Hippolyte des Philosophoumena, et, sans se rallier pleinement aux vues de De Rossi, il déclare que « la tradition monumentale, liturgique, légendaire, qui se développa autour du tombeau d’Hippolyte, ne permet pas d’affirmer qu’on ait eu à Rome au ive siècle le moindre souvenir d’une attitude schismatique prise par le docteur en face des papes ses contemporains. » Mais à présent toutes les hésitations semblent définitivement levées. La comparaison entre les ouvrages les plus authentiques d’Hippolyte et les Philosophoumena met en évidence une parenté d’expressions et de pensées qui, à elle seule, autoriserait l’identification. D’autre part, une fois que l’on a dans le texte de Photius remplacé par le nom d’Hippolyte celui de Caius si timidement avancé par la critique, tout s’éclaire dans les données de la tradition. Enfin et surtout l’attribution des Philosophoumena à Hippolyte permet de relier d’une manière infiniment simple tous les renseignements que nous possédons par ailleurs sur le docteur romain. Dès lors comment faire état des simples conjectures énoncées avec tant d’hésitation par l’inscription damasienne ? Aussi Mgr Duchesne attribue-t-il catégoriquement à Hippolyte la composition des Philosophoumena, dans son Histoire ancienne de l’Église, Paris, 1906, t. i, p. 313.
Et voici la reconstitution du personnage d’Hippolyte qui semble actuellement la plus plausible. Durant le premier quart du ine siècle, le prêtre Hippolyte est incontestablement la personnalité la plus marquante de la communauté romaine. De ses origines nous ne savons rien ; Photius affirme par deux fois qu’il a été disciple d’Irénée, mais il est bien difficile de tirer quelque chose de ce renseignement un peu tardif et peut-être conjectural. Ce qu’il y a de certain, c’est que, vers 212, Origène venant à Rome assiste à une prédication d’Hippolyte et celui-ci trouve le moyen de glisser un éloge bien senti de son émule alexandrin. La capitale de l’empire était à cette époque le théâtre de luttes ardentes entre diverses tendances chrétiennes qui toutes, par leur exagération, peuvent conduire à de graves erreurs. Le problème trinitaire se posait avec beaucoup d’acuité. Des deux notions de l’unité divine et de la trinité des personnes, laquelle devrait l’emporter ? On spéculait beaucoup à cette époque, dans le milieu romain, sur la monarchie divine, tant et si bien que, pour la sauvegarder, certains, comme Théodote de Byzance, Théodote le banquier et plus tard Artémon, en étaient arrivés à sacrifier délibérément la divinité de Jésus. Une telle doctrine différait trop du christianisme authentique pour pouvoir se produire longtemps sans attirer sur elle l’attention et les condamnations de l’autorité ecclésiastique. Tandis que le pape Victor excommuniait Théodote, le prêtre Hippolyte combattait avec énergie une doctrine si contraire à la tradition chrétienne.
Mais presque aussitôt, d’autres chrétiens se mirent à sauvegarder d’une manière toute différente l’unité, la monarchie divine. Repoussant de toutes leurs forces la théologie du Logos, qui avait son point de départ dans le IVe Évangile et qui s’était développée surtout par l’effort des apologistes, ils ne voulaient admettre qu’une différence purement nominale entre le Père et le Fils. Ces idées modalistes avaient déjà subi deux échecs, l’un à Carthage, où Praxéas, leur plus illustre représentant, avait été excommunié, l’autre à Smyrne, où Noët avait encouru une condamnation du même genre, quand elles vinrent tenter la fortune à Rome. Elles se présentaient en opposition extrême avec la doctrine théodotienne qui venait d’être condamnée ; peut-être les échecs subi, à Carthage et à Smyrne avaient-ils rendu leurs partisans plus modérés dans l’expression de leur pensée. Toujours est-il que ces monarchiens d’un nouveau genre I
n’excitèrent d’abord aucune répulsion dans la masse des fidèles. Le pape Zéphyrin, qui ne semble pas avoir été très versé dans les subtilités théologiques, n’y vit pas malice, lui non plus. Il permit de fréquenter l’école fondée par Cléomène, un des disciples de Noët. Philosopha 1. IX, 6. Bref, pendant quelques années à. Rome, on ne parla plus que de monarchie.
La prépondérance d’une telle doctrine ne faisait pas l’affaire d’un docteur comme Hippolyte, tout pénétré de la doctrine philosophico-théologique du Logos. De toutes ses forces il résistait aux nouveaux docteurs, leur arrachait parfois l’aveu de leurs erreurs, mais les voyait très vite revenir à leurs idées premières. Il avait entrepris tout spécialement d’éclairer Sabellius, mais celui-ci, séduit, au dire d’Hippolyte, par les belles paroles de l’archidiacre Calliste, oubliait très vite les leçons reçues et retournait aux dogmes de Cléomène. Il aurait fallu, d’après le prêtre romain, une énergique intervention de l’autorité ecclésiastique. Or, Zéphyrin ne savait plus où donner de la tête. Conseillé par Calliste, il faisait des professions de foi que n’auraient pas désavouées Noët et ses disciples : « Moi, disait-il, je ne connais qu’un seul Dieu, Jésus-Christ, et, en dehors de lui, aucun autre qui soit né et qui ait souffert » : Èyto oloa é’va ôsov Xpiaxàv’Irjaouv xal 7rXvjV a’jxou é’xepov oùSÉva yîvrÎTOv xaî ^aOr]Tov. Il est vrai qu’aussitôt il ajoutait : « Ce n’est pas le Père qui est mort, mais le Fils » : où y ô riaTTjp àraÔavEV, àXÀà â Yioç. Mais quand Hippolyte le pressait un peu vivement, Zéphyrin ne pouvait s’empêcher de lui faire remarquer le dithéisme latent dans ses formules : àraxâXêt ï)|i£{ S’.âsouç. Philosoph., 1. IX, 11.
La discussion allait s’exaspérant de plus en plus. La colère d’Hippolyte visait nettement, derrière le pape en charge, son conseiller Calliste. Nous n’avons pas à discuter ici les accusations portées contre ce dernier par l’auteur des Philosophoumena. Voir t. ii, col. 13841387. Ce qu’il y a de trop certain, c’est que, le jour où Calliste fut élu pour remplacer Zéphyrin, Hippolyte, déçu peut-être dans ses ambitions, en tout cas fort irrité contre son ancien adversaire, n’hésita pas à se séparer de la communion du pape légitime. Il déclara qu’il ne voulait avoir aucun rapport avec un pontife fauteur d’hérésie ; il fonda une Église en face de la communauté romaine, et semble y avoir réuni un certain nombre d’adhérents. Calliste, de son côté, ne voulut pas qu’il fût dit qu’on se séparait de lui à cause de ses doctrines ; il excommunia Sabellius. Mais rejeter le modalisme, ce n’était point, tant s’en faut, adhérer pleinement à la théologie du Logos professée par Hippolyte. Ce dernier persévéra donc dans son schisme. Durant tout le pontificat de Calliste, il ne cessa d’attaquer avec la dernière injustice les actes, même les plus raisonnables, de son rival, et sa rancune s’exhala dans les Philosophoumena, dont la partie relative à Calliste est un véritable pamphlet. Cette attitude d’Hippolyte persévéra sous les deux successeurs de Calliste, Urbain et Pontien. Heureusement pour l’honneur d’Hippolyte, la persécution vint mettre un terme à cette situation sans issue. L’édit porté par Maximin le Thrace, dès son arrivée au pouvoir, proscrivait les chefs des Églises comme responsables de l’enseignement de l’Évangile. Le pape Pontien fut arrêté ; Hippolyte l’antipape ne tarda pas à le rejoindre en prison ; l’un et l’autre furent frappés de condamnation capitale : ils furent déportés aux mines de Sardaigne. Dans les misères du bagne les deux confesseurs finirent par se réconcilier ; et, s’il faut en croire la tradition rapportée par Damase, Hippolyte donna à ses adhérents le conseil de se rallier à l’Église légitime. Ce qu’iL y a de certain, c’est que, une fois la paix rendue à l’Église, le pape Fabien obtint de faire transférer à Rome les corps des deux confesseurs. Pontien fut