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FORME DU CORPS HUMAIN

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prime plus, à la prendre dans son extrême rigueur, que l’existence de deux séries de phénomènes irréductibles. La chose en soi, que recouvrent ces phénomènes, peut être unique (Kant) ; il n’y a qu’une substance, le moi infini (Fichte) ; l’identité de l’âme et du corps dans toutes les existences est réelle, parce que ce qui existe seul, c’est l’idée de l’homme (Schelling) ; aujourd’hui l’on dirait volontiers qu’en dehors et au-dessus de l’âme et du corps qui en sont les manifestations diverses, l’« évolution créatrice » suffit à elle seule à expliquer des apparences extérieurement irréductibles (Bergson). Les matérialistes, de leur côté, affirment l’identité de la matière et de la forme, du corps et de l’âme, mais pour tout ramener au corps et à la matière. Au fond, si l’on scrute bien toutes ces doctrines, on y retrouvera, sous un revêtement nouveau, l’ancienne thèse de l’âme universelle des stoïciens : panthéisme matérialiste, panthéisme spiritualiste, peu importe ; l’un et l’autre détruisent l’individualité de l’âme humaine qu’a voulu précisément affirmer le IVe concile de Latran. On ne s’attendra pas à ce que nous développions ici d’autres considérations relatives à tous ces systèmes, qu’on a étudiés, voir Dieu, t. iv, col. 1262 sq., dans leur rapport immédiat avec la théologie.

V. Opinions.

Parmi les systèmes philosophiques qui maintiennent intacts les deux termes du problème, il faut maintenant faire un choix. Le fait d’admettre, dans le composé humain, une âme unique et le corps, ne suffit pas, en effet, à garantir l’orthodoxie d’une doctrine. Il faut encore que l’union de l’âme et du corps soit représentée comme substantielle, c’est-à-dire comme si intime qu’il en résulte une seule nature, un seul principe d’opération. Excluons tout d’abord les opinions philosophiques que nous estimons en contradiction avec l’unité de principe d’opération dans le composé humain.

I. OPINIONS PHILOSOPHIQUES OPPOSÉES A LA DOC-TRINE DE L’UNITÉ SUBSTANTIELLE DU COMPOSÉ HUMAIN.

— Ce sont toutes les doctrines qui, même en conservant à l’âme le nom de forme du corps, considèrent cependant l’âme et le corps comme deux natures différentes, deux principes d’opération distincts. Sous cette marque caractéristique, nous pouvons ranger :

1° L’opinion de Platon, I Alcibiade, c. xxv ; Phèdon, c. xxx ; Timée, passim, qui compare l’âme au moteur et le corps au mobile : l’âme se sert du corps comme d’un instrument. — Ce système est opposé à l’unité substantielle du composé humain, parce qu’il laisse subsister deux natures distinctes : l’opération de l’instrument, si unie soit-elle à celle de la cause principale, en reste cependant réellement distincte ; donc, dualité de natures. Voir S. Augustin, De moribus Ecclesiæ, 1. I, c. iv, P. L., t. xxxii, col. 1313 ; S. Thomas, Sum. theol., I » . q. lxx, a. 1 ; De anima, a. 1 ; De spir. créât., a. 2 ; Cont. génies, 1. II, c. lvii, lx. Rapprocher de l’opinion de Platon la phrase célèbre de de Bonald : « L’homme est une intelligence servie par des organes. » Du divorce, discours préliminaire, Œuvres complètes, Paris, 1817-1819, t. i.

2° Le système de Descaries, basé sur l’opposition de l’étendue et de la pensée. Descartes, Réponses aux n e< objections, avoue que le corps est substantiellement uni à l’âme ; mais son système dément cette assertion et aboutit à la coexistence, dans l’homme, de deux substances hétérogènes, irréductibles l’une à l’autre. Voir les développements de l’erreur cartésienne à l’art. Descartes, t. iv, col. 550-553, dont Bossuet lui-même ne paraît pas complètement exempt, dans la Connaissance de Dieu et de soi-même, c. iii, § 2, 20.

3°L’occasionalisme de Malebranche, dérivé en droite ligne du système cartésien, plus opposé encore

que ce dernier à la doctrine catholique : Le corps par lui-même, dit Malebranche, ne peut être uni à l’esprit, ni l’esprit au corps ; ils n’ont nul rapport entre eux. » Morale, part. I, c. x. « Il est évident qu’un corps, que de l’étendue, substance purement passive, ne peut agir par son efficacité propre sur un esprit, ou sur un être d’une autre nature et infiniment plus excellent que lui. » iv » Entretien mélaph., § 11 ; cf. § 8. Comment expliquer, en ce cas, l’union de l’âme et du corps ? « . Il est clair que, dans l’union de l’âme et du corps, il n’y a point d’autre lien que l’efficace des décrets divins, décrets immuables, efficace qui n’est jamais privée de son effet, ibid., S 11 ; Dieu a voulu que j’eusse certains sentiments, certains ébranlements d’esprits. Il a voulu, en un mot, et il veut sans cesse que les modalités de l’esprit et du corps fussent réciproques. Voilà l’union et la dépendance naturelle des deux parties dont nous sommes composés. » 17/<= Entretien mélaph., § 13. Négation de l’union réelle, à plus forte raison de l’union substantielle : tel est le résumé de l’occasionalisme, professé par Malebranche et ses disciples, F. Lamy, de la Forge, Poiret, Sturmius, cités par Urrâburu, loc. cit. Fénelon, Lettre n sur la métaphysique, c. ii, § 2, 3, 5, se rapproche beaucoup de Malebranche.

4° Le système leibnizien de l’harmonie préétablie. Leibniz part de l’hypothèse cartésienne de deux substances hétérogènes. Entre l’âme et le corps pas de communication possible : « Les monades n’ont point de fenêtres par lesquelles quelque chose y puisse entrer ou sortir, » Monadologte, $î ; l’occasionalismen’ff, t qu’un Dcus ex machina ; il ne reste, pour expliquer l’union de l’âme et du corps, « que la voie de l’harmonie préétablie par un artifice prévenant, lequel, dès le commencement, a formé chacune de ces substances d’une manière si parfaite et réglée avec tant d’exactitude, qu’en ne suivant que ses propres lois, lois qu’elle a reçues avec son être, elle s’accorde pourtant avec l’autre ; tout comme s’il y avait une influence mutuelle, ou comme si Dieu y mettait toujours la main au delà de son concours général. » Syst. nouv.. IIIe éclaircissement. Développant cette idée fondamentale, Leibniz ne reconnaît entre l’âme et le corps qu’une influence idéale, semblable, quant à ses effets, à une influence réelle, mais tout interne. Janet et Séailles, Histoire de la philosophie, Paris, 1894, p. 794. Il est inutile d’analyser tout le système leibnizien ; ce point de départ suffit à démontrer son opposition avec le dogme catholique. Le principal disciple de Leibniz, Christian Wolf, a pleinement adopté le système du maître. Psychologia ralionalis, Berlin, 1734, sect. iii, c. iv, n. 612 sq.

5° On a coutume de présenter comme insoutenable en regard de la doctrine catholique le système de l’influx physique. Il faut s’entendre sur la signification de ces mots. Par influx physique, on peut entendre tout d’abord la causalité réciproque que l’âme et le corps exercent l’un sur l’autre, l’une, dans l’ordre de cause formelle, l’autre dans l’ordre de cause matérielle ; c’est la doctrine traditionnelle des scolastiques. En second lieu, on peut entendre, par influx physique, l’influence réelle et réciproque des phénomènes physiologiques et des phénomènes psychologiques entre eux, conséquemment à l’union de l’âme et du corps. Voir S. Thomas, De veritale, q. xvi, a. 10 ; Cont. génies, l. III, c. x. Ce second sens est parfaitement admissible et n’a rien que de conforme à l’expérience et à la vérité philosophique. Le système de l’influx physique, condamnable au regard de la doctrine catholique de l’union substantielle du corps et de l’âme, est celui qui fait consister l’union elle-même de ces deux éléments de notre nature dans leur causalité efficiente mutuelle et récï-