qui comprend ceux qui sont (lans le ciel et ceux qui sont dans le purgatoire, fait aussi partie du corps de Jésus-Christ ? « JNous pensons que ni l’une ni l’autre de ces explications n’est satisfaisante. Amalaire étudie le symbolisme de la messe. Il arrive à la fraction de l’hostie. L’hostie était alors brisée en trois parties : l’une était mise dans le calice, la deuxième servait à la communion du prêtre et des fidèles présents au sacrifice, la troisième était réservée sur l’autel pour les morts, c’est-à-dire comme vialicum morientis, col. 1155. Voici le symbolisme d’Amalaire : la partie de l’hostie mise dans le calice représente le corps du Christ, saint et immaculé, né de la Vierge Marie, ressuscité des morts ; la partie qui sert à la communion du prêtre et du peuple chrétien représente le corps du Christ, qui, par la communion, est dans les vivants ; la partie qui est réservée représente le corps du Christ qui gît dans les sépulcres, c’est-à-dire qui est dans ceux qui ont communié et qui sont morts. En ce sens encore, dans son Eclogæ de officio missse, P. L., t. cv, col. 1328, traitant de nouveau de fractione oblatarum, il se demande pourquoi on ne met qu’une partie de l’hostie dans le calicej tandis que le corps du Christ est ressuscité tout entier : c’est, répond-il, parce que Jésus-Christ est en partie ressuscité et vivant au ciel et en partie sur la terre, partim resurrecturum, partim jam vivit ul ultra non moriatur, partim mortelle est, et tamen in cselo. Par la communion, le corps du Christ resterait donc dans le corps de ceux qui l’ont reçu, morts et vivants, et serait à la fois dans le ciel, ressuscité, et sur la terre, ayant à ressusciter, et cela jusqu’à la fin du monde, çui’a usque in finemsœculi corpora sanctorum quiescent in sepulcris, col. 1555. Paschase Radbert détournait son « frère et compagnon d’armes » Frudegarde de ces « inepties » , et ramenait à ces termes la présence du corps du Christ dans le communiant, P. L., t. cxx, col. 1365-1366 : A’e sequaris ineptias de triparlito Cliristi corpore, non salem aut met in eo admisceas, quod quidam voluerunt, nec atiud adjicias, née subtrahas, sed totum ut Christus instiluil ita esse credas et intelligas, quatenus per hoc ille in nobis concorporatus maneal, sicut et nos in itlo per hominem Deum quem assumpsit…, et non secundum deliramenta quorumdam. Amalaire fut-il ébranlé par les critiques dirigées contre sa théorie ? Toujours est-il que, dans une lettre, Epist., vi, ad Guntradum, P. L., t. cv, col. 1338, il déclare que l’essentiel est de recevoir le corps du Seigneur avec une bonne intention, et qu’il n’a pas à débattre si, après la communion, ce corps invisibililer assumatur in cœlum, an reservetur in corpore nostro usque in diem sepulturæ (c’est son ancienne opinion, sauf qu’il ne s’agissait pas du jour de la sépulture, mais de la fin des temps), uul exhaletur in auras, aut exeat de corpore cum sanguine, aut pir poros emittatur, dicente Domino : omne quod inlral in os in venlrem vadil et in secessum emittitur. Cette manière d’exposer la question, même en se refusant à l’examiner, prouve qu’Amalaire n’a qu’une idée très imparfaite du mode d’être du Christ dans l’eucharistie. Mais il s’exprime correctement sur le fait de la présence réelle. De ecclesiaslicis offîciis, 1. III, c. xxv, P. L., t. cv, col. 1141 : Hic credimus naturam simpliccm panis et vini mixti verti in naturam rationabilem (c’est le mot du canon de la messe qu’il vient de commenter), scilicct corporis et sanguinis Christi, et Epist., IV, ad Rantgariiim episcopum, col. 133-1-1335^