vertueux du paganisme, tout en les avouant « stériles », Augustin, entre autres réserves qu’il fait, lui dit qu’il devrait du moins attribuer ces actes à un don divin, à une grâce ; et cette grâce n’est pas celle des actes salutaires, puisque ces actes « stériles » ne conduisent ni à la justification, ni par conséquent au ciel. Pour les textes, voir Augustin, t. i, col. 2 ; ^87 ; cf. ce que nous avons dit de sa controverse avec Julien, col. 1741. Les théologiens ont suggéré diverses formes de cette espèce de secours, qui. luttant contre les tentations, fait produire un acte bon dans les circonstances où celui-ci serait quasi impossible, sans toutefois élever la faculté à produire un acte intrinsèquement surnaturel. Il y a l’apparition soudaine, dans l’intelligence, d’un objet capable d’éveiller des sentiments puissants pour empêcher la volonté de consentir au mal, au moment où l’âme, entraînée par les passions et les sens, est froide et insensible aux considérations religieuses ; l’objet est présenté par une espèce de miracle en dehors de toutes les associations d’idées et de toutes les lois psychologiques, ou avec une extrême intensité que les causes naturelles n’expliquent pas. Dans le passage de tout à l’heure, Augustin semble indiquer à la fin cette forme de secours, quand il dit : Je t’ai effrayé, pour t’empêcher de consentir. » Une autre forme, c’est la communication directe de force à la volonté, sans passer par l’intelligence. Nul n’ignore qu’il y a plus de force de caractère dans un homme que dans un autre ; et dans un même homme la volonté, par des efforts souvent répétés, peut acquérir de l’énergie à la longue. Mais le Tout-Puissant, lui, peut en une seconde mettre dans une âme une énergie indomptable, comme il l’a fait d’une manière durable pour ses apôtres, le jour de la Pentecôte ; dans notre cas il peut suffire d’un surplus passager d’énergie, pour obtenir un acte de ferme résistance, et empêcher ainsi la chute qui menaçait. Dans ces dernières formes, l’acte humain comporte un élément qui surpasse les forces et les exigences de la nature humaine, donc « surnaturel » en un sens général. Que cet acte, naturel en lui-même, soit appelé « surnaturel quoad modum, ou « préternaturel », ou » extrinsèquement surnaturel », il implique dans le mode de son origine quelque chose de miraculeux, et se distingue par là soit de l’acte purement humain, fait avec le concours ordinaire et naturel de Dieu, soit de l’acte surnaturel quoad subslantiam. Il n’a donc pas simplement, comme on le dit parfois, une dénomination de surnaturalité, tirée de la vocation éloignée qu’a tout homme à la fin surnaturelle, dans l’ordre présent.
La grâce surnaturelle quoad modum, intermédiaire entre le concours ordinaire et naturel de Dieu, d’une part, et la plus haute grâce dont il nous assiste ici-bas, d’autre part, était presque communément admise autrefois par les théologiens, non seulement comme une possibilité, mais encore comme un fait, sans lequel on ne peut expliquer, par exemple, le secours certainement donné parfois aux infidèles avant leur vocation prochaine à la foi. Quelques théologiens aujourd’hui, sans en nier la possibilité, ne veulent pas l’admettre en fait dans la providence actuelle, et, comme Ripalda, la remplacent par la grâce surnaturelle quoad substantiam, qui serait de fait la grâce uniquement donnée aux infidèles comme aux autres. Voici leurs raisons : a. Il semble que la grâce surnaturelle quoad modum n’ait aucun fondement dans l’Écriture ou la tradition, et qu’elle ait été inventée par ceux qui, comme Suarez, répugnent à admettre dans le sujet (ayant besoin de grâce pour connaître ou aimer) une grâce surnaturelle quoad substantiam, quand l’objet à connaître ou à aimer n’a rien en lui que de naturel ; alors, ne voulant pas d’ailleurs le laisser sans aucune grâce, ils lui ont décerné une grâce surnaturelle quoad
modum. Telle est la pensée du cardinal Billot, De gratia Christi, Prato, 1912, th. ii, p. 79 (édit. de Rome, 1908, p. 66). — Réponse. — Nous sacrifions volontiers au docte cardinal cette opinion de Suarez et autres auteurs, suivie aujourd’hui encore par plusieurs ; voir ce que nous en avons d t, à propos de Ripalda qui n’a pas tort de s’en écarter, col. 1765. Mais le grâce surnaturelle quoad modum n’est pas une création de théologiens pour les besoins d’une opinion contestable : elle a une base dans la tradition. Elle suit de la réunion de deux faits traditionnels 1° fait, ou groupe de faits, étabh plus haut : saint Augustin refuse absolument toute influence positive, pour la justification comme pour le salut, aux meilleures œuvres des infidèles auant la foi stricte, ce qu’il ne pourrait faire s’il les regardait comme intrinsèquement surnaturelles ; et avec Augustin le concile de Trente dit de la foi stricte, qu’elle est pour l’homme le commencement du salut, la première disposition à la justification, le fondement de toute justification. 2 « fait. Ce n’est pas assez, aux yeux de l’Église, pour nous opposer aux jansénistes, d’admettre que la nature, n’étant pas totalement corrompue par le péché originel, peut faire par ses propres forces et sans celles de la grâce quelques œuvres moralement bonnes, au moins en matière assez facile. Alexandre VIII a condamné chez ces sectaires une autre erreur (5* proposition), atteignant directement les infidèles, et leur refusant absolument toii/ejrâce pour les fortifier contre le mal. Et en effet Jansénius, dans son Augustinus, leur refusait en propres termes « avant la connaissance de la révclation et la vocation prochaine à la foi, pour éviter le péché, tout secours surnaturel, même quoad modum, en sorte que leur volonté resterait nue et désarmée, et sans aucune influence du Christ », comme le dit la proposition condamme. Du reste, si l’on y tient, le secours surnaturel leur sera mesuré avec parcimonie, il ne les mettra pas à même d’éviter longtemps tout pcché grave, et de vaincre toutes les tentations, ce qui serait réservé aux fidèles en état de grâce ; mais du moins ils en seront aidés dans quelques occasions difliciles, et décisives pour toute leur vie, ce qui est très appréciable. Enfin, pour qui ne serait pas assez au courant de la position tenue par l’auteur éminent dont nous parlons, il est bon de rappeler ici qu’il n’a rien de commun avec Ripalda sur la thèse fondamentale que nous prouvons, et qu’il exige absolument et sans aucune suppléance la foi stricte pour la justification de tout adulte. De virtutibus infusis, 2e édit., Rome, 1905, t. i, th. xix, p. 331. — b. Une autre objection part de ce principe incontestable, que toute grâce nous vient du Christ ; même la grâce qu’il nous faut contre notre infirmité due à la concupiscence, c’est encore « la grâce de Dieu par Jésus-Christ ». Rom.,
i, 25. Or « une telle grâce, continue l’objection, est la grâce du Sauveur ; et la grâce du Sauveur conduit au salut. Mais une grâce qui conduit au salut (c’est-à-dire à la fin surnaturelle) ne peut être que la grâce surnaturelle (quoad substantiam). » — Réponse. — Oui, toute grâce conférée par les mérites du Sauveur l’est en vue du salut. Mais le « salut » est un terme plus abstiait, plus vague, plus général que la vision de Dieu, ou fin dernière et surnaturelle. Celle-ci est l’élément suprême et positif du « salut ». Mais le terme de salut » s’applique aussi à la justification, Eph., ii, 8, laquelle n’est pas le bien suprême ; il peut également convenir à un élément plutôt négatif. Dans le langage humain, auqiel la religion révélée emprunte ses termes, et ses concepts, le « salut » ne signifie pas la suprême béatitude, mais ordinairement la déhvrance ou la préservation d’un grand mal : on est « sauvé » d’un naufrage, d’un incendie, d’un attentat ; on cherche son « salut dans la fuite, etc. Elle sera donc