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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 7.1.djvu/451

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IMMACULÉE CONCEPTION


dans son application spéciale à Noire-Dame. Que Dieu seul et Jésus-Christ, considéré comme Dieu, soient sans péché, c’est là une assertion susceptible de vérité sans détriment pour la parfaite sainteté ou l’immaculée conception de Marie ; car l’expression : être sans péché, peut s’entendre ou d’une innocence de fait et fondée sur la grâce ou d’une innocence de droit et de nature, c’est-à-dire d’une impeccabilité essentielle. Cette seconde sorte d’innocence convient à Dieu seul et à Jésus-Christ, en tant qu’Homme-Dieu ; mais l’autre sorte d’innocence reste possible, s’il plaît à Dieu d’accorder ce privilège à une pure créature. Le fait que, dans les textes objectés, les Pères justifient l’impeccabilité qu’ils réservent à Dieu, sur ce qu’il est Dieu, ou à Jésus-Christ, sur ce qu’il est Homme-Dieu, indique sufflsamment qu’ils ont en vue l’innocence de nature ou de droit ; autrement, il faudrait conclure que, même parmi les saints anges, nul n’a été ni n’est sans péché, puisque l’ange n’est ni Dieu ni uni hypostatiquement à la divinité. Plazza, op. cit., p. 71.

Plus sérieuse est la difficulté tirée des textes relatifs aux faiblesses que Marie aurait eues, si l’on prend ces textes comme révélant la pensée de leurs auteurs. Car, à s’en tenir au sens objectif des passages de la sainte Écriture dont il s’agit, l’objection repose sur une exégèse arbitraire et inadmissible. Petau n’hésite pas, De incarn., t. XIV, c. i, n. 2, à traiter de très légères ou même nulles les raisons qui ont induit ces auteurs à parler de la mère de Dieu comme ils l’ont fait : Icvissimis inducti ralionibus, imo nullis. Le trouble qu’éprouva la Vierge en entendant la salutation vraiment extraordinaire que l’archange Gabriel lui adressa, témoigne uniquement de sa prudence et de son humilité. La parole dite aux noces de Cana : Vinum non habent, fut inspirée par un sentiment de charité compatissante. Dans la scène évangélique de la vie publique où Marie iiiterient, rien ne permet de conjecturer que sa démarche ait eu l’ambition pour mobile, ou qu’elle supposât un manque de foi en la mission de son Fils ; cette dernière disposition est bien attribuée aux frères de Jésus, mais à eux seuls, Joa., vii, 5 ; la réponse du Sauveur montre seulement qu’il profita de la circonstance pour affirmer l’indépendance de son ministère apostolique et l’excellence de la foi en son enseignement. Enfin, si l’âme de Marie fut transpercée au calvaire, ce fut par le glaive de la douleur ou de l’anxiété, et non du doute. Petau, loc. cit., n. 8-12 ; A. d’Alès, art. Marie dans l’Écrilure sainte, dans le Dictionnaire apologétique de la foi catholique, t. iii, col. 144, 147, 149, 151.

Quoi qu’il en soit, l’objection demeure en ce qui concerne la pensée personnelle des auteurs qui ont donné à ces divers passages une autre interprétation. Remarquons toutefois qu’une question préalable se pose, à savoir, si tous les Pères cités plus haut ont réellement admis dans la mère de Dieu, non seulement des imiierfections ou même des tentations, mais encore des péchés proprement dits. Quand saint Irénée emploie l’expression d’inlempestiva festinatio, répondant aux paroles de Jésus : Nondum venit hora mea, rien ne prouve qu’il songe à une faute de la part de Marie. Dom Massuet, dissert. IH, n. 69, P. G., t. vri, col. 319. Saint Hilaire et saint Jérôme, trouvant une figure de la Synagogue et des Juifs incrédules dans la mère et les frères de Jésus, appuient leur interprétation, ou plutôt leur accommodation sur cette circonstance, qu’ils se tenaient dehors : Stabani forts, el non pas sur un acte d’incrédulité commun à la mère et aux frères de Jésus. Parmi ceux qui parlent de doutes assaillant l’âme de Marie après la mort de son Fils, plusieurs s’expriment en des termes assez indéterminés pour qu’on ait le droit de se demander s’ils considéraient ces sentiments comme admis délibéré ment, ce qui serait nécessaire pour qu’il y eût péché proprement dit ; tel, par exemple, le pseudo-Grégoire de Nysse parlant seulement, loc. cit., d’une sorte de déchirure ou de tiraillement ; tel, peut-être, saint Cyrille d’Alexandrie, au jugement de N’ewman, Du culte de la sainte Vierge, p. 206, 208.

Mais cette interprétation bénigne ne peut pas s’étendre à tous les Pères. Sans attribuer proprement à Marie l’incrédulité, Tertullien semble pourtant faire tomber sur elle comme sur les frères de Jésus le blâme qu’il suppose contenu dans les paroles du Sauveur. Matth., xii, 48. Origène, loc. cit., trouve dans la faiblesse de Marie au temps de la passion le fondement de sa rédemption par Jésus-Christ : « Si la passion de Notre-Seigneur ne fut pas pour elle une occasion de scandale, alors Jésus ne mourut pas pour ses péchés. Si tous ont péché et ont eu besoin que Dieu les justifiât par sa grâce et les rachetât, certainement Marie, à ce moment, a été scandalisée. » Argument repris par saint Basile, loc. cit. L’opposition de saint Jean Chrysostome est également indéniable, malgré l’apologie tentée par Maracci, Vindicatio Chrysostomica, scu de S. Joanne Chrysostomo in conlroucrsia conceptionis B. V. Mariée ab adversariorum impugnationibus vindicato, Rome, 1664. Cet auteur s’est mépris sur la valeur des pièces dont il a fait usage : homélies de nativitate, in annuntiatione, de laudibus Virginis, in SS. Deiparam, de partu B. Virginis, etc., toute une littérature apocryphe.

On peut toutefois se demander si, dans la pensée des Pères qui ont attribué à la mère de Dieu des fautes actuelles, il y a connexion entre ces fautes et le péché originel, en ce sens qu’admettant les unes, par le fait même ils supposent l’autre. Maracci nie cette connexion en ce qui concerne saint Jean Chrysostome, op. cit., c. ly : Probatur Chrysostomum, ctiamsi hic (In Gen., homil. XLix, etc., ) B. Virgini peccatum actuale tribuisset, non propterea dici passe immaculatæ conceptioni ipsius B. Virginis fuisse contrarium. Passage cité par Newman, Du culte de la sainte Vierge, p. 223. Le saint docteur n’attribue à Marie que des péchés légers, n’entraînant nullement les mêmes effets que le péché originel, c’est-à-dire l’inimitié divine, la souillure de l’âme et la mort spirituelle, l’esclavage du démon. Pour Origène et saint Basile, la question se pose plus manifestement encore : s’ils se sont crus obligés d’admettre une faute actuelle en Marie pour qu’elle fût au nombre des rachetés, n’en faut-il pas conclure qu’ils ne voyaient pas en elle d’autre péché ? Cependant, comme ces Pères n’ont jamais traité expressément de ce problème, ni même du péché originel, toute assertion en cette matière est problématique.

Du reste, les données acquises laissent subsister l’objection précédemment énoncée, sous cette forme : Si des Pères ont réellement attribué à la mère de Dieu des fautes à tout le moins légères, comment pourrait-on trouver dans la croyance à la parfaite sainteté de Marie une preuve, même implicite, en faveur de l’immaculée conception ? — Il y aurait difficulté sérieuse, si ceux qui emploient cet argument prétendaient s’appuyer sur une croj’ance définitivement fixée ou communément admise dès les premiers siècles de l’Église ; il en va tout autrement dans l’hypothèse contraire. Avant le concile d’Éphèse, la croyance à la parfaite sainteté de la mère de Dieu a d’illustres représentants, on a pu s’en convaincre par les témoignages rapportés, mais elle n’aura tout son développement et ne se fixera définitivement que dans la période postéphésienne ; alors seulement la preuve aura sa pleine valeur. Par ailleurs, les témoignages opposés ne représentent ni une doctrine traditionnelle, ni même une croyance commune dans le