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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 6.2.djvu/264

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GRATRY


P. Gratry, non sans une pointe d’inconscient paradoxe, lui i imputer les ratures de ses manuscrits. » Il s’arrête aux Dogmes théclogiques de Petau, surtout à ceux de Thomassin dont il loue l’orthodoxe et large éclectisme ; c’est par LSossuct et Leibniz qu’il termine cette revue des théodicées.

La dernière partie de la Connaissance de Dieu traite avec ampleur de ce que, après saint Thomas, l’auteur nomme les deux degrés de l’intelligible divin (duplici igitur v ritate divinorum intelligibilium existante, etc.), et des rapports de la raison qui atteint le premier degré, avec la foi qui seule nous conduit au second.

Le P. Gratry aninne que sa démonstration de l’existence de Dieu par l’induction « n’est autre chose que l’un des deux procédés de la géométrie, qui correspondent aux deux procédés généraux de la raison (l’induction et la déduction). Elle est le procédé infinitésimal, appliqué non plus à l’infini géométrique abstrait, mais à l’infini substantiel qui est Dieu. » Connaissance de Dieu. t. ii, part. I, c. ix.

Que le 1’. Gratry ait rejeté l’ontologisme qui florissait dans de brillantes écoles lorsque parut la Connaissance de Dieu, c’est chose incontestable. Il s’en est expliqué en maint endroit, particulièrement dans son étude sur la théodicée de Malebranche. Malebranche, dit-il, croit que notre idée de Dieu est la vue de Dieu même, directe, immédiate. Selon lui, du moins selon qu’il le développe dans la Recherche de la vérité, la vue des créatures et la vue de notre âme ne sont qu’une vue de Dieu, qui opère en nous, à l’occasion de notre âme et du monde, les impressions, les sensations, les sentiments que nous attribuons au monde et à notre âme. Malebranche ne dit pas comme saint Paul : « Nous voyons Dieu par les créatures, » il dit à l’inverse : « Nous voyons les créatures par Dieu. » Connaissance de Dieu, Théodicée du xviie siècle, Malebranche, iv.

Mais à un autre point de vue, des critiques n’ont pas manqué à la théodicée du P. Gratry. Certes, l’idée de Dieu naît avec une extrême facilité dans toute âme qui n’est pas pervertie — l’expérience quotidienne, l’expérience universelle le prouvent — mais cette idée n’est pas primordiale, elle en suppose d’autres, par exemple, l’idée de la raison suffisante dont on la déduit ; ce n’est donc pas sans intermédiaire, comme l’avance le P. Gratry, que l’âme s’élance vers Dieu. Sans doute, l’idée de l’infini ne naît pas de l’idée du fini comme de sa cause efficiente, mais ne peut-elle pas naître de l’idée du fini comme de sa cause occasionnelle, comme de sa condition ? Lorsque le P. Gratry répète sans se lasser cet argument qui lui paraît décisif et qui l’est en effet : Tout est fini sur la terre, mais j’éprouve une tendance irrésistible vers l’infini et le parfait, donc il existe un Être infini et parfait, cet argument, tout inductif qu’il est, ne suppose-t-il pas, pour être valable, un principe sans lequel on ne peut rien conclure des deux faits d’expérience donnés dans les prémisses. L’induction ne vaut que par l’affirmation préalable d’un principe comme celui-ci : Toute tendance irrésistible doit avoir son objet. Et ce principe lui-même, que vaut-il si nous n’admettons déjà une loi providentielle, et avec la loi le Dieu dont elle dépend ? « L’induction, dit Royer-Collard, s’appuie sur ce principe : Dieu étant un Être sage doit gouverner le monde par des lois stables. » Le P. Gratry a subi surtout de graves critiques sur l’emploi qu’il prétend faire du calcul infinitésimal pour la démonstration de l’existence de Dieu. Emile Saissel, Une logique nouvelle à l’Oratoire, dans la Revue des deux mondes, l ir septembre 1855 ; voir la répons » ’du P. Gratry. dans le Correspondant du 25 octobre 1855. Encore que, dit l’abbé de Broglie, des savants de

premier ordre tels que Gauchy et Ampère paraissent avoir incliné du côté des idées du P. Gratry, » elles n’ont pas été admises par le grand nombre des mathématiciens ; et, ajoute M. de Broglie, « la plupart des philosophes spiritualistes repousseraient également une assimilai ion entre l’infini mathématique essentiellement divisible en parties, et la simplicité de l’Être divin. » Le P. Gratry, polytechnicien, philosophe cl apologiste, dans la Quinzaine du 1 er novembre 1804. M. de Broglie en faisait cependant l’équitable remarque : « s’il ne s’agissait que de faire naître l’idée de Dieu, ou même de persuader aux hommes que l’objet de cette idée est réel, la méthode de l’illustre oratorien pourrait avoir son utilité. Tout chemin mène à Rome, dit le proverbe, nous pouvons dire de même que du moment qu’il s’agit d’âmes droites et de cœurs sincères ayant des aspirations religieuses, tout chemin mène à Dieu. »

Il est un autre point, non pas philosophique, mais théologique, sur lequel le P. Gratry a aussi été critiqué, mais il pouvait opposer à ses adversaires une victorieuse réponse. « L’intelligence créée, dit-il, a, par le fait, le désir de la vue intuitive de Dieu… Ce désir tient à la nature même de la créature raisonnable… Or ce désir, ce désir négatif, je l’accorde, désir par privation et par regret, quelque indirect, aveugle et inefficace qu’il puisse être en lui-même, suffit pourtant à démontrer que notre intelligence n’aura son plein repos et sa pleine perfection que dans la lumière supérieure que lui apporte la vue de Dieu. » Connaissance de Dieu, t. ii, part. II, c. vi. A propos d’une telle doctrine, le fâcheux souvenir de Quesnel et de Baius avait été rappelé, Rohrbacher, Histoire universelle d° V Église catholique, 1857, t. v, p. 556 ; mais le P. Gratry s’était justifié d’avance : « Nous voyons, avait-il écrit, qu’on ne peut dire avec Baius : « Que l’élévation de la nature humaine « à la participation de la nature divine était due à « l’intégrité de la première création, et doive être < dite naturelle et non surnaturelle. » « Le don de Dieu pouvait s’arrêter là, et donner seulement à l’homme la pleine science naturelle, le plein empire sur ses passions, et dans son corps l’immortalité. Seulement, comme le démontre saint Thomas, l’homme alors n’eût pas été élevé à sa perfection dernière, c’est-à-dire à sa fin surnaturelle qui consiste à voir l’essence de Dieu et à la posséder : et la nature intègre, encore plus que la nature déchue, eût conservé le naturel désir de voir l’essence de Dieu et de la posséder. » Connaissance de Dieu, t. ii, part. II, c. iv. Au xviiie siècle, les souvenirs de Baius et de Jansénius avaient. aussi été évoqués contre l’auguslin Berti qui, dénoncé à Benoît XIV, soutint cette proposition : Ncmo damnandus est baianismi si dejended creeduræ ralionali inessc neduraliler appetilum innalum ad visionem Dci intuilivam ; et n’encourut aucune censure. Voir, à la fin du t. n de la Connaissance de Dieu, une note très éruditc, dont les éléments ont été fournis au P. Gratry par l’abbé Gillet, vicaire général de Blois, que Pie IX désigna plus tard comme un des théologiens chargés de préparer les travaux du concile du Vatican. « Tel quel, dit le cardinal Perraud, ce désir (quoique par lui-même indirect et négatif) suffit à produire dans l’âme une très salutaire impression de vide, une conscience de son ignorance et de sa misère, une prédisposition à se mettre en état de recevoir ce qui lui manque, et tout d’abord d’en sentir le besoin. » /.< l’ère Gratry, p. 113.

La Logique, qui n’avait pas la prétention d’être une Logique nouvelle, contient une vigoureuse réfutation du panthéisme hégélien, une étude du syllogisme el de ses lois, laquelle n’occupe pas moins d’un tiers du I er volume, de longues considérations sur le procédé I dialectique ou procédé infinitésimal ; tout un livre