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FRANCE. ETAT RELIGIEUX ACTUEL


qu’il est dans la destinée de l’Église de France d’avoir, presque à chaque début de siècle, d’immenses ruines à réparer : c’étaient, à l’avènement du xvii c siècle, les ruines provenant des guerres religieuses ; à l’aurore du xix° siècle, les ruines accumulées par la Révolulion française ; ce sont, depuis 1900, les ruines qui succédèrent à la dispersion presque complète des congrégations d’hommes, à la dispersion partielle des congrégations de femmes (lois du 1 er juillet 1901 et du 7 juillet 1904), à la loi par laquelle l’Église perdit les ressources provenant des pompes funèbres (loi du 28 décembre 1904), enfin à la loi de séparation. Il décembre 1905).

I. Les effets de la séparation : effets matériels, juridiques, ecclésiastiques. II. La multiplication des lieux de culte depuis la séparation. III. Les méthodes actuelles d’organisation des catholiques. IV. La catéchisation des enfants et des jeunes gens : initiatives et méthodes nouvelles. V. Les organisations enseignantes de l’Église de France ; ses initiatives pédagogiques. VI. Les initiatives catholiques pour l’enseignement professionnel et ménager. VII. Deux formes nouvelles d’apostolat : l’apostolat des professions, l’apostolat des immigrés. VIII. Les initiatives récentes pour le développement de la piété. IX. Les œuvres catholiques de presse, d’information et de projections. X. Les ressources actuelles de l’Église, en argent et en hommes. XI. L’action sociale de l’Église par les patronages et œuvres postscolaires. XII. L’action sociale de l’Église par les œuvres de charité. XIII. L’action sociale de l’Église par les groupements ouvriers et syndicaux. XIV. L’action sociale de l’Église par les organisations d’enseignement social et de renseignements sociaux. XV. Conclusion. XVI. Les missions catholiques. XVII. Le protestantisme.

I. Les effets de la séparation : effets matériels, juridiques, ecclésiastiques. — De temps à autre, depuis 1880, on avait senti dans les Chambres françaises, au moment où elles discutaient le budget des cultes, certains courants d’avarice malveillante et systématique : tels chapitres étaient rayés, tels autres étaient notablement diminués. Malgré ces économies mesquines, qui d’ailleurs n’étaient pas toujours conformes à l’esprit du concordat ; l’Église de France, en 1905, recevait encore de l’État français, annuellement, une somme de 35 millions. Un certain nombre de pensions viagères accordées aux prêtres âgés de plus de quarante-cinq ans et ayant, avant 1905, rempli vingt années au moins des fonctions ecclésiastiques rémunérées par l’État ; et puis 310 000 francs de secours aux anciens ministres des cultes et à leurs familles : voilà tout ce qui restait de l’ancien budget des cultes, sept ans plus tard, dans la comptabilité de la France.

Les archevêchés et évêchés, les presbytères et les grands séminaires durent, dans le délai d’un an, être évacués par les occupants.

Les fabriques et menses des paroisses possédaient 228 597 000 francs ; les fabriques des églises cathédrales possédaient 10 688 000 francs ; les menses archiépiscopales ou épiscopales, les chapitres, les séminaires possédaient 93 334 000 francs. En vertu de la loi de séparation, tous ces biens devaient être transmis, dans le délai d’un an, à des associations dites cultuelles, qui se seraient constituées « en se conformant aux règles d’organisation générale du culte, » et dont le bon aloi, en cas de difficultés juridiques, devait être apprécié par le conseil d’État. Rome estima que les droits de la hiérarchie religieuse dans le fonctionnement des associations cultuelles n’étaient pas suffisamment sauvegardés : les catholiques reçurent défense de former des cultuelles ; et l’Église de France, avec un silencieux et docile héroïsme, laissa

ces 331 millions de biens devenir la propriété des établissements officiels d’assistance ou de bienfaisance. Près de 50 millions de fondations de messes, compris dans ce chiffre global de 331 millions, furent par cela même perdus.

Les maisons et caisses de retraite pour les prêtres âgés ou infirmes avaient une valeur de 19 123000 fr. L’État voulait bien abandonner ces 19 millions, et même les 50 millions de fondations de messes, à des mutualités ecclésiastiques approuvées ; mais Rome redouta que de telles mutualités ne fussent des cultuelles déguisées ; on renonça donc à les constituer, et les vieux prêtres à leur tour furent ainsi spoliés par l’État. Cependant ceux qui étaient en vie au moment de la séparation recevront leurs pensions jusqu’à leur mort et les maisons de retraite ne seront supprimées qu’à la disparition du dernier survivant.

Tout ce que l’État laissait à l’Église, en vertu de la loi du 2 janvier 1907, c’était une certaine jouissance des édifices cultuels, jouissance plutôt tolérée que légalement définie. Le curé, dans son église, est un occupant à titre précaire : il n’est pas locataire, encore moins propriétaire ; la question des réparations donne lieu à de fréquents conflits entre les communes, propriétaires légales de ces édifices, et les ministres du culte. L’Église n’est pas al home ; l’État l’a laissée dans ses temples, de peur que l’électeur ne s’irritât s’il voyait ces temples se fermer. Que l’évêque déménage, que le grand séminaire déménage, que le curé n’émarge plus au budget, cela est indifférent à la majorité des électeurs, ou cela leur échappe : la fermeture soudaine de toutes les églises aurait risqué d’entraîner un mouvement de révolte ; l’État s’est bien gardé d’affronter un tel péril.

Ainsi l’Église française, tant que ses temples tiennent debout, peut continuer, à titre de simple résidante, d’abriter dans ces édifices séculaires les cérémonies de son culte : c’est là tout ce qui lui est concédé. Et dans ce domicile où les conditions d’installation sont si fragiles, elle est condamnée, strictement parlant, à vivre en pauvresse, au jour le jour. L’Église n’est pas personne civile ; elle n’a pas le droit de posséder, ni d’hériter ; il n’y a pas en ce moment-ci, en France, de moyen légal, pour l’Église, de reconstituer le patrimoine ecclésiastique. Un catholique qui veut, en mourant, laisser un certain capital pour faire dire des messes, ne peut le laisser qu’à une personne déterminée, qui le transmettra, à son tour, à une autre personne : ces translations de propriété seront onéreuses, et un héritier peut se rencontrer, qui refusera de reconnaître la destination cultuelle de ce capital. L’Église de France est une personne ruinée, que l’État se refuse, même, à considérer comme une personne, à laquelle il refuse le droit d’économiser ou d’acquérir, et qui n’a pas, en définitive, d’existence juridique.

A cette grande spoliée, sur laquelle pèse cette sorte de deminulio capilis, l’État dit cependant : Tu es libre. Elle est libre, en effet, de bâtir de nouveaux lieux de culte, sans avoir besoin, comme au temps du concordat, d’en demander licence à l’État. Libre, aussi, pour remanier au gré des circonstances les circonscriptions diocésaines ou paroissiales. Libre, enfin, pour la collation des charges : l’évêque n’en réfère à personne pour le choix des curés, le pape n’en réfeie à personne pour le choix des évêques. Certains maires anticléricaux s’étonnent en voyant, sur leur territoire, de nouveaux clochers surgir ; ils croyaient que la loi de séparation tuerait l’Église, et naïvement ils s’écrient : Voici qu’elle relève la tête ; comment réprimer cette dernière convulsion ? M. Briand répondit à l’un d’eux, qui était en même temps député : « Vous avez voté la loi de séparation, qui garantit le libre exercice des cultes. » Ce député s’était imaginé que