visait tout particulièrement Léon XIII, à savoir les anglicans, pour qui la doctrine et la pratique de l’Église romaine, pas plus que le concile de Florence, ne sauraient faire autorité, et surtout certains catholiques, qui, hors d’Angleterre en particulier, crojaient pouvoir en appeler des décisions antérieures au fait désormais plus avéré qu’il peut y avoir ordination valide sans porrection des instruments. N’aurait-on pas jadis attaché trop d’importance à l’absence de ce rite chez les anglicans ! Pourquoi, chez eux comme ailleurs, les ordinations faites par la seule imposition des mains ne seraient-elles pas valides ?
La question posée, on le voit, était uniquement une question d’espèce, et c’est pourquoi le pape prend soin de rappeler que dans la passé aussi elle a été traitée comme telle. Les instructions, par exemple, données au cardinal Pôle pour la conduite à tenir à l’égard du clergé ordonné sous Edouard VI, ne s’arrêtaient pas à déterminer les conditions générales sans lesquelles les ordinations ne seraient pas valables ; elle n’avaient en vue que les ordres sacrés, tels qu’ils étaient conférés en Angleterre d’après l’ordinal élaboré par les réformateurs : FacuUates legato aposloUco… iributæ Anglicam dumtaxat religionisque in ea slatum respiciebant ; normse item agendi… eidem legato… impertitæ minime quidem esse poteiant ad illa GENE-RATIM decernenda sine quibus sacrée ordinationcs non vateant, sed debebant atlinere proprie ad providendum de ordinibus sacris in eo régna, prout temporum moncbant rerumque conditiones expositse. Lettres apostoliques Apostolicxcuræ, dans Piazzesi : Acta sanctæ sedis 1896-1897, p. 195. Pour lui, lorsqu’il a permis de remettre la question à l’étude, c’est sur l’ordinal, anglican, parce que tout dépend de là, qu’il a prescrit de faire porter les recherches : Jussimus in ordinale anglicanum, qiiod capnt est totius causæ, rursus quam studiosissime inquiri. Ibid., p. 198. Et de fait, c’est sur la signification des rites tels que les prescrit et les décrit l’ordinal anglican que porte ensuite toute la discussion : on en examine les formules primitives avec le sens qu’elles ont par elles-mêmes ou que permet de leur attribuer l’intention de ceux qui l’ont élaboré ; on tient compte des additions qui y ont été faites plus tard ; on va même jusqu’à concéder que telle oraison qui s’y trouve pourrait peut-être suffire comme forme si elle se trouvait dans un rite catholique approuvé par l’Église : etiamsi forte haberi ea pussct tanquam sufjicicns in ritu aliquo catholico, qiiem Ecclrsia probasset. Ibid., p. 201. La conclusion, on le sait, de cet examen minutieux est que la signification de ces rites n’est pas celle d’un véritable sacerdoce et c’est pourquoi les ordinations ainsi faites sont déclarées nulles. Or le principe même sur lequel s’appuie cette solution laisse complètement hors de cause la nuUière du sacrement de l’ordre en général. Il consiste eu effet à affirmer que la signification et donc l’ellicacité d’un rite sacramentel se manifeste surtout dans ce qui eu constitue la forme. La matière, par elle-même, est indéterminée et c’est de la forme que lui vient sa détermination. Or, poursuit le pape en propres termes, (I ceci [ c’est-à-dire cette indétermination propre à la matière] apparaît en particulier dans le sacrement de l’ordre, dont la matière, telle qu’elle se présente ici — hoc loco, cesl-à-dire dans notre examen de l’ordinal anglican — à notre considération, est l’imposition des mains. Par elle-même, en ellet, elle ne signifie rien de défini et elle intervient dans la confirmation tout aussi bien que dans certaines ordinations : Significatio, ctsi in loto ritu cssentiuli, in materia scilicct et forma, haberi débet, prajcipuc tamen ad formam pertinet, cum materia s il pars per se non determinala, qiiæ per illam detcrminctur. Idque in sacramento ordinis manifeslius apparet, ciijus con ferendi materia, quatenos hoc LOCO SE DAT CONSI-DERANDAU, est manus impositio, quae quidem nihil defmitum per se significat, et œque ad quosdam ordines, leque ad conflrmationem usurpatur. Ibid. Le pape, on le voit donc par le texte et le contexte, ne porte ici aucun jugement sur le rôle propre de l’imposition des mains dans le sacrement de l’ordre en général ; il ne formule pas non plus, il est vrai, la moindre réserve sur son aptitude à en constituer la matière essentielle, il constate au contraire que dans l’ordinal anglican elle remplit manifestement ce rôle : dans l’espèce, hoc loco, c’est elle et elle seule qui doit être considérée comme telle. Mais de réserve, il n’y en avait vraiment pas à faire. Nous avons déjà dit comment et pourquoi le pape devait éviter de mettre ici en cause l’absence de la porrection des instruments, et le fait, au contraire, que l’imposition des mains fût seule ici à pouvoir constituer la matière du sacrement renforçait très opportunément l’affirmation générale à laquelle il allait suspendre toute sa démonstration : « dans un rite sacramentel, la signification tient surtout à la forme. » Ce passage des Lettres apostoliques revient en un mot à ceci : A devoir prouver. par les rites de l’ordination chez les anglicans leur signification proprement sacramentelle, il n’y a pas à tenir compte de l’imposition des mains qui en constitue la matière. Or c’est vraiment là trop peu pour parler d’opposition entre le pape Léon Xlll et le concile de Florence. On ne saurait chercher dans le silence gardé sur l’absence de la porrection des instruments l’approbation ou la consécration de l’opinion qui les exclut de la matière essentielle du sacrement qu’à condition de fermer les yeux sur la position prise par le pape et sur ce qui était son objectif propre et immédiat. Il faudrait en outre pour cela donner à sa parole sur l’imposition des mains un sens et une portée qu’elle n’a manifestement pas. D’une phrase au but purement explicatif il faudrait faire une affirmation péremptoire ; il faudrait attribuer à une considération ne portant que sur le cas particulier du rite de l’ordination chez les anglicans la valeur d’un jugement sur la manière dont se doit comprendre le rite de l’ordination dans l’Église romaine ; où le pape se borne à signaler un exemple particulièrement frappant de l’insuffisance d’une matière sacramentelle à signifier pleinement et par elle-même l’effet propre du sacrement, il faudrait découvrir la preuve qu’il tient lui-même cette matière pour essentielle au sacrement de l’ordre. A propos d’un procédé d’argumentation pareil, le R. P. Harent, Études, 1897, t. lxxin, p. 335, a parlé jadis de « pur sophisme » ; le mot ne paraîtrait que juste.
5o Le changement n’a rien d’inconcevable.
Il n’y a pas non plus à arguer contre le changement de la difiiculté qu’éprouvent certains esprits à se représenter comment l’Église a pu en venir à une nouvelle conception du rite sacramentel pour contester qu’elle y soit venue en effet. Que d’usages, que de prescriptions, que de variations affectant la validité des sacrements se sont ainsi introduits dans l’Église sans qu’il soit possible d’en assigner la date, la manière et les auteurs 1 Dans l’administration du sacrement de l’ordre, où, quand et par qui ont été introduites les oraisons plus ou moins diverses qui accompagnent les impositions des mains et où, malgré leur diversité, tant d’auteurs reconnaissent la forme du sacrement ? On sait que la question se pose plus pressante encoreà propos de la forme du sacrement de confirmation : rien ne montre peut-être mieux la nécessité de reconnaître à l’Église un réel pouvoir de déterminer les éléments essentiels de certains sacrements, que l’ingéniosité et la virtuosité déployées par certains théologiens pour ramener malgré tout à l’unité les paroles de la formule grecque et de la formule latine. Voir,