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GRACE

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une inspiration de l’Esprit-Saint, et n’est pas un effet naturel, can. 5. C’est par l’infusion et l’opération du Saint-Esprit en nous que nous pouvons réaliser la foi, les désirs, les efforts, les prières comme il faut (sicut oportcl) ; sans la grâce nous ne le pouvons pas, can. 6. Par la seule énergie de la nature, on ne peut ni concevoir, ni choisir, comme il convient (ut expedit), aucun bien qui appartient à l’ordre du salut de la vie éternelle ; on ne peut, sans l’illumination et l’inspiration du Saint-Esprit, consentir à la prédication salutaire de l’Évangile (sive salulari, id est, evangelicæ prædicationi consentire… Le sens semble bien être celui-ci : on ne peut, sans la grâce du Saint-Esprit, consentir à la prédication de l’Évangile, précisément parce qu’elle est salutaire), can. 7. Voir les textes dans Denzinger-Bannwart, n. 176-180. Le concile de Trente a établi la même doctrine, sess. vi, c. i, v-vi, can. 1-6. Denzinger-Bannwart, n. 793, 797-798, 811-816.

Ces textes contiennent l’affirmation de la nécessité de la grâce pour tout acte salutaire ; cette nécessité résulte donc, non d’une difficulté que l’homme éprouve à se vaincre (car il s’agit aussi d’actes faciles), mais de l’incapacité complète de la nature humaine à produire, par elle-même, un acte salutaire. Cette idée se confirme par le 19e canon, Denzinger-Bannwart, n. 192, où il est dit : « Si la nature humaine demeurait dans cet état d’intégrité, dans lequel elle a été établie (par Dieu, en Adam), elle ne pourrait s’y maintenir par elle-même, sans le secours de son créateur. Par conséquent, puisqu’elle ne peut, sans la grâce de Dieu, conserver le salut, comment pourrait-elle, sans la grâce de Dieu, recouvrer ce qu’elle a perdu ? » L’homme, qui n’est pas sujet au désordre de la concupiscence, ne peut pas, par la seule perfection de sa nature, accomplir le bien qu’il doit réaliser pour rester juste devant Dieu ; la nécessité de la grâce, dont il s’agit ici, ne correspond donc pas â cette difficulté morale d’éviter le péché qui est due au désordre de la concupiscence ; elle ne correspond pas non plus à une difficulté morale d’un autre genre, car saint Augustin, auquel est emprunté le texte dont il s’agit, enseigne qu’Adam pouvait sans difficulté et sans lutte éviter le péché, De correptione et gratia, n. 29, 35, P. L., t. xliv, col. 954, 937 ; la nécessité, dont il s’agit, semble donc correspondre à une incapacité physique de la nature humaine à accomplir le bien salutaire, à agir salutairement : d’où la nécessité physique de la grâce. Saint Augustin, Episl., clxxxvi, n. 37, P. L., t. xxxiii, col. 830 ; cf. De natura et tjralia, c. xlviii, n.56, P. L., t. xliv, col. 271 ; Enchiridion, c. evi, P. L., t. xl, col. 282 sq., ne précise pas davantage cette nécessité.

Les théologiens ont expliqué plus tard cette donnée et ont notamment reconnu à la grâce une double fonction : celle de guérir de l’infirmité morale, provenant du désordre introduit par le péché originel ; la grâce, en tant qu’elle est ordonnée à cet elïet, est appelée medicinalis ou sanans ; l’autre fonction consiste à être un principe d’activité qui surpasse absolument la nature humaine et à élever, par conséquent, l’opération humaine à un ordre nouveau, l’ordre surnaturel ; la grâce, en tant qu’elle produit cet effet, est appelée élevons.

De ce que l’Église a défini que la grâce est requise à tout acte salutaire, comme tel, même à une simple penséeou à un désir salutaires, les théologiens ont logiquement conclu que cette nécessité est physique et que la grâce a pour fonction de rendre formellement salutaire l’opération dont elle est le principe. Mais qu’estce qui fait que l’acte soit salutaire ? C’est qu’il est dans l’ordre de la fin dernière à laquelle l’homme tend par cette opération. Or, nous savons, d’autre part, que cette fin dernière, la vision intuitive de Dieu, est absolument surnaturelle ; pour qu’un acte soit réellement proportionné â cette fin, il doit donc être aussi surnaturel ; c’est

donc à surnaturaliser l’acte que consiste la fonction de la grâce élevante et cette surnaturalisation est la raison de sa nécessité absolue et physique. Cf. S. Thomas, In IV Sent., 1. II, dist. XXIX, a. 1 ; Sum. IheoL, P II* q. cix, a. 2, 5 ; Sylvestre Ferrariensis, Comm. in Summum conl. genl., 1. III, c. cxlvii.

Notons encore que la thèse de la nécessité absolue de la grâce pour tout acte salutaire contient implicitement l’assertion que l’homme a besoin de la grâce pour se préparer positivement à la justification. Saint Thomas en indique la raison intrinsèque : Dieu, qui meut tous les êtres au bien considéré en général, et par conséquent les meut vers lui, meut à une fin spéciale les hommes qu’il mène à la justification ; cette fin spéciale, c’est Dieu lui-même, possédé surnaturellement ; c’est pourquoi Dieu doit mouvoir d’une manière spéciale, surnaturellement, les hommes vers la justification. Sum. theol., V IV, q. cix, a 6. Le concile de Trente, sess. vi, c. vi, décrit cette préparation. Denzinger-Bannwart, n. 798.

2. Nécessité de la grâce pour les actes simplement honnêtes. — a) Dans l’état actuel de l’humanité, l’homme esl capable, sans le secours de la grâce interne, de faire certains actes moralement honnêtes. — Cette thèse est théologiquement certaine, comme il ressort de l’enseignement commun des théologiens et des documents ecclésiastiques, que nous indiquerons. Le démonstration repose sur le principe qu’après le péché d’Adam, le libre arbitre n’a pas été détruit, bien qu’il ait été affaibli. Concile de Trente, sess. vi, c. i, Denzinger-Bannwart, n. 793. Voir une note sur cette formule dans la Revue thomiste, 1912, t. xx, p. 70 sq. Ce principe admis, la conclusion s’impose. En effet, l’homme a la capacité physique de poser des actes moralement honnêtes, car il est obligé d’observer la loi naturelle ; de plus, les actes moralement honnêtes ne sont pas toujours plus difficiles que les actes moralement mauvais : c’est une constatation d’expérience ; l’homme est donc, même dans l’état actuel du genre humain, physiquement et moralement capable de poser, par les seules forces de sa nature, des actes moralement bons. Cf. S. Bonaventure, In IV Sent., 1. II dist. XXVIII, a. 2, q. ni ; dist. XLI, dub. ii, Opéra omnia, Quaracchi, t. ii, p. 689, 956 ; S. Thomas, Sum. theol., P II* q. cix, a. 2 ; IP II*, q. x, a. 4 ; Soto, De natura et gratia, Paris, 1549, 1. I, c. xxi ; Suarez, De gratia, 1. I, c. viii, n.4, Opéra omnia, t. vii, p. 403 ; Bellarmin, De gratia et libero urbilrio, 1. V, c. ix, De eontroversiis, Prague, 1721, t. iv, p. 337.

C’est surtout en condamnant les erreurs de Baius que l’autorité ecclésiastique a déclaré la doctrine catholique concernant la capacité naturelle de l’homme à faire des œuvres moralement honnêtes. Voir Baius, t. il, col. 83 sq. Au même objet se rapportent plusieurs propositions condamnées de Quesnel et du synode de Pistoie. Denzinger-Bannwart, n. 1351, 1352, 1355, 1389, 1390, 1394, 1523, 1524.

Baius invoquait surtout l’autorité de saint Augustin pour défendre l’incapacité de l’homme à faire des actes honnêtes sans la grâce. Telle n’était pas la doctrine de l’évêque d’Hippone : il admet que l’homme puisse, par ses propres moyens, poser des actes moralement bons (encore qu’en règle très générale, à de pareils actes s’ajoutent des circonstances qui les rendent moins bons ou mauvais). Cf. De spiritu et lillera, c. xxvii sq., P. L., t. xliv, col. 229 sq. ; S. Prosper, Conl. collât, c. xiii, n. 5, P. L., t. l, col. 250. Sur la doctrine de saint Augustin concernant ce point, voir Faure, Enchiridion S. Aurelii Augustini, Naples, 1847, p. 1 sq. ; Neveu, dans Divus Thomas, 1905, p. 372 sq. ; Hefele, Histoire des conciles, t. ii, p. 1101 : Schwane, op. cit., t. iii, p. 175 ; Tixeront, op. cit., t. ii, p. 486 sq. ; Augustin, t. i, col. 2376 sq. Spécialement sur le sens de