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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 6.2.djvu/223

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GRACE


Somme Ihéologïque, Toulouse, 1913, t. viii, p. 309316. La même doctrine est exposée par le cardinal Billot, De virtuiibus infusis, p. 174 sq.

c. L’infirmité humaine vis-à-vis du bien à accomplir n’est pas telle qu’elle exige une grâce excitante pour chaque acte salutaire, car souvent l’homme ne rencontre pas une difficulté considérable à choisir et à réaliser l’acte vertueux. De même que le pécheur peut agir parfois honnêtement, poser un acte naturel et bon, sans le secours d’une grâce, ainsi, a fortiori, l’homme justifié pourra user des vertus infuses, poser des actes surnaturels et bons, sans le secours de la grâce excitante.

d. Enfin on n’a pas de raison solide pour établir l’existence d’une loi divine d’après laquelle aucun acte salutaire ne serait accompli par un juste, sans qu’il y ait été excité par une grâce actuelle. Certes on nous propose le texte où le Christ dit que le juste ne peut rien faire sans lui, Joa., xv, 5, mais cette assertion ne concerne pas exclusivement le secours actuel, dont nous parlons ; il y est parlé de la grâce, considérée en général, qui comprend la grâce sanctifiante, la charité, etc. Nous rencontrerons les textes des conciles et des Pères dans les objections, qu’il nous reste à examiner.

c) Objections. — Elles sont les arguments proposés par les auteurs qui défendent la nécessité de la grâce excitante pour chaque acte salutaire chez l’homme juste. Ces objections sont de deux espèces : les unes ont leur point de départ dans une assertion philosophique ; les autres dans un texte tiré des conciles ou des Pères.

Objections philosophiques. — a. Pour que l’homme juste puisse agir salutairement, il faut qu’il pense à l’œuvre qu’il va accomplir ; or, cette pensée est une grâce actuelle excitante ; donc une grâce actuelle excitante est requise à chaque acte salutaire.

Nous concédons la majeure ; nous nions la mineure. Celte pensée peut être un acte naturel qui est l’occasion et non la cause de l’acte salutaire. Supposons, par exemple, qu’un homme ait pris la résolution de faire un acte d’adoration interne à chaque fois qu’il voit une église. L’action de voir l’église et l’acte de mémoire, qui en résulte, suffisent pour que cet homme fasse l’adoration interne. On ne voit pas pourquoi serait requise dans ce cas une spéciale illumination ou inspiration du Saint-Esprit.

Un autre exemple : l’homme justifié, en entendant prêcher les vérités révélées par Dieu ou en lisant leur expression, dans un livre, peut immédiatement faire un acte de foi surnaturelle, il peut aussi faire des actes d’autres vertus dont la pensée lui est suggérée ; cet homme possède tous les principes requis à l’émission d’actes intrinsèquement surnaturels qui sont l’objet des différentes vertus chrétiennes. Par là, on peut se rendre compte de l’importance des vertus acquises ou naturelles, notamment de celles qui s’acquièrent par la répétition d’actes surnaturels, voir à ce sujet de Ripalda, De ente supernaturali, t. i, disp. LUI, p. 499 ; Pesch, Privlecliones dogmatiese, t. viii, De virtutibus, n. 14 ; Billot, De virtutibus infusis, Proleg., ii, § 3, p. 50 sq. ; ces vertus acquises donnent à l’homme une certaine facilité pour accomplir les actes surnaturels, elles font aussi diminuer et même disparaître les obstacles à l’exercice des vertus surnaturelles. Le jugement pratique d’où procède l’acte libre, délibéré et salutaire, doit être, à notre avis, surnaturel ; il le sera parce qu’il procède de la prudence infuse, vertu qui règle l’exercice de la sainteté chez l’homme juste ; il ne faut pas, à notre avis, une grâce actuelle excitante à chaque fois qu’agit la vertu surnaturelle de prudence. Voir Collationes Brugenses, 1907, t. xii, p. 256 sq., 395 sq. Les événements, tels que prédication, lecture pieuse, bons exemples, qui sont pour l’homme justifié l’occasion

d’exercer les vertus surnaturelles, doivent être attribués à la providence divine et sont des bienfaits et secours externes ; on ne peut pas les confondre avec la grâce actuelle interne.

b. La vertu infuse est une qualité potentielle qui, pour passer à l’acte, requiert une excitation ou prémotion ; or celle-ci doit être dans le même ordre que Yhabitus qu’elle met en mouvement, elle doit donc être surnaturelle ; donc à chaque fois que l’homme émet un acte salutaire par une vertu infuse, à chaque fois aussi il lui faut une excitation surnaturelle ; donc une grâce actuelle.

Cette objection peut recevoir une double réponse :

Si l’on admettait (ce que nous n’admettons pas) qu’il faut une prémotion eniilativement surnaturelle pour causer l’émission de tout acte appartenant à une vertu infuse, et si on appelait grâce actuelle cette prémotion, on dirait donc qu’une grâce actuelle est requise à chaque acte salutaire que fait le juste ; mais on ne pourrait pas déduire qu’est requis à chaque acte ce secours spécial que nous appelons proprement la grâce actuelle excitante ; ce secours spécial, dont nous avons parlé plus haut, consiste en l’influence ou l’instinct du Saint-Esprit, et a pour terme l’acte indélibéré d’intelligence et de volonté, la pensée salutaire, l’affection salutaire ; celles-ci sont un secours surajouté à l’énergie humaine et disposent positivement l’homme à vouloir délibérément tel acte de vertu. Ce secours spécial est donc d’une nature toute différente de cette prémotion physique, qui, d’après l’hypothèse, mettrait en activité la vertu infuse ; de plus, d’après la doctrine de saint Thomas, ce secours spécial, cet instinct, tombe directement sur les dons du Saint-Esprit, et non sur les vertus infuses. Par conséquent, quand les théologiens énoncent cette proposition : une grâce actuelle est requise, même chez le juste, pour tout acte salutaire, il faut qu’ils déterminent ce qu’ils entendent par grâce actuelle, car la prémotion ou prédétermination physique à l’acte délibéré est une réalité essentiellement dilïérente de l’illumination et de l’inspiration du Saint-Esprit.

La réponse directe, que nous donnons à l’objection proposée, distingue la majeure et nie la mineure : L’habitus surnaturel… exige une excitation distincte de celle qui est requise pour l’acte même émis par la faculté, je le nie ; l’habitus surnaturel… exige l’excitation qui est demandée par l’acte lui-même, je le concède.

Voici l’explication de cette distinction. Il faut d’abord insister sur la différence essentielle entre un habitas et une faculté opérative : celle-ci est une qualité essentiellement ordonnée à agir, à émettre une opération ; Yhabitus opératif est une qualité surajoutée â la faculté opérative, la modifiant intrinsèquement en lui donnant une disposition bonne ou mauvaise par rapport à l’opération. Dans le cas qui nous occupe, Yhabitus est une qualité infuse par Dieu, surnaturalisant intrinsèquement la faculté opérative et lui conférant proprement une capacité positive à émettre des actes surnaturels déterminés (par exemple, les actes de charité, de religion, etc.). L’habitus infus n’apporte pas, par lui-même, une facilité ou une propension à exercer des actes tels, mais son essence consiste dans une inclination vers ces actes, dans une adhésion ù l’objet de ces actes vertueux. Voir Billot, De’jnirtulibus infusis, Proleg., ii, § 1, p. 35. Par conséquent, la faculté opérative et Yhabitus ne sont pas deux facultés dont chacune exige une motion physique à l’acte ; toute motion physique à l’acte doit tomber sur la faculté opérative ; c’est elle qui émet l’acte. Cet acte sera influencé par l’habitus correspondant qui est précisément la disposition positive de la faculté à telle espèce d’actes ; quand l’homme justifié émet un acte