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IMMACULEE CONCEPTION

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à peine, en établissant, au sujet de l’iinmaculée conception de la Vierge Marie, mère de Dieu, un dogme nouveau, qui était inconnu dans l’ancienne És^lise et qui avait été jadis violemment combattu même par les plus distingués théologiens de la papauté. » Allusion manifeste aux grand ? scolastiques du xiiie siècle. La difficulté qu’ils soulèvent se rapporte principalement à la doctrine de l’immaculée conception, mais elle s’étend aussi à la fête, considérée soit en général dans sa légitimité, soit plus particulièrement dans son objet.

1° La controverse doclrinale au XIW siècle.- — A part le texte du bienheureux Oglerio rapporté col. 1026, texte qui peut dater des années où il fut abbé de Lucedio (1205-1214), on ne trouve à cette époque rien de précis en faveur de la pieuse croyance. Guillaume de Ware nomme Robert Grossetète, évêque de Lincoln de 1235 à 1253 ; personnage important dont le témoignage aurait d’autant plus d’intérêt, qu’il se montra le protecteur des premiers franciscains venus à Oxford, en 1224, et qu’il fut même leur professeur de théologie pendant quatre ou cinq années. Malheureusement Ware ne parle que par ouï-dire : Lincolniensis, ut dicitur, hoc posuil, et sans fournir aucune indication qui permette de contrôler l’assertion. D’autres font de saint Antoine de Padoue († 1231) un partisan du glorieux privilège, mais en s’appuyant sur des textes qui n’ont rien de décisif. Dans un sermon sur la nativité de Marie, le grand iJiaumaturge lui applique ce verset : El quasi luna plena in diebus suis lacet, Eccli., l, 6, en ajoutant cette glose : Beaia Maria dicitur luna plena, quia ex omni parte perfecta. Luna ideo impcrfecta et semiplena, quia habct maculam et cornua. Sed gloriosa Virgo nec in sua naiivitate habuit maculam, quia in utero matris fuit sanctificaia, ab angetis custodila, nec in diebus suis cornua superbise, et ideo plena et perfecta lucet. S.Anionii Pal. Thaumalurgi sermoncs dominicales et in solemnitatibus, Padoue, 1895 sq., t. iii, Sermones in laudes beatissimae Mariée virginis, p. 696. D’après ce texte, la bienheureuse Vierge fut sanctifiée dans le sein de sa mère, mais rien n’indique que la sanctification ait eu lieu en même temps que la conception. Pour trancher l’équivoque, l’éditeur recourt à un autre sermon où, après avoir rapporté la célèbre phrase de saint xugustin : Excepta ilaque, etc., l’orateur ajoute : Illa autem gloriosa Virgo singulari gratia prœucnta est atque repleta, ul ipsum haberel venlris sut fructum, quem ex initia habuil univcrsitalis Dominum. Beatus ergo venter, de quo in suse matris laudem Filius dicil in Canticis. : Venter tuas sicut acervus tritici, vallatus liliis. Ibid., t. i, Domin. IJI in Quadrag., p. 89. II suit de là que, d’après saint Antoine, Marie fut prévenue et remplie d’une grâce singulière en vue de sa maternité future, mais il n’est pas dit que ce fut dès le premier instant de son existence, et la seule expression de grâce singulière ne suffît pas, pour permettre de conclure sûrement dans un sens immaculiste. Du reste, c’est là un détail secondaire en face du problème général que soulève la doctrine des grands scolastiques. Comme il y a divergence d’avis, il importe de séparer les questions : celle de l’enseignement pris en lui-même et celle de l’interprétation qu’il en faut donner.

1. L’enseignement des grands scolnsliques^ — Les théologiens du xme siècle traitent ordinairement le problème à propos de la sanctification de Marie, soit dans leurs commentaires sur le Ul^ livre des Sentences, dist. iii, soit dans la III" partie de leurs Sommes théologiques ; parfois encore dans des Quodlibela, à propos de la fête de la Conception. Quand eut lieu 1 « première sanctification de la mère de Dieu, avant ou après l’animation, qui se fait par l’infusion

de l’âme dans le corps suffisamment développé ? Telle est la fonne générale sous laquelle la question est posée. Mais ces deux moments principaux : ante animalioncm et posl animationcm, sont souvent décomposés en ]jlusieurs autres.Ainsi, à supposer que lasanctilication n’ait eu lieu qu’après l’animation, il reste a déterminer si elle a précédé la naissance extérieure, ante nalii’ilalem, si elle s’est faite dans le sein maternel, in utero. Disons immédiatement que nulle divergence n’existe sur ce dernier point ; les princes de l’École et leurs disciples affirment que la bienheureuse Vierge fut sanctifiée dans 1j sein de sa mère ; tous disent qu’on ne pourrait raisonnablement refuser à la mère de Dieu un privilège accordé à.Jérémie et à Jean-Baptiste. De nouvelles hypothèses se présentent dans le cas où la sanctification aurait eu lieu avant l’animation : ante conccplionem (ou ante uterum), in con ccptione, post conccplionem ante animse infusionem. Dans cette terminologie, le mot de conception se rapporte nécessaireiwent à la conception première ou charnelle, considérée en elle-même ou dans son terme propre, puisque la conception consommée est logiquement postérieure à l’animation. La chose est d’ailleurs expressément affirmée par Alexandre de Halès Summa, III », q. ix, m. ii, a. 2 : Conceplio dicit corn mixtionem, quæ est in principiis seminalibus viri ei mulieris. Cela étant, que peut signifier cette question, posée par le même théologien, a. 1 : Ulrum B. Virgo ante suam conccplionem sanctificaia fueril ? « Elle n’a pas pu être sainte avant d’exister, et elle n’existait pas avant d’avoir été conçue, » avait objecté Bernard, col. 1012. Objection d’autant plus sérieuse, que les théologiens du xiiie siècle entendaient parler d’une sanctification proprement dite, ayant l’âme pour sujet.

L’explication de cette antilogie apparente aura l’avantage de nous faire voir nettement l’étroite connexion qui existe entre la position prise par les grands scolastiques à l’égard de la conception de Marie et la façon dont les défenseurs de la pieuse croyance l’avaient auparavant comprise et proposée. « Le péché n’est pas formellement dans la chair, remarque Alexandre de Halès, Summa, 1°, q. xi, m. ni, mais on peut dire qu’il y est virtuellement, causaliter, en ce sens que la chair contient ce qui, plus tard, amènera le péché dans l’âme, quia in carne est unde posiea contraint anima peccatum. » La sainteté peut se trouver dansla chair de la même façon, comme l’expose très clairement Richard de Middletowii, In. JV Sent., 1. IH, dist, III, q. i, § Respondeo : Sicut peccatum potest dici esse in aliquo, sicat in subfeclo, secundum quem modum est in sola rationali vel inleltectuali natura, et sicut in causa, secundum quem modum dicitur esse in carne infecta, sic carnem Virginis ante animalionem fuixse sanctificatam dupliciler potest intclligi : uno modo ita quod ante animalionem fada fuerit subjcclam sanctitalis… Alio modo ita quod illi carni fuerit data aliqua dispositio per quam essel in anima sibi unienda sanctitalis causaiiva. Ainsi peut-on dire d’une chose qu’elle est sanctifiée, en deux sens très différents ; d’abord, en elle-même, comme propre sujet de sainteté ; puis médiatement et virtuellement, in causa, en ce sens qu’un principe de sainteté existant pourra entraîner la sainteté dans l’effet qu’il produira. C’est précisément dans ce second sens que les apologistes du xiie siècle avaient parlé d’une sanctification préventive de la mère de Dieu, soit dans Adam, par la préservation d’une parcelle de chair, soit dans ses propres parents, par la supposition d’un acte générateur saint ou par l’exclusion, dans cet acte, de tout élément qui pût souiller la chair, terme immédiat. Au même ordre de sanctification préventive se rattache la théorie signalée par Albert