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107 ENFER (SYNTHÈSE DE L’ENSEIGNEMENT TIIÉOLOGIQUE)

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C’est Dieu qui inflige toujours ces supplices, car il est le juge qui châtie ; mais ce n’est plus seulement en se retirant et en emportant avec lui tout bien de perfection et de bonheur, c’est en faisant pâtir les damnés par l’action positive de diverses créatures, ses instruments. L’existence d’une certaine peine du sens ainsi comprise est d’une certitude theologique absolue. Il sullil de mentionner l’opinion singulière de Durand qui n’admettait, cependant en hésitant, que la peine du dam et la douleur qui s’ensuit ; celle-ci serait le jeu de la révélation. Il ne suffit pas non plus de dire avec « quelques-uns » que saint Thomas réfute, De veiilate, q. xxvi, n. 1 ; De anima, a. 21, que la^ peine ex rcbus scnsihilibas sera comme la peine d’une âme qui a des rêves pénibles sur des choses corporelles, ou même la pensée seulement, la croyance que telle chose lui fait du mal, car le rêve n’est pénible qu’à l’imagination et les âmes séparées n’ont plus l’exercice de leur imagination ; quant à la pensée de n’importe quel objet, elle n’est pas, par elle-même, une peine, mais une perfection ; d’ailleurs, la croyance fausse qu’on pâtit d’une chose qui réellement ne fait pas pâtir, n’est pas admissible chez les démons ou les damnés. Cf. Suarez, loc. cit., c. xiii, p. 1022 sq. ; Salmanticenses, loc. cit., disp. XVIII, dub. II, p. 408 sq. D’une manière générale, il faut donc admettre que les âmes et les démons en enfer sont torturés réellement et physiquement d’une certaine manière par des créatures instruments de Dieu ; et en cela consiste la peine du sens. Pour plus de détails, voir Feu de l’enfer.

Pourquoi ce châtiment spécial ? Saint Thomas en développe la raison fondamentale : Sicut recte agentibus debentiir bona, ita perverse agentibas debentur mala ; sed illi qui recle agunt, in fine ab cis intenta percipiunt pcrfectionem et gaudiuni ; c contrario ergo debetur Iiœc poena peccantibus ut ex his in guibus sibi finem constituunt, affiictionem accipiant et nocumentum. Hinc est quod divina Scriptura peccatoribus comminatur non solum crclusionem a gloria, sed etiam affiictionem ex aliis rébus. Cunt. génies, 1. III, c. cxlvi ; Compendium theologiie, c. clxxix. Nous avons là l’explication par la cause méritoire ; voici quelle serait la cause formelle des peines du sens. Chez les bienheureux, les joies et les gloires secondaires venant de l’usage des créatures, en particulier dans leur corps, découlent par surabondance, pour ainsi dire, de la béatilication essentielle de leur âme ; l’âme divinisée voit cette divinisation se répandre en toutes ses puissances jusque dans son corps, lui assurant par là la possession de tous les biens secondaires dus aux enfants de Dieu. Ainsi, chez les damnés, l’âme privée de Dieu voit toute participation aux biens divins se retirer de ses puissances et de son corps : Dieu s’est retiré totalement du damné ; de là des privations de multiples satisfactions secondaires ; bien plus, delà des I révoltes’] dej toutes les créatures contre cette âme révoltée contre Dieu. El pugnabil… orbis terrarum contra insensalos. Sap., v, 21.

2. Quelles sont ces peines et conmient sont-elles appliquées ! — On en distingue trois espèces : les peines venant de l’action des créatures matérielles, dont la principale est le feu ; la peine de la société des autres damnés, créatures spirituelles ; enfin les peines diverses, privations de multiples satisfactions secondaires.

a) La peine du feu. —’Voir Feu de l’enfer.

b) Peirjes provenant d’cnitres créatures matérielles. — Y en a-t-il ? Faut-il admettre avec divers auteurs. Pères et théologiens (nous ne parlons pas des poètes), outre le feu, de la glace, des vers réels, des océans d’immondices, etc. ?

a. Glace et eau. — Interprétant de l’enfer le texte de

Job, xxiv, 19 : Ad nimium calorem Iranscat ab aquis nivium et usgue ad infcros peccalum illius, plusieurs Pères ont cru au supplice de l’eau glacée au moins pour les corps des damnés après la résurrection, ou bien pour diverses catégories de damnés, ou le plus souvent par mode de successions de supplices, du feu à la glace, etc. Ainsi saint Jérôme, In Mutth., -x., 28, P. L., t. xxvi, col. 68 ; In Job, xxiv, ibid., col.’725, où il insinue la possipilité de ce sens dans Matth., XXII, 13 ; pseudo-Augustin, /) ? ////j/fe ; luibilaculo, c. ii, P. L., t. XL, col. 993 (ce traité a probablement été écrit dans la Grande-Bretagne, cf. dom Gougaud, Les chrétientés celtiques, Paris, 1911. p.282 ; cf. p. 285) ; Bède, Haynion d’Halberstadt, Hugues de Saint-Victor, Innocent III, S. Pierre Damien, etc. Saint Thomas se fait l’écho de ces jjensées. In IV Sent., 1. IV, dist. L, q. ii, a. 3, q. i, ad S" ! " ; cf. Sum. theol., UP’Suppt., q. xcvii.a. l, ad 3°"" ; Quodl., VIII, a. 18 ; Sum. theol., I » , q. x, a. 3, ad 2>"" ; cf. Suarez, loc. cit., 1. IV, c. XII, n. 22-30, p. 1016-1019. Cette exégèse du texte de Job est inexacte. Il s’agit, en réalité, de la mort de l’impie rapide comme l’absorption de l’eau par une terre brûlée. L’opinion des glaces de l’enfer n’a pas d’autre fondement ; aucun autre texte n’enparle ; jamais Jésus-Christ, cjui rappelle souvent le feu de l’enfer, ne fait allusion au froid de l’enfer ; le stridor dentium, Matth., xxii, 13, qui a aussi été interprété d’un effet du froid, ne signifie que la rage désespérée des damnés. Enfin aucune raison théologique n’impose cette opinion et l’ensemble de la tradition patristique et théologique la rejette.

b.Vers. — L’opinion, qui a été toujours la plus commune et qui est aujourd’liui unanime, n’admet pas non plus le réalisme du « ver qui ne meurt pas >, défendu par Tirin, Comment in S. Script., sur Judith, xvi, Turin, 1882, t. ii, p. 597 ; Serarius, sur Judith, XVI, dans Migne, Cursus S. Script., t. xii, col. 12391248 ; Corneille de la Pierre, In /s., lxvi, Paris, 1863, p. 767 sq. Ces commentateurs citent diverses autorités : S. Basile, S. Chrysostome, S. Jérôme, S. Augustin, Théophylacte, Maldonat, etc. Suarez, toc. cit., n. 34-35, croit cette opinion salis probabilis. Mais les autorités invoquées et l’exégèse réaliste adoptée n’ont pas de valeur ; les textes patristiques ne signifient pas généralement ce qu’on leur fait dire ; ainsi, par exemple, saint Augustin, De civitate Dei, 1. XXI, c. IX, P. L., t. XLi, col.23. Il rapporte trois opinions : réalisme du feu et du ver de l’enfer ; symbolisme de tous deux ; réalisme du feu, sj’mbolisme du ver. La première est possible au moyen d’un miracle et quelquestextes lui sont favorables, mais on peut adopter aussi la troisième opinion : Eligal quisque quod placel, aut ignem tribucre corpori, animo vcrmem, hoc proprie illud tropice, aut utrumque proprie corpori ; en tous cas, la seconde est à rejeter. Toutefois, en ajoutant : Egotamen facilius es/ (sic) ut ad corpus dicam utrumque perlinerc quam neutrum, le saint docteur semble préférer la troisième opinion. Il avait déjà dit, en effet, !. XX, c.xxii, col. 694 : Alii proprie ad corpus ignem, tropice ad animam vermem, quod crcdibilius esse pirfe/( ; r. Maldonat, de son côté, afiirme, Conînie/i/. inn’Evangelia, Lyon, 1598, sur ISIarc, ix, col. 819 sq. : vermem hoc loco metaphoricc intelligendum esse pro dennnatornm cruciatu nemini dubiun^ est. etsi niemini Chrysostomum et Theophijlactum verum esse in damnatis vermem qui eorum arrodat corporo alicubi sentirc, quo magis miror Theophi/lactum hoc loco utrumque et vermem et ignem metaphorice accipicndum putare. Pour Maldonat, le feu et le ver ne sont que le même supplice de l’âme et du corps à la fois, exprimés de deux façons. Ibid., col. 820.

Quatre textes de l’Écriture parlent de vers dans l’enfer. 1s., lxvi. 21 ; Judith.. xvi, 21 ; Eccli., vii, 19 :