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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 6.2.djvu/62

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GILLES DE ROME


I. Vie.

Le premier point sujet à discussion est la détermination de la famille à laquelle Gilles aurait appartenu. La plupart des biographes de son ordre, pour ne pas dire tous, le donnent comme étant issu de la noble lignée des Colonna qui, à son époque, compta, entre autres, deux cardinaux fameux pour la part qu’ils prirent à la révolte contre Boniface VIII. A cet accord s’oppose, au moins négativement, le silence complet de tous les documents contemporains qui ne le nomment jamais autrement que Âïgidius Romanus. Toutefois, sans trop insister sur l’usage constant, à cette époque, parmi les religieux, de ne se désigner officiellement que par leur prénom suivi du nom de leur pays d’origine, il convient de ne pas perdre de vue que le premier historiographe des augustins, le B. Jourdain de Saxe, qui le donne comme étant « de la noble race des Colonna, » mourut octogénaire en 1380, et par suite peut être considéré de son côté comme à peu près contemporain.

Pour ce qui regarde la date précise de la naissance de Gilles, également laissée incertaine, des calculs basés sur l’année de sa promotion au doctorat permettent d’affirmer qu’elle eut lieu en 1247 ou tout au plus en 1246. Il entra très jeune et contre le gré de ses parents dans l’ordre des augustins qui venait tout récemment d'être reconstitué ou unifié. Le biographe mentionné écrit que ce fut in setate adolescenluli. Si l’on confronte ces paroles avec l’expression dont se sert Gilles lui-même dans son testament dont nous parlerons plus loin, où il affirme qu’il a été élevé dès son enfance au couvent de Paris, de cujus uberibus a puerilia nutrilus fui, tout en tenant compte de la législation d’alors sur l'âge canonique de la profession religieuse, il est permis de conjecturer qu’il fut envoyé à la capitale de la France vers l'âge de quinze ans, en partie sans doute pour être soustrait, comme saint Thomas, à l’influence de ses parents, dangereuse pour sa vocation. Tous les historiens sont du moins d’accord pour remarquer que, s'étant consacré aux études régulières, il y fit immédiatement des progrès merveilleux, grâce à son extraordinaire lucidité d’esprit, à laquelle il dut plus tard le surnom de doclor fundatissimus. Les cours préliminaires une fois terminés, il eut l’heureuse fortune de pouvoir suivre avec avidité l’enseignement théologique de l’ange de l'École, en sa seconde période de 1269 à 1271, c’est-à-dire pendant trois ans au plus, et non treize, comme l’affirment erronément de nombreuses notices biographiques. Appelé ensuite à enseigner à son tour, d’abord la carrière des arts, puis, à son couvent, le Maître des Sentences et la Bible, le règlement de l’université à laquelle on s'était empressé de l’immatriculer lui aurait permis de prendre le doctorat dès 1279 ou 1280, si l'évêque de Paris, Etienne Tempier, ne s’y était alors résolument opposé. C’est que notre théologien, fort de ses qualités intellectuelles, avait pris une part active aux discussions de l'époque, se déclarant sans réserves partisan de saint Thomas d’Aquin. Or, comme certaines opinions de ce dernier n’avaient pas, comme on sait, l’approbation d’Etienne Tempier, celui-ci n’hésita pas à censurer officiellement plusieurs propositions soutenues en classe par Gilles de Rome, sans qu’on ait encore pu savoir au juste en quoi elles consistaient. Ce qui est certain, c’est que le religieux augustin ne voulut pas alors se rétracter. Ayant donc été appelé à Rome par son supérieur général, il semble qu’il réussit à persuader ce dernier de la légitimité de sa cause : de fait, il resta plusieurs années en Italie, ainsi qu’on le déduit de différents chapitres de son ordre où on le voit figurer à cette époque en qualité de bachelier de Paris. Survint la mort de l'évêque. Le temps et l'éloignement ayant diminué d’autre part l’ardeur combative de Gilles, ses supérieurs, désireux de favoriser de leur

mieux la renommée du jeune savant, le recommandèrent à Honorius IV en vue du doctorat. Celui-ci, après s'être assuré préalablement des bonnes dispositions du théologien, envoya alors un rescrit au nouvel évêque de Paris, daté du 1er juillet 1285, dans lequel il constate que Gilles est prêt à révoquer ce que l’autorité académique jugerait opportun de révoquer, et par suite se montre digne d'être admis aux honneurs du doctorat. Raynaldi, Annales, an. 1285, n. 76 ; F. Ehrle, dans les Slimmen aus Maria Laach, 1880. t. xviii, p. 309 ; H. Denifle, Chariularium universitalis Parisiensis, 1. 1, p. 633. Ces mesures ne durent guère tarder à être exécutées, car à la fin de cette même année l’on voit le religieux augustin chargé de complimenter le nouveau roi Philippe le Bel, à son retour de Reims où il venait de se faire sacrer, au nom du corps universitaire. Quoiqu’on ne possède pas de preuve positive qu’il fût déjà docteur à cette date (la première nous étant fournie par les Actes d’un chapitre général tenu à Florence en 1287), l’on fait remarquer à bon droit que cette désignation officielle serait étrange dans la supposition qu’il n’eût pas encore obtenu ce grade, tandis qu’elle s’explique à merveille s’il était le dernier de la promotion. Il est vrai que, du consentement des biographes, confirmé par l’introduction de l’ouvrage De regimine principunt, Philippe le Hardi l’avait autrefois chargé de l'éducation du jeune prince, mais si ce fait suffit à motiver la familiarité du théologien avec le monarque, il n’en va plus de la sorte lorsqu’il s’agit d’une représentation officielle. Enfin les termes mêmes dont se sert le chapitre général des augustins, auquel nous venons de faire allusion, ne sauraient s’harmoniser que très difficilement avec l’hypothèse d’une promotion toute récente. C’est alors, en effet, que fut promulguée la fameuse décision qui impose à tous les professeurs de l’ordre de suivre en tout avec fidélité la doctrine et même les opinions du frère Gilles, vu que celui-ci « éclaire le monde entier de sa splendeur. » Voici du reste le texte de cet important document : Quia uenerabilis magislri nostri fratris Egidii doctrina mundum universum illustrai, diffinimus et mandamus inviolabililcr observari ut opinioncs, posiliones et sententias scriplas et SCiHBEifbAS prædicti magislri nostri, omnes ordinis nostri lectores et studentes recipiant eisdem præbenles assensum et ejus doetrinæ omni qua poierunt sollicitudine, ut et ipsi illuminali, alios illuminare possint, sicut seduli defensores. Acta cap. gen. Florentiæ an. 1287, dans Analecl. augusl., t. il, p. 275. La liste des ouvrages composés par Gilles de Rome suffit à expliquer l’espèce d’engoùment que semble indiquer cette décision.

Guillaume de Thoco, dominicain, dit que Gilles intervint, bien qu’indirectement, en faveur du droit des évêques dans la question des privilèges dont se prévalaient certains réguliers au sujet de l’administration des sacrements. En 1292, au chapitre tenu à Rome, il fut élu par acclamation supérieur général des augustins. Bien que les actes de son généralat fassent défaut, l’on sait néanmoins que son principal souci consista, après la réglementation des études, à étendre son ordre par l'érection de nouveaux couvents. C’est ainsi qu’on lui deit l’acquisition, sur intervention personnelle du roi de France, des domaines occupés jusqu’alors par les Frères de la pénitence ou Frères Sacchets, tombés en décadence à cette époque, où fut bâtie peu après la maison qu’on appela le Grand couvent des augustins à Paris. Sur la fin de son généralat, Boniface VIII, d’accord en cela avec Philippe le Bel, le nomma archevêque de Bourges, signe évident de la haute estime en laquelle il était alors tenu, quand on réfléchit soit à sa qualité d'étranger, soit à l’importance d’un tel siège, à l'époque où il lui fut