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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 7.1.djvu/395

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IMAGES (CULTE DES)

apparence, pour raisons politiques. Irène, récemment arrivée au pouvoir (780), inquiète des attaques des Arabes et des Bulgares, avait recherché l’alliance du puissant roi des Francs. Elle fut conclue en 781, au cours des fêtes de Pâques, et la fille aînée de Charlemagne avait été fiancée au jeune empereur Constantin. D’autre part, la même Irène, soumettant au saint-siège la majesté impériale, rétablissait en Orient la paix religieuse et la situation de l’orthodoxie. Le pape ne pouvait que l’en remercier et l’encourager. Charles vit de mauvais œil ce rapprochement et craignit de voir sa puissance décroître en Italie. Pour comble de malchance, Irène rompit l’alliance et fit épouser à son fils une jeune fille arménienne. En même temps qu’elle taisait cet affront, elle envoya sa flotte opérer un débarquement en Italie pour y revendiquer l’intégrité des droits impériaux. Charles para le coup, et les grecs furent complètement défaits. De tout cela, il restait à Charles un profond ressentiment. Il en voulait à Irène de l’avoir outrageusement trompé, et au pape d’avoir favorisé la politique de Byzance en Italie. C’est dans ces dispositions qu’il accueillit les résultats du IIe concile de Nicée. De la conduite qu’elles lui inspirèrent, il « faillit résulter, pour l’Occident, un schisme à l’heure même qui mettait fin au schisme de l’Orient et à propos de cette même question des images. » Hefele, op. cit., trad. Leclercq, t. iii, p. 1242.

Les circonstances favorisèrent le ressentiment du roi. Le pape fit faire des actes du concile de 787 une traduction qu’il lui envoya vers 788. Elle était si défectueuse et si peu intelligible que le savant bibliothécaire romain Anastase disait, au ixe siècle, qu’elle était illisible, ce qui l’avait décidé à en faire une autre, Mansi, t. xii, col. 981, qui a été placée en regard du texte grec dans les collections des conciles. De la première traduction il ne subsiste que les fragments contenus dans les Livres Carolins ; on y voit en particulier quel travestissement a subi le vote de l’un des principaux Pères du concile, Constantin de Constantia, dans l’île de Chypre. Dans la IIIe session, ce prélat avait dit : « J’accepte et je baise avec honneur les saintes et vénérables images ; mais je réserve à la seule et suressentielle et vivifiante Trinité l’adoration de latrie. » Mansi, t. xii, col. 1147. Le traducteur avait rendu ce passage par le texte suivant : Suscipio et amplector honorabiliter sanctas et venerandas imagines secundum servitium adorationis quod consubstantiali et vivificatrici Trinitati emitto et qui sic non sentiunt neque glorificant a sancta catholica et apostolica Ecclesia segrego et anathemati submitto. C’était juste l’opposé de ce qu’avait proféré l’évêque Constantin. On conçoit qu’à travers un pareil document, le second concile de Nicée devait paraître tout autre qu’il n’avait été et devait susciter l’opposition de l’Occident. Sans doute, cette détestable traduction n’en est pas seule responsable, mais en faisant attribuer aux grecs l’énormité qu’on vient de voir, elle rendait les théologiens occidentaux bien plus défiants pour tout l’ensemble de leur doctrine.

Revenons à Charlemagne. Quand lui fut lue la traduction, il s’aperçut vite du parti qu’il en pouvait tirer. Il nota au fur et à mesure un grand nombre de choses qui le choquèrent, et en fit composer en 790 une réfutation très détaillée. Ce sont les Livres Carolins, P. L., t. xcviii. L’auteur en fut probablement Alcuin. Mais quel qu’il fût, il n’était que l’instrument de Charles et l’interprète de ses sentiments. Dès le début de l’ouvrage, on sent quel esprit l’a dicté : « Le vent de l’ambition la plus arrogante, l’appétit le plus insolent de vaine gloire, s’est emparé en Orient non seulement des princes, mais aussi des prêtres. Ils ont rejeté toute sainte et vénérable doctrine et méprisé les paroles de l’apôtre : « Si quelqu’un vient nous annoncer un évangile qui n’est pas l’Évangile, quand même il serait un ange, qu’il soit anathème » ; et transgressant les enseignements des ancêtres, par leurs infâmes et ineptes synodes, ils s’efforcent de faire prévaloir des croyances que ni le Sauveur ni les apôtres n’ont connues ; et pour que la mémoire de leur nom parvienne à la postérité, ils n’hésitent pas à briser les liens de l’unité de l’Église. Il y a plusieurs années, en Bithynie, un synode fut assemblé, qui, par une audace insensée, prescrivit la destruction des images. Ce que le Seigneur avait ordonné touchant les idoles des païens, ils l’ont étendu à toute représentation figurée, ignorant que l’image est le genre, l’idole l’espèce et qu’on ne peut conclure de l’espèce au genre ni du genre à l’espèce. Il y a trois ans à peine, dans le même pays, un nouveau synode, présidé par les successeurs des empereurs précédents, et où assistaient des prélats qui avaient siégé dans l’autre concile, préconisa une doctrine qui diffère de tout point de la première, mais qui constitue une erreur aussi grave. Ces images que le premier synode défendait même de regarder, celui-ci oblige maintenant à les adorer. » Libri Carolini, præf., P. L., t. xcviii, col. 1002 ; Hefele, op. cit., trad. Leclercq, t. iii, p. 1243. Et tout de suite, on en vient à des personnalités sur Constantin et Irène, qui n’ont pour but que de froisser et pour principe l’animosité d’un cœur blessé. Puis c’est la critique du concile. Elle se poursuit avec la visible intention de le trouver en défaut. C’est ainsi que le mot adoratio, de soi équivoque, est toujours pris dans le sens le plus défavorable aux Pères de Nicée. On pouvait se douter que pour cette discussion subtile et ergoteuse l’auteur avait dû s’aider de quelques sources byzantines. La découverte, au début de ce siècle, d’un ouvrage inédit de Nicéphore, patriarche de Constantinople, enlève toute témérité à cette supposition. On y trouve, en effet, certains témoignages invoqués par les livres Carolins, témoignages empruntés sans doute à des écrits de propagande iconoclaste composés à Constantinople au viiie siècle. Cf. D. Serruys, dans les Comptes rendus de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, 1904, p. 360-363. Voir t. ii, col. 1792-1799.

Quant à la doctrine émise dans ces Livres, la voici condensée en ces divers points :
a) Bien que l’auteur donne le plus souvent au mot adoratio le sens strict de culte « dû à Dieu seul » et l’oppose aux décrets de Nicée, il ne méconnaît pas cependant une autre adoratio, quæ… humilitatis et salutationis officio erga homines agitur. Mais celle-là même ne se donne qu’aux personnes vivantes, ii, 24.
b) On doit vénérer (c’est le terme employé) la croix, parce qu’elle a été l’instrument du salut, et les reliques des saints, qui aut in corporibus eorumdem sanctorum, aut circa corpora fuisse, et ab his sanctificationem ob quam venerentur percepisse credantur ; mais on ne doit aucunement vénérer les images, parce que ce n’est pas avec de la peinture que le Christ nous a sauvés et parce qu’elles n’ont vis-à-vis des saints aucun rapport d’appartenance, sed pro captu uniuscujusque ingenii, vel instrumentis artificii, modo formosse, modo deformes, plerumque etiam rebus impuris fiunt, ii, 28 ; iii, 24.
c) Le principe du culte des images, à savoir que l’honneur qui leur est rendu remonte à l’original, nulla ratione percipitur, nec divinorum eloquiorum testimoniis approbatur, iii, 16. « Et à supposer d’ailleurs que les gens instruits soient capables de reporter sur l’original les honneurs qu’ils paraissent rendre aux images, indoclis tamen quibusque scandalum generant, qui nihil aliud in his præter id quod vident venerantur et adorant, iii, 16.
d) Il ne faut donc pas allumer des cierges ni brûler de l’encens devant les images qui ne peuvent ni voir ni sentir, iv, 3.
e) Tout culte ainsi écarté, il est permis de peindre et d’employer les images à la décoration des églises et au rappel des faits passés ; mais cela même est indifférent, et à cet usage ou non-usage la religion n’a rien à gagner ni à perdre, cum ad peragenda nostræ sa-