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HÉBREUX
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de l’Épître est aujourd’hui presque aussi discutée que celle de son auteur. Ce qui crée la difficulté, c’est l’absence d’adresse au début de la lettre et d’indication précise sur la nationalité et le lieu de la résidence des destinataires dans le cours de l’écrit. Toutefois, la lettre n’est pas une encyclique, envoyée à toutes les Églises ou à un groupe déterminé d’Églises. Elle est adressée à une seule Église entière et non à une fraction d’Église ou à une Église familiale. Le caractère général de l’Épître apparaît dans le dernier verset, où il y a deux rcâvTaç, xiii, 24. Les destinataires formaient une èmjuvaytoYri, x, 25, qui avait ses chefs, xiii, 17. Si, dans l’antiquité chrétienne, on a intitulé l’Épître ad Hcbreeos et si on a reconnu dans les destinataires les juifs convertis constituant l’Église-mère de Jérusalem, dans les temps modernes, on a pensé à d’autres Églises judéochrétiennes. Quelques critiques ont toutefois prétendu que la lettre n’était pas destinée à des juifs. Il y a donc à prouver, d’abord, qu’elle a eu la destination qu’indique son titre, puis à rechercher à quels juifs convertis elle a été envoyée.
1° L’Épîlre est adressée à des juifs, et non pas à des païens ou à une Église, mêlée de juifs et de païens. — 1. A des juifs convertis. - — En donnant à l’Épître le titre jrpo’ç’E6patouç, l’antiquité chrétienne a déterminé que la communauté à laquelle elle était destinée était de nationalité juive. Dans l’ancienne langue ecclésiastique, les Hébreux sont les juifs ou les judéo-chrétiens en opposition aux païens, II Cor., xi, 22 ; Phil., iii, 5, ou encore les juifs qui parlaient hébreu en opposition avec les juifs parlant grec ou les hellénistes. Act., vi, 1 ; ix, 22. Ce titre n’est pas seulement attesté par les plus anciens manuscrits qui sont du ive siècle, ni par les seules versions ; il l’est encore par les Pères qui leur sont antérieurs. Jamais, l’Épître n’a eu d’autre titre, et ce titre remonte à la seconde moitié du iie siècle. Ce n’est donc pas une invention des copistes ou des scoliastes. On peut penser que cette désignation des destinataires se rattache à une tradition qui, au ne siècle, savait que la lettre avait été adressée aux chrétiens de Jérusalem. C’est plus qu’une conjecture, suggérée par la lecture de l’écrit, plus qu’une présomption. En tout cas, la tradition ecclésiastique a adopté ce sentiment. Pantène et Clément d’Alexandrie l’énoncent, et ils en ont conclu à tort que la lettre avait été écrite en hébreu. Cette conclusion fausse ne diminue pas la portée de leur témoignage sur des destinataires juifs.
Aussi bien, le contenu de la lettre le confirme. L’auteur veut mettre en relief la transcendance personnelle du Fils de Dieu et l’incomparable efficacité de son sacrifice. Il établit de la sorte la supériorité de l’alliance nouvelle sur l’ancienne pour raviver la foi et l’espérance de ses lecteurs, x, 23. Or, cette démonstration ne s’adresse pas à des païens convertis qui connaîtraient les croyances juives et les observances légales, si tant est que des chrétiens d’origine païenne aient connu, à cette époque, avec tant de détails le rituel juif. L’argumentation suppose des lecteurs nés juifs. Dieu, qui a parlé autrefois à leurs pères par les prophètes, leur a parlé à eux récemment par son Fils, i, 1, 2. Le Fils de Dieu s’est incarné dans la race d’Abraham, ii, 16. L’auteur nomme à plusieurs reprises le peuple juif, iv, 9 ; vii, 5, 11, 27 ; ix, 7, 19 ; xi, 25 ; il ne dit mot des gentils. Seuls, des chrétiens d’origine juive pouvaient comprendre les allusions faites aux prescriptions alimentaires et aux ablutions, ix, 9, 10, aux aspersions du sang des victimes et de la cendre de la vache rousse, ix, 13. Les arguments invoqués et les procédés de dialectique ne pouvaient impressionner et convaincre que des fidèles, juifs de naissance. Dans les premiers chapitres, Jésus est comparé aux anges et à Moïse, organes de l’ancienne alliance, pour montrer sa supériorité et sa
divinité. La thèse entière de la supériorité du sacerdoce de Jésus sur le sacerdoce juif, iv, 14-x, 18, vise des juifs qui seuls étaient capables d’en saisir la portée et les détails. Au sujet de la foi, x, 38, 39, on ne rapporte que les exemples des saints de l’ancienne alliance, xi, 1-40, familiers aux lecteurs. L’argumentation est fondée exclusivement sur l’Ancien Testament, dont le caractère typologique est affirmé et constamment admis : les faits et les personnages de la Bible sont présentés comme figuratifs de la vie et de la personne de Jésus ; les passages bibliques qui conviennent à Jahvé sont appliqués au Fils de Dieu ; le silence de la Genèse sur l’origine de Melchisédech est exploité pour assimiler davantage le roi de Salem au Fils de Dieu, prêtre éternel. Ces moyens de preuves ne pouvaient être employés que pour des juifs dont l’esprit était habitué au caractère figuratif de la loi et à un genre d’argumentation, habituel à leurs docteurs. Les païens convertis, malgré leur initiation chrétienne et l’enseignement religieux qu’ils continuaient à recevoir, n’avaient pas les aptitudes voulues pour concevoir et admettre la doctrine, la dialectique et le vocabulaire de l’Épître aux Hébreux.
2. Non à des païens convertis.
Cependant quelques critiques protestants, Schùrer, Weizsâcker, Pfleiderer et von Soden, ont prétendu que c’était à d’anciens païens plutôt qu’à d’anciens juifs que l’auteur pouvait parler de péchés volontaires, x, 26, du péché d’incrédulité, m, 12, et de l’endurcissement par la séduction du péché, iii, 13. C’était à des païens, qui avaient été prosélytes du judaïsme, qu’il rappelait l’enseignement élémentaire du Christ, la foi en Dieu, la doctrine du baptême et de l’imposition des mains, la résurrection des morts et le jugement éternel, vi, 1, 2 ; les juifs connaissaient ces doctrines avant leur conversion C’était des adorateurs d’idoles mortes, donc des païens et non des juifs, qu’il exhortait à servir le Dieu vivant, x, 14. Le conseil donné de ne pas déserter leur assemblée, x, 25, suppose une è^iauvaycoyrî, opposée à celle des juifs. Cf. Grass, Isl der Hebrâcrbrief an Heidenchristen gericht, Saint-Pétersbourg, 1892.
Les passages signalés ne sont que des détails de l’Épître. Ils ne contrebalancent pas l’impression générale que la lettre est adressée à des chrétiens, issus du judaïsme. La mise en garde contre le péché et sa séduction était nécessaire à des juifs autant qu’à des païens, et l’exhortation à ne pas s’endurcir est fondée sur l’exemple des Hébreux dans le désert. iii, 7-11 L’enseignement élémentaire, qui est simplement rappelé, est le fond de la prédication apostolique adressé à tous ceux qui voulaient adhérer au Christ. La foi en Dieu n’est pas la foi monothéiste ; c’est ici la foi en Jésus, ni, 14, que des juifs convertis pouvaient perdre. Les œuvres mortes ne sont pas nécessairement les actes de culte rendus aux idoles, en opposition avec le service du Dieu vivant ou du vrai Dieu comme Act., xiv, 14 ; ce sont les péchés mortels. Cf. Heb., vi, 1. L’expression de Dieu vivant est une formule de l’Ancien Testament, Ps. xli, 3 ; lxxxiii, 3 ; Os., i, 10 (cf. Rom., ix, 26) ; Jer., x, 10 ; Dan., xl, 23, qui avait passé dans le langage solennel, comme le prouve l’adjuration de Caïphe à Jésus. Matth., xxvi, 63. Elle est répétée quatre fois dans l’Épître, ni, 12 ; ix, 14 ; x, 31 ; xii, 22. Elle n’est pas nécessairement opposée aux idoles mortes ; elle signifie seulement que Dieu se manifeste comme vivant et qu’il tient réellement sa parole. Cf. II Cor., iii, 3. Le servir, c’est être chrétien, en évitant le péché, et l’exhortation ainsi comprise peut s’adresser à des juifs convertis, exposés par la persécution à renoncer au Christ. Dans le conseil donné aux lecteurs de ne pas abandonner leur assemblée, s’il y a opposition avec la synagogue juive, c’est pour empêcher les convertis de retourner à celle-ci. Le mot