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chrétienne. Voir col. 233, 234. La différence de condition subjective qui sur la crédibilité oppose les hétérodoxes aux catholiques n’existe donc pas ordinairement à l’origine pendant leur éducation religieuse et les premiers temps qui la suivent. Voir ce que nous avons dit contre Pérez, col.248, 249. Cette différence ne se dessine que plus tard, quand l’esprit ne se contente plus, pour la crédibilité, du simple témoignage des éducateurs, et commence à juger par lui-même de la valeur des preuves en faveur de la religion qu’il a suivie jusqu’alors. Alors l’hétérodoxe arrive souvent à se sentir suspendu dans le vide, tandis que le catholique éprouve de plus en plus la solidité des bases de sa religion, ce qui est la raison pour laquelle il ne lui est jamais permis d’en douter, comme le remarque Amort, Demonslratio critica religionis catholicse, Venise, 1744, part. IV, n. 39, p. 281. Encore faut-il, pour que cette différence subjective se dessine, que la mentalité de l’hétérodoxe soit assez développée pour le rendre capable dece jugement personnel sur les preuves de sa religion, et que les préjugés, souvent si tenaces, ne l’arrêtent pas. La grâce n’est pas obligée non plus, quelles que soient ses bonnes dispositions et ses prières, de lui faire obtenir vite et de bonne heure toute la vérité, ni même (rigoureusement parlant) de le faire ici-bas parvenir à la véritable Église, s’il a par ailleurs, avec la bonne foi, un moyen de salut dans la foi surnaturelle suivie de l’espérance et de la charité avec la contrition de ses fautes. Il s’ensuit que, pour une personne qui nous paraissait bien disposée, mourir dans sa secte n’est pas un signe qui doive nous faire désespérer de son salut.

Le second excès, opposé au premier, est de nier toute différence quant à l'état subjectif scit de doute ou de certitude, soit de prudence ou d’imprudence, soit de bonne ou de mauvaise foi, entre l’ensemble des catholiques et l’ensemble des hétérodoxes ; je dis l’ensemble, ce qui suppose qu’on prend les uns et les autres également à tous les âges, dans toutes les classes de la société, et dans toutes les phases du développement de l’esprit humain. — On ne peut aller jusque-là. Ce serait nier qu’il y ait une différence de valeur et d’efficacité entre les signes et les notes que Dieu a donnés à la vraie religion pour la faire reconnaître, et les apparences qu’on peut tâcher de faire valoir pour une fausse religion ; ce serait croire tous les esprits si obtus, si emprisonnés dans leurs préjugés, qu’ils ne puissent jamais saisir, entre de bonnes et de mauvaises preuves, une différence de valeur, ce qui est faire peu d’honneur à la raison, et à Dieu qui aurait agi sans but et sans sagesse, en donnant à la vraie religion des signes et des notes qui ne serviraient jamais de rien ; ce serait, en somme, une forme de fidéisme ou de scepticisme. Nier ainsi toute différence subjective, ce serait encore nier tout travail de la grâce dans les âmes, soit pour tranquilliser et affermir les unes dans la religion véritable, soit pour inquiéter les autres dans leurs fausses religions ; ce serait enfin nier en pratique toute obligation de chercher la véritable religion, et d’y entrer, puisqu’elle serait pratiquement indiscernable. A l’excès dont nous parlons se rattache la 17e proposition du Syllabus, condamnée malgré son apparente modération. Elle se garde bien, en effet, de dire, comme la proposition précédente, que toutes les religions sont bonnes et mènent au salut. Elle dit avec un indifïérentisme plus mitigé :

Du moins il faut avoir

17. Saltem bene sperandum est de aeterna illorum omnium salute, qui in vera Christi Ecclesia nequaquam versantur. Denzinger, n. 1717.

Si la proposition s'était bornée à dire qu’on peut espérer le salut de plusieurs de ceux qui ne sont pas

bon espoir du salut éternel de tous ceux qui ne sont pas dans la véritable Église du Christ.

dans la véritable Église, parce qu’il y en a beaucoup de bonne foi, même jusqu'à la mort, et que ceux-là, par un acte de foi surnaturelle et un acte de contrition parfaite, avec le secours de Dieu, peuvent mourir en état de grâce, leurs péchés pardonnes — elle n’aurait pas été condamnée. Mais elle fait « bien espérer du salut de tous les hétérodoxes : cet espoir suppose qu’ils sont tous de bonne foi dans leur secte, et de plus, qu’ils ont tous la notion juste de l’acte de foi, qu’ils ont tous la certitude suffisante des préambules pour pouvoir faire un acte de foi très ferme, qu’ils ont tous gardé les vérités révélées qui sont de nécessité de moyen, enfin qu’aucune erreur (comme celles de Luther sur la justification et la pénitence) ne les empêche de faire un acte de contrition de leurs péchés ; et tout cet ensemble de suppositions, démenti en partie par l’expérience, est nécessaire pour que cette proposition soit juste. Si elle l'était, il n’y aurait en outre aucune différence de condition subjective entre catholiques et hétérodoxes, ce que nous venons de réfuter.

c. Objections. — Mais, dira-t-on, nous devons laisser à Dieu, qui seul scrute les cœurs, le jugement sur la bonne ou la mauvaise foi des hétérodoxes. — Oui, quand il s’agit de désigner d’une manière déterminée, nommément, ceux qui sont dans la mauvaise foi ; non, quand il s’agit de juger d’une manière indéterminée, sans désigner personne : or, c’est ainsi que nous avons conclu, en vertu de preuves solides, sans désigner personne, que dans l’ensemble des hétérodoxes il doit y eiv avoir un certain nombre forcés de soupçonner ou même de reconnaître l’insuffisance de leur secte et le devoir de chercher ailleurs, bien qu’ils tâchent de s'étourdir ou de faire illusion à eux-mêmes, par une grave imprudence dont ils ne sont pas toujours inconscients. — Mais, dit-on encore, si nous interrogeons les membres des diverses religions, tous paraissent également persuadés d'être dans la vraie. — Leur assertion peut être exacte, s’il s’agit de gens médiocrement instruits, peu difficiles en fait de preuves ; tous ceux-là, dans les diverses religions, peuvent ne pas différer beaucoup par la conviction subjective. Voir ce que nous avons dit de la certitude relative. Mais s’il s’agit de tous les autres, répondons avec le cardinal Gerdil : « Tous ceux qui engagent un procès semblent également persuadés de la bonté de leur cause : et pourtant un juriste perspicace distingue aisément, parmi ses clients, ceux qui sont sérieusement et solidement persuadés et ceux qui se bercent d’une vaine espérance. » Inlroduzione allô studio délia religione, discours préliminaire, dans Opère, Florence, 1845, t. iii, p. 157. — Enfin il y a une objection de sentiment et de courtoisie, fréquente aujourd’hui : on répugne, par délicatesse, à accuser les autres de « mauvaise foi » ; on craint de passer pour un fanatique mal élevé qui dit des injures, pour un esprit étroit, sans équité naturelle et sans impartialité. Cette impression se dissiperait, si l’on savait que nous ne prenons pas ici le mot de « mauvaise foi » au sens vulgaire, mais au sens théologique. Nous entendons par là que l’adhésion est donnée ou continuée à une secte malgré la réclamation de la conscience ; et encore cette réclamation a-t-elle pu être étouffée peu à peu et oubliée, tellement que peut-être maintenant ces gens sont tranquilles dans leur religion et ne voient en eux que sincérité ; néanmoins cette réclamation a existé, et les a rendus alors coupables devant Dieu, en sorte qu’ils sont devant lui responsables de leur situation actuelle. Aussi leur ignorance de la vraie religion n’est point par les théologiens qualifiée d' « invincible » , parce qu’autrefois elle a pu être vaincue ; et même dans l'état actuel, quand parfois la grâce vient les troubler dans leur tranquillité, s’ils voulaient l'écouter, ils pourraient encore vaincre l’erreur. Ce n’est donc pas nécessairement la « mauvaise foi » au sens.