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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 8.1.djvu/187

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355 JANSÉNISME, L’AUGUSTINUS, T. II. PEINES DU PÉCHÉ ORIGINEL 356

vie doivent en régler l’usage, c. xxiii. Jansénius va plus loin : non seulement tout consentement à la concupiscence est un péché, mais tout péché, chez l’homme déchu, n’est qu’un consentement à la concupiscence, car, d’après saint Augustin, au dire de Jansénius. tout péché est précédé d’une tentation et toute tentation vient de la partie animale soumise aux mouvements de la concupiscence ; tout péché est précédé de quelque délectation ; dans le ciel.il n’y a plus de péché, parce qu’il n’y aura plus de concupiscence : nullum peccalum, nisiconcupiscendo, committitur. Entre la concupiscence et le péché, il y a une relation de cause à elïet. L’ignorance elle-même à laquelle saint Augustin attribue parfois le péché vient de la concupiscence, c. xxiv.

Jansénius veut donner la raison psychologique de cette filiation. L’âme, par sa seule liberté, sans la concupiscence, ne saurait pécher, car on ne veut que ce qui plaît de quelque manière à la volonté. Dans tous nos actes de volonté, il y a une délectation, sinon pour la chose qu’on veut, du moins pour quelque chose qui y conduit directement ou indirectement. La volonté ne fait jamais un acte qui lui déplaît, même lorsque l’intelligence l’approuve et s’y attache.

Cela n’existait point avant la chute. Alors, c’était le calme, la tranquillité la plus parfaite de l’âme ; mais la concupiscence est née du péché ; elle est une peine du péché, en sorte que désormais, dans la nature corrompue, l’amour de soi, issu du péché, est l’origine de tout péché, c. xxv.

A la fin duc. xxv, Jansénius annonce qu’il ne parlera pas ici des peines du corps dont il s’occupera longuement au t. III, De la nature pure, ni des peines réservées aux enfants morts sans le baptême. Il renvoie, sur ce sujet, à l’ouvrage alors récemment paru de Florent Connus, évêque de Tuam, publié â la fin de VAuguslinus dans les éditions de Paris et de Rouen, sous le titre : De stalu pariuilorum sine baplismo deccdenlium. Cet écrivain soutient que ces enfants sont punis de la peine des sens comme de la peine du dam. Voir Augustin (Saint), t. i. col. 2395-2397

c) La déchéance du libre arbitre (Livre III). — Quoi qu’en disent les pélagiens, saint Augustin, dit Jansénius, a toujours défendu l’existence du libre arbitre et affirmé catégoriquement que la liberté reste même chez l’homme déchu, c. i ; mais ce Père soutient en même temps que le péché originel a détruit {’indifférence entre le bien et le mal. Cela explique l’accusation calomnieuse des pélagiens qui identifient la liberté et l’indifférence ornais cette Identité n’existe pas : une puissance peut être libre d’agir ou de ne pas a^ir et avoir besoin, pour agir, d’un secours étranger, de même que celui qui a des yeux en bon état peut voir, bien que, pour voir en fait, il ait besoin de lumière. Adam innocent n’était pas sous la servitude du péché ; il pouvait vouloir sans la grâce, en ce sens qu’aucune grâce ne lui était nécessaire pour le délivrer de l’esclavage. Au contraire, l’homme déchu est esclave du péché : avec la seule grâce qui suffisait à Adam innocent, il ne saurait agir, pas plus qu’un œil malade ne saurait voir avec la seule lumière ; il faut une grâce plus forte qui le délivre d’abord, comme il faut à l’œil malade un collyre qui le guérisse. Nous ne sommes pas seulement privés de lumière et de forces pour le bien ; nous sommes aveugles. Or l’aveugle a besoin non pas de la lumière qui lui serait inutile, mais de la guérison. Par suite, le secours qui suffisait â Adam innocent est complètement inutile ; il faut d’abord gw’rir notre aveuglement par la grâce de Jésus-Christ. Il faut donc distinguer deux états : l’état d’innocence où la volonté parfaitement équilibrée peut se porter où elle veut ; l’état de péché où la volonté est entraînée par le poids de la concupiscence et de la délectation qui l’enchaîne.

Dans ce dernier état, la volonté est liée par la concupiscence au point qu’elle ne peut ni vouloir ni faire le bien ; elle ne peut que se tourner vers le mal ; elle est esclave du péché et l’indifférence primitive entre le bien et le mal a été perdue. Il n’y a, en effet, que deux amours : l’amour de Dieu et l’amour des créatures ; il faut absolument que le cœur de l’homme soit possédé de l’un ou de l’autre ; aussi, tant que l’amour de Dieu, souverain Bien, n’est pas dans l’âme, celle-ci demeure engagée dans l’amour de soi et de la créature. Saint Augustin enseigne cette doctrine, non point comme son opinion personnelle, mais comme le fondement inébranlable de la foi chrétienne etde toute l’économie surnaturelle de la grâce, c. n.

Cette thèse est affirmée maintes et maintes fois, sexcentis loris, par le grand docteur : la volonté, autrefois libre, est devenue esclave et captive et, dans cette captivité, elle ne peut, d’aucune manière par ses propres forces, briser les liens qui l’enchaînent et respirer en liberté ; elle ne peut s’arracher aux désirs et aux affections du péché, c. ni. La concupiscence domine la volonté qui ne peut se soustraire à cette domination, laquelle s’oppose directement à la liberté du bien ; la volonté est également dominée par la tyrannie du démon, prince du monde, en sorte que, si Dieu le permettait, le démon, par le moyen de la concupiscence, ferait de nous ce qu’il voudrait ; mais Dieu réfrène sa tyrannie et lui interdit de nous traiter comme nous traitons les animaux qui nous appartiennent, c. iv. Le péché originel a fait perdre à l’homme la liberté pour le bien, mais non la liberté pour le mal ; le péché règne dans notre corps et le péché victorieux entraîne notre âme, car notre nature est blessée et nos forces sont perdues : l’ignorance et la concupiscence dominent. Saint Augustin appelle souvent cette dernière « difficulté » difficultas ; il parle de serf arbitre, servurn arbitrium, serva voluntas ; ces mots mal interprètes par Luther se trouvent très certainement chez saint Augustin ; mais il emploie ailleurs des termes qui expriment mieux sa pensée, arbitrium liberum juslitiæ, peccati autem seruuni. Jansénius reprend ici la distinction augustinienne des quatre états : avant la loi, la volonté est complètement esclave de la concupiscence ; sous la loi, l’homme connaît la loi, mais ne peut résister aux mouvements de la concupiscence ; sous la grâce et dans la paix ; l’homme est délivré de l’empire de la concupiscence par la grâce : ou bien, il combat contre la concupiscence et il en triomphe, ou bien, il est débarrassé de la concupiscence dans la souveraine béatitude. Dans le premier état, nous suivons, sequimur, la concupiscence ; dans le second, nous sommes entraînés par elle, trahimur ; dans le troisième, nous ne la suivons pas et nous ne sommes pas entraînés par elle, nec sequimur, nec traliinmr ; dans le quatrième, la concupiscence n’est plus, in pacc, nulla concupiscenlia. .. ANTE LEQEii, non pugnamus sed etiam approbamus peccata ; s un LEQE, pugnamus sed superamur. Le premier état s’étend de la chute d’Adam jusqu’à Moïse et est caractérisé par une ignorance profonde ; le second va de Moïse à Jésus : la loi supprime l’ignorance, mais ne donne aucune force pour vaincre la concupiscence ; le troisième est l’état actuel de l’homme : la grâce de Jésus-Christ le délivre et le fait triompher de la concupiscence ; enfin le quatrième état vient après l’épreuve de cette vie : c’est l’épanouissement de la grâce, qui produit la liberté parfaite avec la destruction radicale de la concupiscence. Psychologiquement, ces quatre états se rencontrent aussi dans chaque homme en particulier.

Dans les deux premiers états, il n’y a aucune liberté possible pour le bien ; car, dans le premier, l’ignorance complète désapprouve le bien et approuve le mal ; dans le second, l’ignorance est dissipée, mais la