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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 6.2.djvu/179

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GRACE

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exemple, que la nécessité morale de la révélation, la nécessité morale de la grâce. Cette transposition a donné lieu à une méthode d’apologétique, que nous n’avons pas à apprécier ici : on en peut voir l’exposé par le P. Le Bachelet, Dictionnaire apologétique de la foi catholique, art. Apologétique, t. i, col. 232 sq.

La « race interne, proprement dite, est essentiellement surnaturelle et, par conséquent, positivement indue à la nature humaine ; d’où il résulte que la grâce ne correspond pas à une indigence psychologique de cette nature et qu’elle n’est pas le terme auquel tende une faculté quelconque propre à la nature humaine ; qu’elle entre dans l’âme, c’est-à-dire qu’elle y est produite immédiatement par Dieu, sans qu’elle corresponde à un besoin d’expansion de la nature humaine, connu" telle. Voir le développement de ces assertions dans les Collationes Brugenses, t. xiv (1912), p. 678 sq. ; t. xix (1914), p. 103, 170.

G. Nécessité spéciale de la grâce pour certaines œuvres salutaires. — En nous occupant de la grâce, considérée en "encrai, nous avons exposé jusqu’ici d’abord ce qui concerne la nécessité de la grâce pour les œuvres salutaires, comme telles, ensuite ce qui concerne la n eessité de la grâce pour les œuvres simplement honnêtes au point de vue moral ; il nous reste à indiquer brièvement quelques questions spéciales. Saint Thomas, Sum. theol., I" II 1’, q. cix, a. 5, se demande si la grâce est requise pour que l’homme puisse mériter la vie éternelle, et il répond affirmativement. L’argument qui établit cette assertion est celui-ci : aucune opération ne peut surpasser la faculté d’où elle procède, ni produire un effet qui soit d’un ordre supérieur à celui du principe actif qui opère. Or la vie éternelle est une fin qui n’est pas en proportion avec la nature humaine, mais qui surpasse son activité propre. Donc l’homme ne peut pas, par ses propres forces naturelles, produire des opérations qui soient proportionnées à la vie éternelle, par conséquent, il ne peut pas, par ses forces naturelles, produire des œuvres méritoires, au sens propre du mot. C’est la grâce qui doit donner à nos œuvres cette qualité qui les transporte dans l’ordre de la (in dernière. Nous ne nous occupons pas ici des conditions diverses requises à l’acte méritoire. Voir Mérite. Cf. S. Thomas, op. cit., q. exiv. La nécessité de la grâce pour le mérite fut affirmée au concile d’Orange, Denzinger-Bannwart, n. 191, plus explicitement dans la condamnation de diverses propositions de Baius, Denzinger-Bannwart, n. 1012, 1013, 1015, 1017 : l’Eglise y enseigne que c’est par la grâce que l’acte humain est rendu formellement méritoire et non par sa seule conformité avec la loi morale. Il s’agit ici de la grâce sanctifiante. Voir Baius, t. ii, col. 78 sq.

L’homme déjà justifié et mis en possession de la grâce sanctifiante a besoin, en outre, de grâces actuelles pour vivre vertueusement et éviter le péché : c’est ce qu’enseigne saint Thomas, Sum. theol., Ia-IIæ, q. cix, a. 9 ; mais ici surgit la question controversée entre les théologiens : faut-il, dans l’homme justifié, une grâce actuelle pour chaque acte salutaire ? La réponse ne se trouve pas, à notre avis, dans les documents officiels de l’Église, mais dépend de la notion que l’on a sur l’essence de la grâce actuelle ; c’est pourquoi nous réserverons cet exposé à la partie où nous traiterons de l’essence de la grâce actuelle.

L’homme justifié a besoin de grâces actuelles pour persévérer dans le bien pendant un temps considérable ; c’est la doctrine exprimée dans le document intitulé : De gratia Dci indiculus, Denzinger-Bannwart, n. 132 : >< Aucun homme, même après avoir été renouvelé par la grâce du baptême, n’est capable de vaincre les pièges du démon et de résister aux désirs de la chair, à moins que, par un secours quotidien de Dieu, il ne reçoive de persévérer dans sa bonne conduite. » II s’agit donc ici

de la difficulté d’éviter le péché ; pour la vaincre il ne suffit pas que l’homme soit en état de grâce ; il faut un autre secours. Le texte cité n’en indique pas la nature ; mais les théologiens enseignent qu’il s’agit de grâces actuelles, notamment d’illuminations intellectuelles, qui dissipent l’ignorance, et d’inspirations dans la volonté, qui s’opposent aux mouvements désordonnés de la concupiscence. Cf. S. Thomas, loc. cil. Comme nous l’avons exposé plus haut, cette difficulté morale n’est pas telle que l’homme, même sans la grâce sanctifiante, ne puisse résister à certaines tentatioi.s et éviter pendant un certain temps tout péché mortel ; cette difficulté morale n’est pas plus grande chez l’homme justifié ; par conséquent la nécessité de grâces actuelles, dont nous parlons maintenant, doit s’entendre d’une nécessité morale et d’une nécessité qui concerne l’observation de tous les devoirs qui obligent sous peine de péché mortel pendant un temps considérable. Saint Augustin, dans son traité De dono perscmranliæ, parle de la persévérance finede, de celle qui fait que l’homme meurt en état de grâce et est sauvé pour l’éternité ; à ce titre, la persévérance est un don spécial de Dieu, et l’effet propre de la prédestination : c’est pourquoi l’homme est de lui-même incapable de réaliser cette persévérance finale, et tous les bienfaits par lesquels Dieu amène l’homme à ce résultat sont, par là même, spécialement gratuits. Cf. op. cit., surtout c. iii, viii, ix, xvii, xxiv, P. L., t. xlv, col. 997, 1004, 1014 sq., 1018, 1033. C’est aussi de la persévérance finale qu’il faut entendre le can. 10 du concile d’Orange. Denzinger-Bannwart, n. 183. Ce don ne consiste pas dans une grâce habituelle, ni dans une entité d’un genre spécial, mais dans un ensemble de bienfaits et de grâces efficaces, qui sont l’effet d’une protection particulière de Dieu. Cf. S. Thomas, Sum. theol., V IP 1’, q. cix, a. 10. Le concile de Trente définit aussi que la persévérance finale est un don spécial de Dieu. Denzinger-Bannwart, n. 806, 832. Cf. Suarez, De gratia, I. X, c. v sq., Opéra omnia, t.ix, p. 590 sq., où l’on trouve exposées différentes questions qu’il n’est pas nécessaire de détailler ici. Notons seulement que la persévérance n’est pas ce don qu’on appelle la confirmation dans la grâce. Op. cit., c.vm, p. 607 sq. Dans l’ordre actuel de la providence, l’homme, qui est justifié et qui persévère dans cet état, ne peut pas cependant, sans un privilège tout spécial, éviter, pendant toute sa vie, tout péché véniel. C’est l’assertion définie par le concile de Trente, sess. vi, can. 23. Denzinger-Bannwart, n. 833, qui déclare en même temps que le privilège susdit a été accordé à la Vierge Marie. La doctrine mentionnée repose sur l’interprétation des paroles du Pater : dimilte nobis débita nostra, demande qui doit être faite par tous les justes et qui suppose qu’ils commettent réellement des péchés. Un autre fondement est l’assertion de saint Jacques, ni, 2 : « Nous péchons tous en beaucoup de choses » et celle de saint Jean, I Joa., i, 8 : « Si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous séduisons nous-mêmes. » Ces textes expriment l’incapacité morale de l’homme juste à éviter tout péché ; il s’agit du péché véniel qui ne fait pas déchoir l’homme de l’état de justification. Cette doctrine fut déclarée au concile de Carthage, qui l’appuie sur les textes cités, can. 6-8. Denzinger-Bannwart, n. 106-108. Saint Augustin, comme le remarque le P. Hurter, Theologise dogmatiese compendium, t. iii, n. 4 1, avait été d’abord moins affirmatif sur ce point, mais, après le concile mentionné, il n’hésite plus à défendre l’impossibilité pour le juste d’éviter tous les péchés véniels. Contra tliias epislolas pclagianorum, I. IV, c. x, n. 27, P. L., t. xliv, col. 629 sq. Cf. S. Jérôme, Dialogus adversus pelagianos, 1. II, n. 4, P. L., t. xxiii, col. 537 ; S. Léon, Serin., XV, c. i, P. L., t. liv, col. 174 ; S. Gélase I er, Dicta adversus pelagianam hærcsim, P. L., t. lix,