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369 JANSÉNISME, L’A L GUSTINUS, T. II. ÉTAT DE l’URE NATURE 370

même, comme le pense Vasques, ni la volonté de faire une œuvre moralement bonne dans toutes ses circonstances. Cela est tout à fait étranger à saint Augustin « au vin pur d’Augustin, on a mélangé l’eau des opinions philosophiques. « c. vi.

La justice qui est aimée pour elle-même est inscrite en nos cœurs. Ce n’est point une qualité de notre âme qui nous fait justes, qui naît, se développe et meurt, car une telle qualité est temporelle et changeante, tandis qula justice dont nous parlons est éternelle et immuable. C’est une régie fixe qui brille au sommet de notre esprit, qui n’augmente ni ne diminue et qui sert de norme à toutes nos actions. On appelle justes les actes qui sont conformes à cette règle, c. vu. Cette justice est Dieu même et l’amour de la justice, c’est l’amour de Dieu même ; par elle, nous participons à la justice divine et nous sommes justes dans la mesure où nous aimons et réalisons en nous la justice divine. Qui aime autre chose aime le vice et se détourne du créateur pour se tourner vers la créature, c. VIII.

Cet amour de la justice suppose évidemment la grâce qui nous fait aimer ce qu’il faut faire, amatur quod agendum est. Pour faire le bien, l’âme doit être détournée de l’amour des créatures et de la crainte des châtiments ; or cela n’est possible qu’avec le secours de la grâce, seul lien qui unisse à Dieu, seule force qui puisse conduire à Dieu ; par cette participation à la justice divine, l’âme devient sainte, vraie, juste. Voilà la pure doctrine de saint Augustin. Si quelque péripatéticlen ne comprend pas, il n’a qu’à prier Dieu pour qu’il lui donne l’intelligence, si quis eorum (peripaleticorum ) non intelligal, oret Deum ut intelligat, c. ix.

Jansénius prend soin d’ajouter que, d’après saint Augustin, cet amour de la justice ne saurait être naturel, car un amour sincère ne peut venir que de la grâce, sans laquelle l’amour du péché domine dans l’âme, sans laquelle en ne peut avoir que la crainte du mal qui retient l’âme opprimée par le péché. Saint Augustin n’a jamais parlé de l’amour naturel ; pour lui, sans la grâce, on ne peut qu’aimer la créature et s’attacher à elle, c’est-à-dire pécher en violant la loi éternelle, c. x.

c — Par ailleurs, l’amour de Dieu doit être absolument gratuit ; il faut aimer Dieu pour lui-même ; or cet amour suppose une grâce vraie, car l’amour gratuit, chaste, pur, à cause de sa sublimité et de sa pureté parfaite, dépasse toutes les forces de la nature ; cet amour t comme il faut sicut oporlel » sans lequel l’acte est vicié par quelqu’amour de la créature, ne vient que de la grâce, c. xi.

d. — Les réponses de saint Augustin aux attaques des pélagiens confirment cette interprétation de sa doctrine, c. xii.

e. — Jansénius, bien que plein de méfiance pour les philosophes, fait appel à eux : les platoniciens placent la béatitude dans l’amour du souverain Bien qui est Dieu ; la vertu consiste à connaître, à aimer et à imiter Dieu, or tout cela n’est possible que par le secours de Dieu lui-même. Aristote place la béatitude dans la contemplation du souverain Bien ; or, cette contemplation est évidemment au-dessus des forces de la nature, c. xiii.

f. — Enfin Jansénius rappelle que l’amour est le principe de tous nos actes ; cet amour est charité ou cupidité ; pas de milieu ; dans toute action volontaire, l’homme obéit à l’amour de Dieu ou a l’amour des créatures. Or, il n’y a pas d’autre charité que celle qui vient de la grâce et qui suppose la purification del’âme. Comme Dieu ne pouvait mettre, dans le cœur de l’homme, la cupidité, il suit qu’il devait lui donner la charité. Donc encore une fois, l’état de nature pure est impossible,

c. XIV.

L’amour de Dieu est assurément surnaturel, car il ne peut naître de la nature et de nos facultés ; pourtant il est naturel en un certain sens. En effet, la raison, par une lumière toute naturelle, nous apprend que Dieu doit être aimé pour lui-même, par-dessus tout, comme notre souverain Bien ; Dieu étant notre fin naturelle, un appétit naturel nous incline vers lui, quoique cette fin ne puisse être atteinte que par un secours surnaturel, comme saint Thomas l’enseigne positivement dans son commentaire sur le De Trinitate de Boëcc. Malgré tout cependant, Jansénius rejette les thèses de Luther et de Calvin pour qui la justice originelle est naturelle à l’homme, comme « la santé à l’animal et la fraîcheur à l’eau. » La créature raisonnable est d’une condition si noble et si relevée, parce qu’elle est l’image de Dieu, qu’aucun bien autre que Dieu, inférieur à Dieu, ne peut suffire à son bonheur, c. xv.

De tout ceci il faut conclure que l’amour de Dieu est naturel à la créature raisonnable, de sorte que cet amour lui est prescrit par une obligation très naturelle, très étroite, très stricte, bien que celle-ci ne puisse accomplir ce devoir que par un secours surnaturel, par la grâce. Pour saint Augustin, il n’y a pas d’autre amour chaste de Dieu que celui-là même dont Dieu est l’auteur, car, tout autre amour, quelque pur qu’il paraisse, est une invention de la philosophie et du pélagianisme, c. xvi.

L’amour par lequel l’homme adhère à Dieu, est-il dû ou bien est-il un don gratuit ? Grave question, car s’il est dû, comment peut-il être une grâce ? s’il est un don, comment peut-il être dû ? Si Dieu doit donner la charité à la créature innocente, comment cette charité est-elle une vraie grâce ? Si elle est une vraie grâce, comment Dieu peut-il être obligé de nous la donner ? Pour répondre à cette difficulté, Jansénius rappelle d’abord deux principes : L’homme doit aimer Dieu, plus que toutes les créatures et cela par nature, par le fait même qu’il est l’image de Dieu, créée par lui. En second lieu, cet amour, bien que raisonnable et conforme à l’ordre, ne peut être donné que par un bienfait gratuit de Dieu. Ceci dit, Jansénius propose son opinion. Avant le péché, l’homme doit recevoir s in chaste amour de Dieu, sans quoi il serait dispensé d’aimer Dieu ; s’il n’a.vait pas reçu cet amour, il pourrait se détourner de Dieu sans la moindre faute, ou, s’il y avait une faute, elle retomberaittout entière sur le créateur, puisque, sans aucune faute antérieure, l’homme n’aurait pas reçu la grâce, sans laquelle il lui est impossible de se tourner vers Dieu et de lui rester soumis dans l’ordre naturel ; sans cette grâce, l’homme s’éloignerait nécessairement de Dieu. Crealori depulandum quidquid in ejus creatura fieri necesse est. Comment concevoir cet état de nature pure où l’homme, image de Dieu, ne serait pas tenu d’aimer Dieu, où il ne devrait pas rapporter ses actions à Dieu, comme à sa fin dernière, où il ne devrait pas honorer Dieu d’un vrai culte, où il ne serait pas tenu de considérer et d’aimer en toutes ses actions, la vérité, la justice, l’équité, la droiture ? Or, tout cela n’est possible que par l’amour de Dieu, répandu dans les cœurs par le Saint-Esprit. Bref, l’homme ne peut être créé avoir le secours nécessaire et suffisant pour aimer son créateur. Les Bcolastiques modernes, comme Lessius, Bellarmin, Suarez, Vasquez, reconnaissent que, si Dieu ne donnait pas les grâces suffisantes, les hommes ne seraient plus tenus d’observer Us commandements de Dieu ; mais ce n’est pas entendre saint Augustin que d’avoir recours à ces sortes de grâces, C. xvii.

Dieu ne peut refuser à sa créature innocente la grâce di tiour ; cetti grâce est donc due en quel que manière, aliquomodo débitant, non point, a propre ment parler, a la créature elle-même qui n’y a aucun