La lumière de gloire est la raison totale, formelle et prochaine qui élève et proportionne la faculté intellective à l’acte de vision. Mais l’intelligence (ainsi élevée et proportionnée) devient la cause totale de l’acte de vision. » Et Jean de Saint-Thomas ajoute, avec sa , clarté habituelle : « Ce cpie nous voulons dire, c’est ((ue, dans la vision béatifique, bien que l’intelligence concoure à l’acle comme son principe vraiment vital, raiment agissant, cependant toute sa raison de concourir à cet acte lui vient uniquement de la lumière (le gloire. L’intelligence est élevée et perfectionnée, de façon que sa vertu propre n’est pour rien dans l’acte de vision qui tout entier vient de l’intelligence, mais en tant qu’élevée par la lumière : ratio influendi est itnica, scilicet desiimpta ex lumine r/loriæ, quæ ilu inlcllectum ficrficit et élevât, quod non concurril per propriam virlnlem notaralem, ut in sao natiirali ordinc manentem, scd ni eleimlam, » n. 13. Si l’intelligence était instrument de la lumière de gloire, elle apporterait dans son opération une part de son action propre. C’est de cette façon qu’il faut comprendre les thomistes affu-mant que l’intelligence est le principe total radical et éloigne, la lumière de gloire le principe total, et prochain de la vision. Cf. Gotti, Theologia scholaiticodogmatica, tract. UI, q. iv, dub. m ; Salmanticense.s, op. cit., disp. I’, dub. iv, n. 62 ; Gonel, op. cit., disp. III, a. 3, n. 37. Ils ne se refusent pas à dire, si l’on veut bien entendre cette expression dans le sens de leur opinion, que la lumière de gloire et l’intelligence s’unissent pour former un princijie actif unique de la vision. Cf. Salmanticenses, loc. cit. ;. Hugon, De Deo uno, p. 132.
2. Rôle de l’essence divine.
L’intelligence, éclairée et proportionnée à l’acte de vision par la lumière de gloire, doit, selon la définition de Benoît XII, « voir la divine essence d’une vision intuitive et même faciale sfms aucune créature dont la vue s’interpose, mais immédiatement, grâce ù la divine essence qui se manifeste elle-même à nu, clairement et ouvertement. » Il est trop clair que la foi catholique, exprimée dans cette décrétale, ne supporterait pas une explication où la vision intuitive aurait pour terme une représentation idéale créée de la divinité. Son acte doit se terminer à l’essence divine elle-même. Toutefois, voulant expliquer la psychologie de la vision intuitive d’après la psychologie de l’acte naturel de l’intelligence créée, les théologiens ont adapté leurs formules et lein’s systèmes à la vision intuitive. De là les questions relatives au rôle que joue l’essence divine dans l’acte de la vision. a) L’essence divine seule joue le rôle d’ « espèce impresse ». — Pour comprendre, l’Intelligence doit être impressionnée par l’objet vers lequel son acte se dirige. Cette impression ne peut être qu’une représentation idéale de l’objet. Mais cette représentation est cssenliellenient objective ; elle n’ajoute rien ; la puissance même de comprendre, et ne fait que lui rendre présent son objet. C’est l’espèce’impresse —, cjue, dans la théorie scolastique, à peu près universellement admise, les philosophes conçoivent comme le produit de l’abstraction opérée par l’intellect agent sur les données des sens. Ce premier principe rappelé, on comprendra facilement les assertions suivantes :
a. Dans la vision intuitive, aucune espèce impresse créée n’est possible. — Créée, cette représentation intellectuelle ne saurait reproduire idéalement l’essence divine : une représentation créée est essentiellement finie et bornée. Tous les théologiens conviennent en fait de cette vérité. Là où les théologiens ne sont plus d’accord, c’est dans la solution du problème très spéculatif, si, de puissance absolue de Dieu, une espèce créée pourrait être représentative de l’essence infinie. Les anciens théologiens, à part Auriol et quelques commentateurs de Scol, ne se préoccuppèrent pas
d’une telle question. Elle n’a été soulevée qu’au xvio siècle par Suarez, Molina, Vasquez, selon qui il n’y aurait pas contradiction à admettre une représentation créée de l’essence incréée. Voir, en sens inverse, la doctrine communément admise, dans Jean de Saint-Thomas, op. cit., dis]). XIII, a. 3, n. 1 ; Gonet, op. cit., disp. II, a. 1 ; et le catéchisme du concile de Trente, part. I », c. xiii, n. 8.
b L’essence divine joue le rôle d’espèce impresse. — C’est l’opinion de saint Thomas, Cont. Cent., k III. c. Li ; Su/ ? 7. theol., l^, q. xii, a. 5 ; III », q. ix, a. 3, ad 3, Et l’opinion de saint Thomas est universellement admise, sauf par Suarez, qui ne peut concevoir comment l’essence divine peut être espèce impresse sans informer physiquement l’intelligence humaine, et conclut en conséquence à un concours spécial de la part de l’essence divine, sans déterminer d’ailleurs en quoi réside précisément ce concours, op. cit., c. xii, n. 14 sq. Vasquez, plus radical que Suarez, n’accorde à l’essence divine qu’un concours d’ordre général, analogue à celui qui se produit dans tout acte d’intelligence, op. cit., disp. XLIII, c. m. On a vii, plus haut, la solution de la difficulté qui arrêta ces théologiens. Pour l’exposé de l’opinion commune, on consultera avec profit Gonet, op. cit., disp. II, a. 3 ; Salmanticenses, op. cit., disp. II, dub. ii ; Billuart, op. cit., dissert, iv, a. 7, et, spécialement pour la solution des difficultés, Jean de Saint-Thomas, op. cit., disp. XIII, a. 4. Parmi les auteurs contemporains, voir.Jannssens, De Deo uno. In q. xii, a. 2, 3. p. 428 sq. ; Pesch. De Deo uno, n. 80 ; Palmieri, De Novissimis, Prato, 1908, § 68 ; Satolli, In Summani theologicam Divi Thomee Aquinatis (a Q. I ad Q. XIII), Rome, 1884, q. xii, a. 2 ; Hugon, D^ Deo uno, .q. iv, a. 2, p. 110.
c. L’essence divine concourt-elle activement à l’acte de vision ? — La forme interrogative sous laquelle nous présentons ce nouvel aspect du problème psychologique de la vision intuitive montre que les théologiens sont ici dans un désaccord assez accentué. Et le désaccord franchit même le seuil du sanctuaire thomiste. La difficulté de la solution affirmative, proposée par la plupart des grands théologiens de l’école de saint Thomas, Cajétan, dans son commentaire, les Salmanticenses, op. cit., disp. II, dub. m ; Gonet, op. cit., a. 4 ; Jean de Saint-Thomas, loc. cit., etc., c’est d’expliquer comment l’essence divine, concourant activement à l’acte de vision, n’est pas, par le fait même, subordonnée à l’intelligence. Aussi, non seulement d’autres théologiens, libres de toute attache vis-à-vis du thomisme, Suarez, Vasquez, Tolet, mais encore des dominicains comme Bafiez, dans son commentaire sur la Somme, et quelques autres thomistes de moindre renom, ont pensé qu’il suffisait de concevoir l’essence divine comme principe formel de la vision intuitive, sans lui accorder un concours actif dans cette vision. La logique voudrait que ce concours actif fût accordé à l’essence divine ; la difficulté inhérente à cette solution logique doit être résolue conformément aux principes posés plus haut, voir col. 2360, dans le parallélisme de la visiyn intuitive et de l’union hypostatique : la transcendance de l’acte pur intelligible suffit à nous faire entrevoir la possibilité pour cet acte pur de devenir la forme intelligible de notre esprit (et partant, de concourir activement à la production de l’acte), sans cependant lui.devenir inhérent à la façon d’un accident (et partant de lui être subordonné). On comprend mieux d’ailleurs, dans la formule rigoureusement thomiste, comment, dans la vision intuitive, l’esprit créé devient vraiment participant de la vie divine dans la pleine acception du mot. Cf. Hugon, op. cit., p. 111-113.
b) L’essence divine, espèce expresse » f/(//i.s la vision béati/ique. — La psychologie thomiste distingue, dans