rience, il existe des choses mauvaises, cela ne peut provenir ni de son choix, ni de sa volonté : il faut nécessairement qu’il ait trouvé un obstacle dans une matière préexistante, où le mal a son origine. Adv. Hermorj., 1, ibid., col. 190. De plus, Dieu no saurait acquérir de nouveaux titres ni de nouvelles perfections. Et de même qu’il n’a jamais cessé d’être Dieu, il a dû être toujours Seigneur ; et comment Faurait-il été sans l’existence d’une matière à dominer ? Ibid., 3, col. 200. Donc, concluait Hermogène, des trois hypothèses qui peuvent servir à expliquer l’origine du monde actuel, les deux premières sont à écarter, et la troisième seule doit être retenue. C’était là supprimer l’un des dogmes capitaux du christianisme, celui de la création, inscrit au symbole des apôtres.
Que répond Tertullien ? Ceci : en droit, la matière ne peut pas être éternelle ; en fait, rien ne prouve que Dieu ait fait le monde avec une matière préexistante. D’où la conclusion : ce monde a été créé par Dieu ex nihilo : cette expression de Tertullien est restée dans la langue théologique.
En droit, et directement, la matière ne saurait être éternelle car, en la déclarant innata, infecta seternu, c’est l’égaler à Dieu et faire deux Dieux, puisque c’est lui attribuer un attribut essentiellement divin. Or, veritas sic unum exigit Deum, ut solius sit quidquid ipsius est. Ibid., 5, col. 202. C’est plus encore, la rendre supérieure à Dieu, puisque, d’après l’hypothèse, Dieu a besoin d’elle et est sous sa dépendance pour organiser le monde. Ibid., 7-8, col. 203-204. En droit, et indirectement, Tertullien prouve encore la non-existence d’une matière éternelle, car cela implique une contradiction ; il est contradictoire que ce qui est éternel, étant par là même parfait, puisse être mauvais comme cette prétendue matière ; et si la matière est essentiellement mauvaise, le mal est nécessaire ; alors pourquoi le combattre ? Si Dieu, avec cette matière essentiellement mauvaise, a fait quelque chose de bon, il l’a changée ; or ce qui est éternel ne peut changer. Ibid., 11-12, col. 206-208. Quant au mal qui persiste, ou Dieu l’a voulu, ou, ne le voulant pas, il ne l’a pas empêché : dans l’un et l’autre cas, il résulte de graves inconvénients. Quant au bien produit, d’où vient-il ? De la matière ? c’est impossible, puisque vous la déclarez d’essence mauvaise. De Dieu, par émanation ? Pas davantage, puisque vous la niez. Il reste donc qu’il a été créé ex nihilo. Ibid., 14-15, col. 209-210. Si la matière n’apparaît ici que pour justifier Dieu du reproche d’être l’auteur du mal, Dieu n’en est pas moins l’auteur du mal même en présence de cette matière. Conséquemment, la matière une fois exclue par le fait même que disparaît la nécessité de sa présence, il n’y a plus qu’à tirer cette conclusion : Dieu a tout fait de rien, ou, en d’autres termes, aucune raison n’existe d’admettre une matière éternelle. Ibid., 16, col. 211.
En fait, rien ne montre que Dieu ait fait le monde avec une matière préexistante. Sans doute, par une interprétation violente du texte de la Genèse, et notamment du mot principio, du terme terra, et de l’imparfait erat, Hermogène essayait de prouver le bien-fondé de son opinion, mais Tertullien le ramène à une interprétation littérale et obvie qui la ruine. Par son silence relatif à une matière avec laquelle Dieu aurait créé le monde, l’Écriture montre assez qu’il l’a créé de rien. Quant à une matière éternelle, ajoute Tertullien, je la cherche vainement dans le récit mosaïque ; Hermogène a pu la rencontrer parmi ses couleurs, il ne la trouvera certainement pas dans les Écritures de Dieu. Ibid., 19-32, col. 214-228. Donc salis est quod omnia et jacta a Deo constat, et ex maleria non constat ; quæ eliam si fuisset, ipsam quoque a Deo Jaclam credidissemus, quia nihil innatum præler Deum prœscribentes, obtincremus. Ibid., 33, col. 228.
Avant de finir, Tertullien relève les contradictions d’Hermogène dans les explications qu’il donne sur l’état de cette matière et sur la manière dont Dieu aurait agi sur elle. Et d’abord, de crnsu materiæ, votre matière serait à la fois corporelle et incorporelle, ibid., 35-36 ; bonne et mauvaise, ibid., 37 ; localisée et infinie, ibid., 38 ; immuable et changeante, ibid., 39 ; douée d’un mouvement confus, désordonné, tel que celui de l’eau qui bout dans une chaudière, ibid.. 41-43. Et ensuite, sur le mode d’intervention qu’il attribue à Dieu : Dieu aurait agi sur elle, en lui apparaissant ou en s’en approchant, apparens et appropinquans, à la manière de la beauté qui frappe l’esprit ou de l’aimant qui attire le fer. Vraiment, pour un Dieu qui est présent partout, c’est un voyage lointain qu’on prête à Dieu pour apparaître à la matière et se rapprocher d’elle. Ibid., 44, col. 237. Ce n’est pas ainsi que les prophètes et les apôtres ont enseigné que Dieu a fait le monde. Et Tertullien tire la conclusion générale, qui ne va pas seulement à ruiner l’erreur d’Hermogène, mais encore à prouver la création ex nihilo : Igitur in quantum constitit materiam nullam fuisse, ex hoc etiam quod nec talem competat fuisse qualis inducitur, in lantum probatur omnia a Deo ex nihilo facta. Ibid., 45, col. 238.
4° Les hermogéniens ou disciples d’Hermogène.
Comme on vient de le voir, Tertullien ne relève que
deux erreurs dans Hermogène, sans faire la moindre
allusion à un rapport quelconque entre lui et le sabellianisme ;
et c’est la même erreur sur l’origine du monde
que lui attribue l’auteur des Philosophoumena. Celui-ci
précise que, d’après Hermogène, Dieu n’a pas utilisé
toute la matière préexistante, mais seulement une
partie, laissant l’autre à son mouvement désordonné ;
la partie organisée est le y.oatxoç, , l’autre reste I’ûXtj àypîa
xai âcxoapoç. Philosoph., viii, 17, p. 417. Hermogène,
ajoute-t-il, ibid., p. 418, confesse que le Christ est le
Fils de Dieu, qui a tout fait ; qu’il est né, comme le
raconte l’Évangile, de la Vierge et du Saint-Esprit ;
qu’il est ressuscité après sa mort et qu’il apparut corporellement
à ses disciples, èv aiôjxaTt ; et qu’en remontant,
vers son Père, il laissa son corps dans le soleil. Cette
dernière opinion, il l’appuyait sur ce texte mal compris
et mal interprété du psalmiste : In sole posuit tabernaculum
suum. Ps. xviii, 6.
Ces erreurs d’Hermogène se retrouvent naturellement chez ses disciples ; mais ceux-ci, non moins naturellement, ont pu en emprunter ou en inventer d’autres, auxquelles leur chef a été étranger. Et par suite, si Hermogène, sur la question de personnes divines, est personnellement à l’abri de tout reproche, on n’en saurait dire autant de ses disciples. Ceux-ci ont été nommément accusés de sabellianisme par saint Philastrius. Hær., 54, P. L., t. xii, col. 1168. Ils habitaient l’Asie Mineure et étaient plus particulièrement cantonnés en Galatie, où deux personnages, Séleucus et Hermias, propagèrent l’hérésie d’Hermogène. Ibid., 55, col. 1169-1170. Parmi les erreurs qui leur sont attribuées on compte les suivantes. D’après eux, le diable et les démons doivent se dissoudre un jour et retourner à la matière première. Théodoret, Hærrf. fab., i, 19, P. G., t. lxxxiii, col. 369. Le mal procède tantôt de Dieu, tantôt de la matière. Il n’y a pas eu de paradis visible. Le baptême d’eau est inutile, car les âmes, ayant été formées de souffle et de feu, n’ont d’autre baptême à recevoir que le baptême d’esprit et de feu, dont avait parlé saint Jean-Baptiste. Le monde terrestre est à vrai dire l’enfer. La résurrection des corps n’est autre que la procréation des enfants. Philastrius, Hær., 55-56, P. L., t. xii, col. 1170-1171.
La secte des hermogéniens n’a pas laissé d’autre trace dans l’histoire. Saint Augustin, De hær., 41, en parle comme d’une chose passée, sans rapporter