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GOUDIN

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occupa cette charge pendant trois ans. Le temps de son gouvernement étant révolu, au lieu de retourner à Avignon, il fut assigné par le général de l’ordre, Thomas de Roccaberti, au noviciat général de Paris, au faubourg Saint-Germain. C’est là qu’il enseigna la théologie pendant plusieurs années. Dans la suite, il fut admis à faire partie du collège de SaintJacques. D’après Echard, Scriptores ord. prxd., t. ii, p. 740, il aurait pris le grade de docteur en théologie de l’université de Paris, dignité qu’il n’avait pas eu l’occasion d’obtenir encore. Cependant le nécrologe du couvent de Saint-Jacques ne lui donne que le titre de bachelier ; dans le livre des Conseils, il signe Magister et se trouve souvent nommé sapientissimus magister. Peut-être était-il licencié sans avoir pris le bonnet de docteur. De plus, il fut élu prieur de SaintJacques, c’est dans l’exercice de cette charge, dans la force de l’âge, qu’il mourut le 25 octobre 1695. Le P. Goudin a laissé des ouvrages philosophiques et théologiques. Son traité de philosophie intitulé : l’hilosophia juxla inconcussa lutissimaque divi Thomse dogmala lom. iv comprehensa, a eu de nombreuses rééditions jusqu’à notre époque. La première est celle de Lyon, 1671, in-12 ; puis corrigée et augmentée par l’auteur, in-12, Paris, 1674 ; Bologne, 1680 ; Cologne, 1681, 1685 ; Trévise, 1706 ; Cologne, 1724, 1726 ; Venise, 1744 ; Cologne, 1764 ; Paris, 1851 ; Orvieto, 1859. Comme il s’en explique lui-même dans la préface au lecteur, ce sont ses leçons d’Avignon qu’il a ordonnées à l’usage des étudiants. Aujourd’hui encore, ce manuel rend des services et contient un excellent exposé des théories fondamentales de la philosophie scolastique.

Le P. Goudin n’avait pu manquer de s’intéresser vivement aux graves questions théologiques débattues de son temps et en avait traité. Son contemporain, le P. Echard, nous apprend, en effet, Scriptores, t. ii, p. 740, que le P. Goudin avait préparé un cours de théologie, mais qui se conservait manuscrit au couvent de SaintJacques. Il ne donnait là-dessus aucune explication. Mais dans une lettre plus confidentielle adressée par Echard à la date du 1 er septembre 1721 à son ami et correspondant Laurent Josse Le Clerc, prêtre de Saint-Sulpice, il disait : « On n’a pas pu juger à propos de faire imprimer la théologie du P. Goudin pour de bonnes raisons. » Quelles pouvaient être ces raisons ? Il pouvait y en avoir de deux sortes : les unes prises des circonstances du temps où cet ouvrage aurait paru ; d’autres plus personnelles à l’auteur et intéressantes à connaître. Bertrand, dans son ouvrage sur Laurent Josse Le Clerc, Paris, 1878, p. 87, en note, conjecture que ces raisons furent entièrement extrinsèques à l’ouvrage. Ce n’est qu’en partie vrai. En effet, lorsque Goudin mourut, les disputes sur la grâce étaient dans toute leur effervescence. La tactique des jansénistes était de cacher leur hérésie sous le nom de nouveau thomisme et. par conséquent d’appeler moliniste quiconque ne pensait pas comme eux ; d’un autre côté, les intérêts de la vérité outragée par Jansénius et aussi le souci de faire prévaloir les opinions d’une école théologique opposée à celle des thomistes portaient certains esprits à confondre dans une même réprobation thomisme et jansénisme. Comme on le sait, pour pacifier les esprits, l’autorité civile était intervenue et sur la fin du xviie siècle, sous Louis XIV et sous la Régence, les discussions publiques et les publications étaient défendues en matière de grâce. Ainsi que le fait remarquer Bertrand, loc. cit., c’est ce qui fait que l’on trouve fort peu de renseignements sur ces questions dans les ouvrages qui parurent alors, au contraire la plupart des pièces de polémique restaient anonymes. De là vient aussi que l’ouvrage d’Echard est relativement si pauvre en renseignements sur ces disputes, alors que personne n’était mieux qualifié que lui pour

nous donner de ces luttes doctrinales une relation abondante et fidèle. Bertrand pourtant n’a donné qu’une raison extrinsèque de la non-publication des traités de théologie du P. Goudin dès leur composition. N’y eut-il que cela ? S’il avait eu connaissance d’une lettre de Richard Simon à Goudin lui-même, qui était d’ailleurs son ami intime, il aurait pu compléter son jugement par quelques autres considérations, qui y sont touchées. Cette lettre capitale pour l’histoire de la publication de sa théologie fut adressée au P. Goudin, alors qu’il était prieur du couvent de Saint-Jacques de Paris. Elle est datée de Rouen, 1695, donc l’année même de la mort de notre auteur. Elle figure dans le recueil des lettres de Richard Simon, édit. d’Amsterdam, 1730, t. iv, p. 228-236. D’après ce document, il semblerait que, dans les disputes de ce temps, entre jésuites et dominicains, le P. Goudin n’ait pas pris une attitude aussi tranchée que plusieurs autres de ses confrères, R. Simon nous apprend, en effet, qu’ayant besoin d’un livre qui se trouvait dans la bibliothèque des Pères jésuites, le P. Goudin ne se hasarde pas à l’aller chercher, de peur que sa visite ne soit tenue, dit-il plaisamment, pour suspecte à Saint-Jacques « et qu’il ne vienne à passer pour un fauteur du molinisme, » parce que les juifs ne doivent avoir aucun commerce avec les Samaritains. D’après le sens de la lettre de Richard Simon, qui, lui, était du parti moliniste, on pourrait conclure que Goudin penchait vers une doctrine adoucie, tout en restant fermement thomiste. « Il faut avouer, dit Richard Simon, que ceux de votre ordre sont d’étranges gens. Ils veulent que tout le monde se soumette aveuglément aux opinions de leur école, comme si c’était des décisions de quelque concile général. Vous savez vous-même qu’il n’est pas aisé de marquer précisément, sur plusieurs articles, en quoi consiste le pur thomisme. Il y a de la variété là-dessus même parmi les vôtres. Je vous loue d’avoir bien voulu adoucir quelques sentiments durs de vos thomistes sur la prédestinalion et la grâce efficace. Ils prétendent que cette grâce tire son efficace de la seule toute-puissance de Dieu : ce qui me paraît fort dur. El en effet dans les écrits que vous m’avez communiqués, vous lirez cette efficace de plusieurs autres moyens dont Dieu, qui par sa science infinie connaît tout ce qui se passe dans le cœur de l’homme, se sert, sans que vous favorisiez pour cela les sentiments de Suarez ou de Molina. Cette opinion est d’autant plus raisonnable que vous l’avez appuyée sur des textes formels de saint Thomas. » Si le prieur de Saint-Jacques ne semblait pas, à en juger par Richard Simon, partager certaines opinions plus rigoureuses de quelques théologiens thomistes, ce n’était encore qu’un premier pas ; et Richard Simon espère le voir renier la prédétermination physique, au sens des purs thomistes. Il ne craint nullement de l’encourager à faire ce dernier pas : « Mais après tout j’ose vous dire que vous n’avez encore fait que la moitié du chemin. J’aurois souhaité qu’en parlant de la grâce efficace, vous n’eussiez point ajoute par elle-même, terme qui est de ces derniers siècles, et qui est inconnu à toute l’antiquité. Ce terme renferme je ne sais quoi qui semble détruire notre liberté, aussi bien que le mot de physique ajouté à celui de prédétermination. » Et pour convertir tout à fait le P. Goudin au système opposé, il le conseillait dans ses lectures. « Je vous communiquerai là-dessus, lui mandait-il, un petit livre fort rare et curieux, qui a pour titre : De religionc bestiarum. C’est un dialogue on l’on met en évidence les sentiments de ces thomistes rigoureux, qui font agir les hommes en bêtes. L’auteur est Théophile Raynaud, fameux jésuite, que vous avez connu particulièrement. Quoi qu’il y fasse le plaisant à son ordinaire, il y dit de très bonnes choses : Ridendo dicere quid vclat ? » Jusqu’ici, nous