Enfin, le huitième degré est d’ètre absolument insensible aux attraits de la vaine gloire et de l’orgueil. Les âmes qui y parviennent, connaissant à fond leur propre incapacité et leurs fautes quotidiennes, appréciant, d’autre part, les innombrables bienfaits dont Dieu les comble, n’éprouvent aucune incitation de l’orgueil et se plongent, au contraire, dans un océan d’humilité.
4o Humilité intérieure et extérieure.
Ces deux caractères de l’humilité ont été plus ou moins explicitement indiqués dans les lignes précédentes. Bien souvent les théologiens ou les prédicateurs ne mentionnent guère que ces deux aspects de l’humilité. Saint Thomas, Sum. iheol., II" II-, q. clxi, a. 1, a posé le principe de leur distinction : Humilitas… importât quamdam laudabilem dejcctionem in ima. Hoc autem quandoque solum secundum signa exieriora, secundum fietionem ; unde hoc est falsa humilitas. Quandoque autem fit secundum interiorem motum animœ…, secundum hoc, humilitas proprie ponitur virtus…
1. L’humilité intérieure est donc cette conviction, que l’âme acquiert par la grâce de Dieu, de son propre néant, de ses défauts, et qui règle l’attitude extérieure.
Le premier effet qu’elle produit, c’est la soumission des facultés de l’âme, l’entendement et la volonté, aux préceptes divins. Elle écarte ensuite rappétit déréglé de l’honneur, et fait accepter en toute simplicité les humiliations. Elle apprend encore à l’homme à ne pas mépriser ou dédaigner ses semblables, en raison des défauts personnels qu’il reconnaît en lui-même et aussi par obéissance aux préceptes évangéliques. EUe fait apprécier à leur juste valeur la popularité, les ajiplaudisscments, les louanges. Elle apprend ainsi à se maintenirdansla vérité, carparlesentimentintimedesa faiblesse qu’elle fait naître en nous, elle nous porte à faire le juste départ des biens célestes et de la vanité du monde. Par elle l’homme rapporte à Dieu seul, qui en est l’auteur et le conservateur, tous les avantages de naissance, de titres, de fortune, de santé, de forces, de succès et de prospérité dont il peut être favorisé.
L’attitude générale de l’homme se ressent de l’inlluence de cette vertu intérieure. Le maintien, le regard, la parole, les rapports avec ses semblables, les égards envers les supérieurs, les égaux, les inférieurs manifestent les sentiments intérieurs inspirés au chrétien par la vertu d’humilité.
2. Humilité extérieure.
Si la vertu chrétienne il’huniihté embellit et surnaturalise ainsi les actes de Ihomme, l’humilité purement extérieure, qui n’est pas animée par la vertu intérieure, est stérile et feinte. Elle revêt parfois le caractère de l’orgueil le plus rafliné. La vanité, l’amour-propre en sont la source. Les païens ne connaissaient même pas de nom cette humilité que le Christ a révélée et prescrite à l’humanité. Aussi la résignation qu’ils affectaient parfois était le fruit d’un stoïcisme farouche. Ils pliaient sous les coups d’un falali.sme implacable.
Les philosopiies anciens ont ]uallqué c|uelques autres vertus naturelles, la force, la justice, la tempérance. Mais l’humilité n’en était pas le principe. Ils ne cherchaient que la célébrité, les louanges ; ils étaient donc àl’antipode de l’Iiumilité. On connaît la riposte de Platon à Diogènc. Le cynique, invité chez le grand philosophe, décrocha les tapisseries de la salle à manger, e les foula aux [lieds. Que faites-vous, demanda le maître ? — Je foule aux pieds l’orgueil de Platon, répondit Diogènel — Oui, riposta Platon : mais par un autre genre d’orgueil. Tertullien, Apoloqet., c. xi.vi, P. L.. t. I, col. 511.
Chez les « hrctiens, l’humiUlé aflcctée devient une sorte d’hypocrisie de la vertu.
On refusera la louange, tic crainte de pantitre crédule, naïf, et d en’onrir le ridicule public. Mais au for
intime on se grisera de vanité ; le refus de la flatterie servira de masque à une vanité coupable.
L’homme véritablement humble évite d’attirer l’attention, de parler de sa personne, de ses actions. Celui qui affecte d’être humble provoque par son alïectation même les regards étrangers. S’il paraît blâmer légèrement ses actes, ce n’est que pour attirer la louange.
Il n’y a pas de désappointement comparable à celui qu’éprouve ce faux modeste, lorsqu’on le prend au sérieux dans la critique qu’il s’est adressée ou dans celle qui lui est spontanément formulée. C’est à lui que s’adressent ces paroles de saint Jérôme : Multo (leformior illa est superbia, quæ sub quibusdam humililutis signis lafet. Nescio enim quomodo turpiora suiil l’itia, quæ virtutum specie celuiitur. EpisL. ci, viii, ad Cclanliam, n. 20, P. L., t. xxii, col. 1214. Saint Augustin, de son, côté, stigmatisait cette luniiilitc simulée : SinmUitio hiimilitatis major est superbia. Dr mncta virginilatc, c. xliii, P. L., t. xl, col. 422. Chercher ainsi à exploiter l’humilité, c’est l’anéantir.
Quand on les méprisait, les saints ont souvent répondu : Si l’on nous connaissait à fond, on dirait encore plus de mal de nous. Il faut que Dieu soit bien miséricordieux pour nous supporter.
« Ne parlons jamais de nous en termes d’humilité ; dit saint Erançois de Sales, Introduction à la vie dévoie, c. V, ou conformons nos pensées â nos (laroles. par le sentiment intérieur d’une vraie humilité. Ne baissons jamais les yeux qu’en humiliant nos cœurs ; ne prenons pas la dernière place, à moins que ce ne soit de bon cœur et sincèrement. Je crois cette régie si générale que je n’y fais aucune exception. >
III. Nécessité.
Les déclarations de l’Esprit-Saint dans l’Ancien Testament sont formelles à imposer l’humilité et à en révéler les heureux fruils. Il promet le royaume du ciel à tous ceux qui pratiquent cette vertu, dont le Fils de Dieu lui-même devait donner l’exemple. Humiles spiritu salvabit. Ps. xxxiii, 19. Humilem spiritu suxcipict et gloria. Prov., xxix, 23. Quia humiliati sunt , non disprrdnm eos. II Par., xii, 7. Humilia te in omniJ}us et corum beo inventes graliam. Eccle., III, 20. Et Notre-Seitineur dira avec plus de force encore Quicumque crgo se Inimiliaverit sicut parvulus iste, hic major est in regno avlorum. Malt h., XVIII, 3.
Par contre. Dieu menace de chàlinient dès ici-bas ceux qui ne pratiquent pas l’humilité. Arrogantiam fortium humilinbo. Is., xiii, 11. Gluriosos terne humiliabo. Is., XLV, 2. Arrogantiam et superbiam deteslor. Prov., viii, 13. Dieu a toujours exalté les huml>les et humilié les supérlies. Luc, i. 52..lésus-Christ expose ce principe : Omnifiqui se exaltât humiliabitur et qui.< : humiliât cxaltabitiir. Luc, xiv, 11. II éloigne les orgueilleux du royaulne des cieux : Nisi… efficiamini sicut parvuli, non intrabitis in rcgnuni ca’lorum. Quicumque crgo humiliaverit se sicut parvulus iste, hic est major in regno ca’lorum. Matth., xviii, 3, 1.
Rien donc de plus indispensable au chrétien que la vertu d’humilité, favorisée des plus belles promesses et sanctionnée pur les plus redoutables menaces. Saint Augustin ne craint pas de faire de l’humilité le résumé de la vie chrétienne. Tota christiani religio humililns est.
Dieu est avec raison jaloux de sa gloire. Il est le créateur et le rédempteur de tous les hommes. Or ceux qui ne s’humilient pas devant ces titres, lui dis|)Utent sa souveraineté, qu’il ne peut laisser méconnaître. L’orgueilleux veut s’élever au-dessus de tout. Il prétend être son dieu, rosli-r indéiiendanl <le toute sujétion. Le Seigneur ne j)cul donc agir à son égard comme il agit envers ses humbles serviteurs. A ceux-ci il promet la récompense du riel et la véritable gloire, à ceux-hi, le châtiment et l’humiliation.