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IMMACULEE CONCEPTION

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Dans le commentaire sur les Sentences, la question est ainsi posée : la bienheureuse Vierge a-t-elle été sanctifiée avant que sa conception ne fût consommée, anle sancti/icala quam conceplus ejus finiretur ? c’est-à-dire, en expliquant ce titre par d’autres termes employés dans la suite de l’article, avant l’animation ou l’infusion de l’âme dans le corps. Réponse négative : la sanctilication dont il s’agit dit purification du péché, souillure spirituelle que la grâce seule fait disparaître ; connne le propre sujet de la grâce est la nature raisonnable, la bienheureuse Vierge n’a pas pu ùtre sanctifiée avant que sa conception ne fût consommée par l’infusion de l’âme raisonnable.

A rencontre de cet argument, exclusif d’une sanctification personnelle et immédiate avant l’animation, deux hypothèses se posaient, énoncées dans les deux premières quæsliunciilse. D’abord, celle d’une sanctification médiate, soit avant la conception charnelle, in parenlibus, soit dans l’acte même de la conception de Marie, in ipso aclu conceptionis ejus. Cette hypothèse est rejetée : pour qu’une qualité spirituelle puisse se transmettre des parents aux enfants, il faut qu’elle appartienne à la nature ; tel n’est pas le cas, dans l’ordre actuel, pour la grâce qui peut être possédée par les parents ; elle n’est en eux qu’à titre de bien personnel, leur nature comme telle reste dans la condition où l’a mise la déchéance primitive. Ce n’est pas qu’il fût impossible à Dieu de guérir la nature elle-même, mais c’est là une perfection réservée à l’état de gloire : il ne convenait pas qu’elle fût communiquée ici-bas : quod quidem Deus facere potuit, sed non dcciiit, sol. 1°, § Ad primam ergo quæslionem. De même, si l’acte conjugal qui donna naissance à la Vierge fut, comme on le croit, méritoire, ce fut en vertu d’une grâce ayant pour effet de perfectionner saint Joachim et sainte Anne, mais non de réformer complètement leur nature, ad 4°’". La théorie (le la parcelle de ch : ir restée pure dans Adam et ses descendants est réfutée un peu plus loin, q. iv, a. 1. Voir aussi Snm. theoL, III*, q. xxxvii, a. 7 et Comment. in Évang. Joannis, c. iii, lect. y.

Mais pourquoi n’y aurait-il pas eu sanctification directe, soit de la chair avant l’infusion de l’âme, soit de l’âme elle-même au moment de son union avec la chair, en sorte qu’en raison de la grâce ainsi reçue, Marie préservée n’aurait pas encouru la faute originelle. C’est la seconde hypothèse, formulée dans la 3° objection de la Quæsliuncula secunda ; s’appuyanl sur l’idée de pureté transcendante, qua major sub Deo nequil intelligi, que saint Anselme avait revendiquée pour la mère de Dieu, le défenseur du glorieux privilège raisonnait en ces termes : o Si l’âme de Marie n’avait jamais eu la tache du péché originel, sa pureté aurait été plus grande que si, ayant eu cette tache pendant quelque temps, elle en avait été purifiée ensuite ; par conséquent, ou sa chair fut sanctifiée avant l’animation, ou du moins, au moment même de l’union au corps, son âme fut ornée de la grâce destinée à la préserver du péché originel, vel sallem in ipso instanti infusionis anima gratiam suscepit per quam immunis a peccato originali esset. » Saint Thomas rejette les deux termes de la disjonctive, pour des motifs différents. Une sanctification antérieure à l’infusion de l’âme n’était pas convenable, non poiuil esse decenter, puisqu’il n’y avait pas encore de sujet propre à recevoir la grâce. Inadmissible aussi une sanctification directe de l’âme, préservée de la souillure héréditaire’au moment de son union au corps ; car c’est le privilège exclusif de Jésus-Christ d’être le rédempteur de tous sans avoir besoin lui-même de rédemption ; or ce privilège ne serait pas sauvegardé s’il se trouvait une âme, en dehors de la sienne, qui n’eût jamais été infectée de la tache ori ginelle : hoc autem esse non posset, si alia anima inveniretur quæ nunquam originali macula juissel infecta. Une dérogation à la loi commune n’était pas impossible, absolument parlant, mais il ne convenait pas a la dignité du rédempteur qu’elle se fît ; aussi le privilège d’avoir été sans la tache héréditaire n’a-t-il été accordé ni à la bienheureuse Vierge ni à personne en dehors de Jésus-Christ : et ideo nec beatse Virgini nec alicui præter Christum hoc concessum est, sol. 2°. L’âme de Marie n’a donc été sanctifiée qu’après s’être unie au corps et avoir, à ce moment même, contracté le péché originel. De nouveau l’assertion revient, a. 2, sol. 2°, ad 3u’n ; le privilège d’avoir été absolument sans péché est revendiqué pour Jésus-Christ seul : Esse sine peccato dicitur esse proprium Christo, quia ipse nunquam nec actuali nec originali macula infectiis est, sed Virgo mater ejus fuit quidem peccato originali infecta, a quo emundata fuit, antequam ex utero naseeretur ; sed a peccato actuali omnino immunis fuit. Voir aussi le Compendium iheologise, c. ccxxxii (al. ccxxiv), où les mêmes arguments reparaissent, suivis de la même conclusion : Est ergo tenendum quod cum peccato originali concepta fuit, sed ab eo quodam speciali modo, ut dictum est, purgata fuit.

Dans la Somme Ihéologique, le probli^me est énonctde la même *façon que dans le commentaire sur les Sentences : la bienheureuse Vierge a-t-elle été sanctifiée avant l’animation ? La conclusion est aussi la même ; mais l’argumentation, simplifiée, est réduite a deux preuves. La sanctification dont il s’agit consiste à être purifiée du péché originel, et l’on n’est purifié du péché que par la grâce, dont la créature raisonnable seule est susceptible. De même, le péché pro prement dit ne convient qu’à la créature raisonnable : le terme de la conception, proies concepta, ne peut donc pas contracter le péché (ni, par conséquent, en être purifié) avant l’infusion de l’âme raisonnable. « Et si, d’une façon quelconque, la bienheureuse Vierge avait été sanctifiée avant l’animation, elle n’aurail jamais encouru la souillure du péché originel ; elle n’aurait donc pas eu besoin de la rédemption et du salut qui viennent de Jésus-Christ ; ce qui est inadmissible, puisque Jésus-Christ est le Sauveur de tons les hommes. » Reste que la sanctification de la bieiiheureuse Vierge ait eu lieu après l’animation, ou, comme il est dit dans le sed contra, alors que son être eût été pleinement constitué par l’union de l’âme et du corps, postquam cuncta ejus sunt perfecta, scilicet corpus et anima. Cette dernière idée est capitale, d’après un principe rappelé dans la réponse à la 4 « objection, à savoir que la sanctification est, dans l’ordre présent, strictement personnelle. Ce principe signifie d’abord que la sanctification s’applique directement à la personne, et non à la nature ; d’où vient que la Vierge, engendrée par des saints, n’en contracta pas moins le péché originel, parce qu’elle fut conçue par voie de génération sexuelle, soumise à la loi de la concupiscence charnelle. Le principe signifie, en second lieu, que la sanctification a pour sujet immédiat la personne et que, par conséquent, elle la suppose déjà constituée par l’union de l’âme et du corps. Mais ce qui est vrai de la sanctification l’est aussi de la rédemption : celleci est donc strictement personnelle, particulièrement en ce sens que la personne en est le sujet propre et que, par conséquent, elle doit avoir elle-même besoin de rédemption ; ce que le docteur angélique exprime énergiquement ailleurs : Oportet autem ponere qucd quilibet PERSON ALITER redemptioneChristi indigeat, d non solum ratione naturæ. In IV Sent., t. IV, dist. XLIII, q. I, a. 4, sol. 1°, ad 3^^.

Par là s’explique que, dans le présent article de l.i Somme, saint Thomas rejette en bloc, comme incompatible avec la loi de l’universelle rédemption par