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GRACE


un acte d’espérance, de crainte, etc. Pour les œuvres faciles, il y a une grâce qui n’est pas efficace ab intrinseco relativement à l’œuvre salutaire ; notamment cette grâce suffisante donne à chacun le pouvoir de prier (l’acte de la prière est parmi les œuvres faciles), et celui qui prie obtient la grâce efficace ab inlrinseco. Opéra dogmatica, tr. V, § 7, édit. Walter, Rome, 1903, t. i, p. 528. Voir son article, t. i, col. 916. Le P. Jean Hermann a proposé et adopté le sentiment de son père saint Alphonse. Trachrfus de divina gratta secundum S. Alphonsi de Ligorio doclrinam et mentem, Rome, 190-1, p. 337-501.

2. Critique.

Cette doctrine ne répond pas directement à la question posée par les théologiens, â savoir si la grâce est efficace ab intrinseco ou ab extrinseco. Elle contient de justes considérations sur la doctrine de la distribution des grâces, et notamment elle met en relief l’importance de la prière ; c’est par elle que l’homme obtient de fait des grâces plus nombreuses et plus influentes ; on peut dire que, en règle générale, c’est par la prière que l’homme reçoit les grâces efficaces par lesquelles il se sauve ; mais cette connexion entre la prière et les grâces subséquentes ne résout pas la question du mode selon lequel la grâce produit le consentement ; en particulier, elle ne résout pas la question du mode selon lequel la grâce qui excite à la prière est efficace. De plus, la théorie de Tournély a d’autres inconvénients. Voir art. Augustinianisme, t. i, col. 2498. Dans le même article, col. 2496, on a indiqué l’opinion du P. Guillermin, qui mérite d’attirer l’attention des théologiens.

Conclusion. — 1° D’après l’exposé succinct de ces diverses doctrines, il semble qu’on peut, quant à leur substance, les ramener à trois catégories, en ne tenant pas compte des divergences qui concernent l’explication ultérieure des principes et leur application.

1. D’après Baftez, l’efficacité de la grâce consiste dans la prédétermination physique : c’est la grâce adjuvante (réellement distincte de la grâce excitante) qui, surajoutée à la grâce excitante, cause physiquement l’acte du consentement ; il y a donc une connexion physique et nécessaire entre cette grâce et l’acte délibéré ; c’est là, au plein sens du mot, une grâce efficace par elle-même, efficax ab intrinseco.

2. D’après Molina, il n’y a pas île prédétermination physique et par conséquent pas de connexion physique et nécessaire entre la grâce et l’acte délibéré. La causalité physique de la grâce actuelle se trouve tout entière dans l’acte indélibéré d’intelligence et de volonté. Ces actes disposent l’homme au consentement, l’y inclinent, mais ce consentement est produit, causé par la volonté se déterminant elle-même librement ; précisément pour cela il n’y a pas de connexion physique et nécessaire entre la grâce et l’acte délibéré du consentement, et par conséquent il n’y a pas de grâce efficace par elle-même ; dans ce système on a, au sens plein du mot, une grâce efficace ab extrinseco.

Pour préciser le sens de l’expression effleax ab extrinseco, remarquons que Molina parle de la grâce excitante, et que, par son efficacité, il entend l’émanation de l’acte du consentement ; comme, d’après lui, cette émanation est causée physiquement par la volonté sans aucune prémotion physique divine, il résulte que cet acte est surajouté à la grâce excitante qui en est réellement distincte et par conséquent l’efficacité dont il s’agit est extrinsèque à la grâce excitante. Les banésiens appellent aussi efficacité de la grâce l’émanation même de l’acte du consentement ; comme, d’après eux, cette émanation est causée physiquement par la prédétermination divine, il résulte que cet acte est l’effet immédiat et physique de la grâce et que la causalité physique de celle-ci atteint l’être et la détermi nation de cet acte ; c’est pourquoi on dit que cette grâce est par elle-même ou intrinsèquement efficace. Mais il faut remarquer que la grâce qui est efficace au sens expliqué n’est pas la grâce excitante, mais une grâce réellement et essentiellement distincte de cellelà et surajoutée.

3. D’autres théologiens défendent une opinion moyenne. Ils n’admettent pas la prédétermination physique, mais ils n’admettent pas non plus l’absence de toute connexion intrinsèque entre la grâce et l’acte du consentement ; la grâce excitante, d’après eux, produit une disposition, une inclination qui, parce qu’elle est telle (c’est-à-dire parce qu’elle produit tel acte déterminé, indélibéré, ou bien parce qu’elle produit une inclination de telle intensité), obtient, de fait, le consentement ; c’est donc dans la congruité de la grâce excitante relativement au sujet que consiste la connexion de la grâce avec le consentement ; d’après cette opinion, la grâce est dite aussi efficace ab intrinseco, mais cette efficacité intrinsèque diffère radicalement de l’efficacité intrinsèque défendue par les banésiens. La première n’est pas physique, elle est morale : aussi l’appelle-t-on une prédétermination morale. La congruité ou prédétermination morale est susceptible d’explication plus développée, mais il est essentiel à la doctrine exposée que la volonté est cause physique efficiente de son acte délibéré ainsi que de la détermination de celui-ci, de plus que cette détermination est réellement contingente, c’est-à-dire que la volonté qui, sous l’influence de la grâce excitante, se détermine au consentement, aurait pu physiquement se déterminer au non-consentement, à la résistance. Cette opinion est donc toute différente de celle de Jansénius qui concevait l’appétit volontaire comme une balance qui penche nécessairement du côté ou la pression est plus forte, cf. Guillermin, Revue thomiste, 1903, p. 22 sq. ; elle est aussi différente de l’opinion des augustiniens rigides chez lesquels la délectation victorieuse semble bien causer physiquement la prédétermination de l’acte du consentement, bien que cette prédétermination exerce une causalité toute différente de celle qui est exposée dans le système bahésien. Sur l’opinion des augustiniens rigides, voir Augustinianisme, t. i, col. 2485 sq. ; dans le même article, col. 2495 sq., est exposée la doctrine de la prédétermination morale. Si l’on exclut l’opinion de Tournély, qui introduit une distinction sans fondement, et si l’on s’en tient à admettre une congruité intrinsèque, mais relative aux dispositions des individus, auxquels est donnée la grâce excitante, et dont l’effet propre est de mettre le sujet dans telle disposition où de fait il consentira librement, cette opinion nous semble sauvegarder la liberté humaine et l’efficacité de la grâce. Les hommes, par leurs paroles et leurs actes, peuvent persuader aux autres de faire ou d’omettre telle chose ; ils sont parfois si puissants qu’ils peuvent faire changer les résolutions des autres ; Dieu qui agit à son gré dans l’intérieur même de l’âme pourra donc obtenir toujours le consentement de l’homme ; il pourra par conséquent réaliser chez les divers individus la sainteté surnaturelle telle qu’il la désire. Nous ne voyons pas sur quoi est fondée l’assertion du P. Portalié, art. Augustinianisme, t. i, col. 2497 : « De fait, l’expérience prouve que Dieu n’emploie pas universellement ce moyen (la prédétermination morale). Il n’est ni vrai, ni vraisemblable que Dieu donne à tous ceux qui font bien (même dans les plus petites choses, une légère aumône, etc.) une abondance de grâces moralement irrésistible, en sorte qu’il leur serait non seulement plus difficile, mais moralement impossible de résister ; l’expérience de chaque âme semble établir qu’il n’en va point ainsi. » Cette assertion suppose d’abord qu’il faut pour tout acte salutaire, même chez