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IMMACULÉE CONCEPTION


regardait la chair comme pliysiquement souillée par la concupiscence et tenait que du fait même de son union avec la chair, dans l’état de nature déchue, l’Ame contractait une souillure correspondante : quam cito enim anima injunditur carni focdæ, lam cilo foedatur ; sicut a vitio vasis vinum corrumpitur. Summa, II », q. cv, m. IV.

Saint Bonaventure († 1274), professeur à Paris de 1248 à 1255, enseigne en substance la même doctrine que son maître ; mais il serre de plus près le problème en traitant séparément de la chair et de l’àme, il le simplifie aussi en réduisant le nombre des questions. In IV Sent., t. III, dist. III, part. I, a. 1, q. ii. La chair de la Vierge a-t-elle été sanctifiée avant l’animation ? Telle est la première question, qui comprend implicitement les trois moments distingués par Alexandre de Halos : anle conceplionem, in ipsa conceptionc, post conceptionem ante animationem. Le docteur séraphique ne nie pas la possibilité d’une purification préalable de la chair, mais il objecte qu’une purification de ce genre ne serait pas une sanctification proprement dite ; celle-ci convient à l’âme seule. En outre, la conception première de la Vierge s’est faite dans les conditions communes d’une génération soumise ù l’empire de la concupiscence ; elle a donc eu naturellement pour terme une chair de péché. Un peu plus loin, part. II, a. 2, q. I, il réfute la théorie de la parcelle de chair restée pure dans Adam et dans tous ses descendants. Beaucoup plus importante est la seconde question : Vâme de la bienheureuse Vierge a-t-elle été sanctifiée avant d’avoir contracté le péché originel ? L’opinion affirmative est d’abord exposée, celle que nous connaissons déjà, col. 1045, et suivant laquelle l’âme de Marie aurait été sanctifiée dans l’instant même de sa création, et par conséquent n’aurait pas réellement contracté la faute héréditaire. Les raisons invoquées par les tenants de cette opinion sont rapportées, et aussi la manière dont ils prétendent satisfaire aux données de la foi en ce qui concerne l’universalité de la rédemption : Marie doit son exemption du péché originel à la grâce, qui dépend et vient du Sauveur ; elle a été délivrée par Jésus-Christ, mais non pas comme les autres, car tandis qu’en dehors d’elle tous ont été retirés du précipice où ils étaient tombés, la mère de Dieu a été soutenue au bord même du précipice pour qu’elle n’y tombât pas, quasi in ipso casu sustentata est ne rueret. Malgré l’apparente sympathie avec laquelle il expose ces raisons, le docteur séraphique se rallie au sentiment opposé : la Vierge n’a été sanctifiée qu’après avoir contracté le péché originel, saniificatio Virginis subsecuta est originalis peccati coniractionem. Il se rallie à ce sentiment comme plus commun, plus raisonnable, plus sûr, plus conforme à la doctrine des Pères et à la piété réglée par la foi. Quatre preuves sont apportées : l’universalité du péché, affirmée dans la sainte Écriture et dans la tradition ; l’existence en Marie des peines attachées à la faute originelle ; la connexion qui existe entre la souillure de la chair et celle de l’âme quand l’union des deux s’accomplit ; la qualité de rédempteur qui convient à Jésus-Christ par rapport à sa mère. Dans le développement de ces preuves et les réponses aux objections, l’élève d’Alexandre de Halès suppose souvent, comme son maître, la théorie de Pierre Lombard sur la nature de la concupiscence et du péché originel ; théorie que, délibérément, il préférait à celle de saint Anselme. In IV Sent., t. II, dist. XXXI, a. 2, q. i. Ce n’est pas qu’il nie la possibilité d’une infusion de la grâce au premier instant et, par suite, d’une réelle préservation ; mais il ne lui semble pas convenir qu’en dehors du Sauveur, un seul des enfants d’Adam ait été absolument sans péché, ad Ci"". La bienheureuse

Vierge n’en a pas moins son privilège propre, celui d’avoir été sanctifiée plus parfaitement et plus rapidement que les autres. En quel jour, à quelle heure la chose se iit-elle, nous l’ignorons ; mais il est raisonnable de croire que l’infusion de la grâce dans l’âme de la mère de Dieu suivit de prés l’infusion de l’âme dans le corps, cilo post infusionem animx, q. m. Les deux docteurs franciscains se sont-ils rétractés ? On l’a prétendu : Alexandre de Halès aurait, sur la fin de sa vie, admis le glorieux privilège et composé un écrit en sa faveur ; de son côté, saint Bonaventure, devenu ministre général des frères mineurs, aurait fait équivalemment la même chose en instituant pour son ordre la fête de la Concejjtion au chapitre de Pise, en 1263, sans compter divers passages du docteur séraphique où le pieuse croyance apparaît, notamment un sermon sur la bienheureuse Vierge Marie où les mots gratta plena sont ainsi glosés : Domina nostra fuit plena gratta prævenicnte in sua sanctipcatione, gratia scilicel prieservativa contra fœditatem originalis culpse, quam contraxisset ex corruptionc naturæ, nisi speciali. gratia prseventa præservataque fuisset. Opéra, Rome, 1596, t. iii, p. 389. Mais toutes ces assertions manquent de réelle valeur. En ce qui concerne Alexandre de Halès, il y a pure confusion entre ce théologien et son homonyme, Alexandre Neckam, dont ilaété parlé ci-dessus, col. 1037 sq. : d’ailleurs, si ce dernier a fini par admettre une fête de la Conception, il n’a pas admis la croyance à l’immaculée conception. Il en est de même, on le verra plus loin, du docteur séraphique, à supposer qu’il ait réellement institué la fête de la Conception au chapitre général de Pise. Le sermon allégué est apocryphe. S. Bonaventurie Opéra omnia, Quaracchi, 1882 sq., t. iii, p. 69, Scholion ; Prosper de Martigné, La scolastique et les traditions franciscaines, p. 370, 372.

Alexandre de Halès et saint Bonaventure furent les maîtres des théologiens franciscains qui enseignèrent à Paris au xiiie siècle ; leurs disciples immédiats ont marché sur leurs traces. Le fait est confirmé par les écrits, publiés ou inédits, des principaux. Tel, Jean de la Rochelle († 1245), le premier frère mineur qui ait reçu la licence à Paris et le propre successeur d’Alexandre de Halès, comme professeur de théologie chez les franciscains. Dans une question correspondant à Sent., t. III, dist. III, il discute, comme son m.aître, si la Vierge a été sanctifiée ante conceplionem, in conceptionc, post conceptionem et ante infusionem animæ ; même solution. F. Cavallera, art. L’immaculée conception, p. 102. Un sermon inédit sur la nativité contient aussi cette phrase : Sic Maria in origine concepfionis habet amaritudinem conceptionis, sed in utero matris dulcorata est per gratiam sanctificationis, ut nascerctur in dulcedine plenitudinis sanctitatis. Paris, Biblioth. nation., ms. lat. 15940, fol. 167v. Un autre disciple d’Alexandre, celui à qui fut confié par Alexandre IV, en 1256, le soin de compléter et d’éditer la Somme du maître, Guillaume de Méliton († 1260), reprend son enseignement, avec cette particularité intéressante qu’il ajoute cette question : la bienheureuse Vierge a-t-elle été sanctifiée au moment même de l’animation, in infusione animas ? Non, répond-il. Autrement, Marie serait à la fois sanctifiée et non sanctifiée, ce qui est contradictoire ; en outre, n’ayant jamais eu de péché, elle n’aurait pas eu besoin de rédemption, puisque la rédemption suppose la rémission du péché, redemptio enim absolvit a reatu culpse. Doctrine confirmée par des témoignages empruntés à saint Irénée et à saint Bernard. Il ne suit pas de là que la mère de Dieu soit assimilée aux autres créatures humaines ; sa sanctification jouit d’un caractère privilégié, qui consiste dans l’excellence de la grâce reçue. F. Cavallera, ibid., p. 102. Un autre