générale d’abord, répondons afflimativement. Dieu peut s’unir telUment la volonté de sa créature qu’il en devienne le total et nécessaire principe d’action, principe impeccable évidemment et principe d’impeccabilité de grâce.
Cette union totale peut se faire en divers degrés et elle peut niCnie avoir comme des préludes et des commencements divers, plus ou moins rapprochés de l’union totale : union initiale et impeccabilité relative avec la grâce commune — union consommée icibas par des grâces extraordinaires, ne modifiant pas cependant le fond des facultés créées et impeccabilité Intrinsèque plus ou moins absolue (péché mortel, péché véniel) — enfin union consommée de la vie céleste et impeccabilité intrinsèque absolue. — Or toutes ces impeccabililés sont en la créature non par nature, mais par grâce. Au-dessus d’elles se trouve donc l’impeccabilité à la fois de grâce et de nature (nature personnelle) qui est celle du Christ, et au-dessus de tout l’impeccabilité de nature de Dieu.
1. Impeccabilité relative de la grâce commune ici-bas.
— La grâce, filiation, vie, nature divine, dans la créature est incompatible avec le péché. Qui est né, qui a été recréé, engendré à cette vie divine est mort, à toute loi de péché, crucifié et mort au péché. Il a en lui une semence divine qui ne peut pécher. Rien de commun entre la grâce du chrétien et la chair de péché, le mal, la damnation, les ténèbres, Bélial.
a) Voilà ce que saint Paul et saint Jean se plaisent à développer avec force, dans cette série de textes admirables où, après avoir diversement analysé nos misères avant la justification et la sanctification, ils décrivent avec celle-ci le mystère de la vie divine en nous, de la vie de l’Esprit, de la vie du Christ, de la vie d’union ou de communion divine. Cf. Rom., vi, 1-14 ; viii, 1-11, 35-39 ; II Cor., v, 17 ; Gal., vi, 15 ; Eph., n ; IV, 17-24 ; Col., 1, 12-23 ; ui, 1-5 ; IJoa., iii, 4-ll : Omnis qui natus est ex Deo peccatum non jacit, quoniam semen ipsius in eo mancl. Voir Pourrat, La spiritualité chrétienne des origines de l’Église au moyen âge, 3’édit., Paris, 1919, p. 25-53.
b) De ces textes lumineux sur la sublimité de l’âme christianisée, c’est-à-dire divinisée, les hérétiques ont abusé ad suam ipsorum perdilionem, II Pet., iii, 16 : gnostiques divers avec leurs classifications admettant un ordre de « pneumatiques » impeccables, même au milieu des plus horribles désordres de la chair. Voir GNosTiasME, t. VI, spécialement col. 1461. Ce pneumatique gnostique est d’ailleurs le frère du sage, stoïcien ou néo-platonicien ou néo-pythagoricien, arrivé cependant à la perfection imperturbable de sa sagesse grâce aux efforts ou à la science de son ascèse et non par un don divin. Voir Ascétisme, t. i, col. 2063 sq. Le sage bouddhiste a bien un peu lui aussi figure d’ancêtre pour tous ces parfaits impeccables rationalistes.
Fils des sages païens gréco-romains fut le chrétien pélagien. Tout chrétien, en effet, pour les pélagiens, est en réalité tenu à l’impeccabilité absolue, sans distinction de péché mortel ou de péché véniel — ce dont d’ailleurs tout homme est capable par la vertu de sa liberté. Voir Augustin (Saint), 1. 1, col. 2381-2383, et plus loin, au même article, les réfutations du saint docteur. Saint Jérôme, un peu plus tôt, avait vigoureusement aussi travaillé à ruiner les théories mondaines de Jovinien sur l’invincibilité et l’égalitarisme de la grâce de tout baptisé.
Enfin, plus tard, l’inaccessible quiétiste travaillera au fond à s’établir dans les mêmes positions et les mêmes erreurs malgré les mêmes conséquences folles ou immorales. Voir Béghards, t. ii, col. 531534 ; QuiÉTisME.
ej Entre tous ces excès divers, la vérité du bon
sens catholique est claire. La grâce, la filiation divine, la nature divine sont incompatibles avec le péché et l’excluent de toutes leurs forces ; qui leur reste fidèle, comme il le doit, qui est logique avec elles, ne peut pas pécher, ne doit plus pécher.
De plus, en droit, un enfant divin devrait être vêtu royalement de ces dons d’intégrité et de science comme d’immortalité qui sont les attributs de la nature divine participée. Il en fut ainsi dans la première création, car, de lui-même, Dieu fait ses œuvres parfaites. Mais la grâce maintenant est en nous comme une restauration ; elle refait en nous miséricordieusement ce que le péché a détruit. Et pour le refaire avec ordre, elle commence par rétablir la substance de la sainteté dans notre âme ; quant aux diverses facultés de celle-ci elle leur infuse des principes de bien agir, mais sans y ajouter ces dons préternaturels qui en supprimaient l’infirmité radicale — et leur laisse ainsi la dure loi de la lutte et la glorieuse nécessité de conquérir désormais ce que nous avons perdu une fois et mérité de perdre à jamais.
C’est donc, malgré la grâce dans l’âme, la lutte entre le mal et le bien, le péché et la vertu, la grâce ou l’Esprit de Dieu et la chair et l’esprit du mal. Dans cette lutte le péché entraîne parfois la fragilité de la liberté. Mais si celle-ci le veut, car volonté égale victoire, elle peut se relever, retriompher du mal et reprendre la marche vers les sommets de la beauté morale et de la gloire divine : Jésus, en effet, continue sa propitiation rédemptrice, restant notre avocat auprès du Père, I Joa., ii, 1-2, et son assistance puissante est toujours là à notre portée.
Que cette situation soit bien la nôtre, il suffît de lire une page de saint Paul pour le voir- — ou de l’Évangile ou des autres apôtres — et de regarder quelque temps sincèrement en sa conscience pour le constater : ni impeccables ni radicalement corrompus, voilà ce que nous sommes ; mais enfants, fragiles, perfectibles jusqu’aux sublimités de la sainteté, en attendant le ciel. Voir Grâce, t. xi, col. 1593-1594.
2. Impeccabilité absolue par grâce extraordinaire icibas. — La grâce nous divinise dans la substance de l’âme, mais la volonté reste faible. Des secours divins viennent normalement aider cette volonté, sans supprimer cette faiblesse de fragilité.
Dieu ne pourrait-il donner de tels secours que la volonté fortifiée ne craindrait plus la chute, serait impeccable ? Dieu peut faire cela et il l’a fait en deux degrés différents.
a) Confirmation en grâce ou impeccabilité pour le péché mortel. Dans un premier degré, Dieu donne et assure tant de grâces ou plutôt de telles grâces efficaces que la volonté est garantie contre le péché mortel : c’est précisément ce qu’on appelle la confirmation en grâce.
Les théologiens reconnaissent ce privilège aux apôtres à partir de la Pentecôte : les raisons de convenance, le sens et la connexion des faits surnaturels, les indices de fait semés à travers l’apos/o/icum, surtout dans les écrits de saint Paul, enfin le sens traditionnel de l’Église nous le garantissent suffisan.ment. Voir Apothes, t. I, col. 1654-1655.
Semblablement aux apôtres, plusieurs autres saints ont eu cet immense privilège : ceux principalement et a fortiori, dont nous allons parler de suite.
b) Impeccabilité et péché véniel en théorie. — L’âme grandit dans l’amour divin, par ces degrés suaves et merveilleux que décrivent l’ascétique et la mystique chrétiennes. La grâce la laisse d’abord ordinairement travailler pour ainsi dire à la sueur de son front par l’exercice des vertus qu’elle aide, mais en s’adaptant à l’agir humain rationnel. Voir A. Saudreau, Les degrés de la vie spirituelle, 3e édit..