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tique, moral et eschatologique. De ces ouvrages, principalement de l’évangile et de la première épître, on peut dégager une doctrine homogène, qui se distingue de l’enseignement « les évangiles synoptiques d’une part, de la doctrine de saint Paul d’autre part, et qui d’ailleurs s’y rattache en les complétant l’un et l’autre. Cette doctrine constitue la théologie johannique, dont l’exposé fait l’objet principal du présent article.
Sans doute les problèmes relatifs à l’origine et au caractère des écrits johanniques intéressent l’historien de la pensée chrétienne plus que le théologien, car la solution qu’on apporte à ces problèmes influe peu sur la détermination du contenu doctrinal de ces livres, dont, quel qu’en soit l’auteur, la valeur théologique est garantie pour le croyant par l’inspiration. Néanmoins il n’est pas indifférent pour une exacte interprétation de la pensée johannique de savoir si le quatrième évangile a pour auteur un apôtre, un des plus intimes témoins de la vie de Jésus, ou bien un chrétien de la seconde ou de la troisième génération, écrivant plus d’un siècle après la naissance du Christ, et exprimant sa foi en une doctrine élaborée sous l’influence prépondérante de la philosophie et du mysticisme helléniques. Par ailleurs la portée apologétique et dogma tique des faits racontés dans le quatrième évangile est bien différente selon qu’on attribue ces récits à un apôtre dont le témoignage en garantit la réalité historique, ou qu’on les tient pour des compositions fictives et allégoriques destinées simplement à illustrer une idée théologique. Et, de même, la doctrine contenue dans les discours que le quatrième évangile place dans la bouche de Jésus a une valeur tout autre, si ces discours sont la reproduction fidèle, quant au fond tout au moins, des paroles du Christ, ou si, composés librement par l’évangéliste, ils expriment simplement ses propres conceptions théologiques.
Il importe donc — sans entreprendre la discussion détaillée des problèmes critiques que soulève la composition des écrits johanniques, ce qui serait sortir du cadre d’un Dictionnaire de théologie, — de préciser ce que nous pouvons savoir, dans l’état actuel de la science historique, sur l’origine et le caractère du quatrième évangile et des épîtres. — L’Apocalyse a été étudiée entièrement, t. i, col. l 163-1 179.
Nous étudierons successivement
1o L’origine et le
caractère du quatrième évangile ;
2o La doctrine du
quatrième évangile (col. 559) ;
3o Les trois épîtres
johanniques (col. 584).
I. ORIGINE ET CARACTÈRE DU QUATRIÈME ÉVANGILE. —
I. Le quatrième évangile et la critique.
II. Le quatrième évangile et la tradition
(col. 542).
III. L’auteur du quatrième évangile
d’après les données intrinsèques (col. 549).
IV. Conclusion
(col. 559)).
I. Le quatrième évangile et la critique. —
Quelque diverses que soient les opinions qui ont été soutenues sur la question johannique, on peut ramener à trois groupes principaux les auteurs qui les ont émises : d’une part les exégètes et critiques qui, fidèles à la tradition, admettent l’attribution à saint Jean et l’historicité du quatrième évangile ; d’autre part les critiques radicaux qui n’admettent aucun rapport entre le quatrième évangile et saint Jean et lui refusent toute valeur historique ; enfin, entre ces deux opinions totalement opposées, les systèmes très variés de ceux qui, tout en rejetant l’authenticité de l’évangile, lui maintiennent quelque relation avec un disciple immédiat de Jésus et une certaine mesure tout au moins d’historicité,
1o La thèse traditionnelle.
Elle est défendue naturellement
par les exégètes catholiques, mais aussi par
un certain nombre de critiques non catholiques appartenant
pour la plupart à l’anglicanisme. Un décret de
la Commission pontificale De re biblica, rendu le
29 mai 1907, en donne la formule autorisée. Cette
décision porte sur deux points : l’authenticité et
l’historicité du quatrième évangile :
1. la tradition
constante, universelle et solennelle, qui attribue le quatrième
évangile à l’apôtre Jean, tradition qui existe
dans l’Église depuis le IIe siècle, constitue, abstraction
faite de l’argument théologique, un argument historique
si solide que les raisons apportées à rencontre
par les critiques n’infirment en rien cette tradition. —
2. Cette tradition est confirmée par les arguments
intrinsèques que fournit le quatrième évangile lui-même
et la première épître de saint Jean. D’autre part
les divergences entre cet évangile et les trois autres
peuvent être expliquées raisonnablement, si l’on tient
compte de la diversité de l’époque, du but. et des auditeurs
pour ou contre lesquels l’auteur a écrit. —
3. Malgré
le caractère particulier du quatrième évangile et
l’intention manifeste de l’auteur de prouver et de
défendre la divinité de Jésus-Christ, on ne doit pas
s’écarter de la pratique constante de l’Église, qui s’est
toujours appuyée sur cet évangile comme sur un document
proprement historique ; il n’y a donc pas lieu
de supposer que les faits qui y sont rapportés auraient
été inventés en tout ou en partie, en manière d’allégories
ou symboles doctrinaux, ou que les discours
attribués au Seigneur ne seraient pas proprement et
véritablement des discours du Seigneur, mais, quoique
mis dans la bouche du Seigneur, de simples compositions
théologiques de l’écrivain. Texte latin dans Denzinger-Bannwart,
Enchiridion, n. 2110 ; Cavallera.
Thésaurus, n. 114 ; texte latin et traduction intégrale
dans Jacquier, Études de critique et de philologie du
N. T., Paris, 1920, p. 1 17.
Cette décision n’oblige pas les exégètes catholiques à attribuer au quatrième évangile absolument le même genre d’historicité qu’aux synoptiques, et un certain nombre, d’entre eux, parmi lesquels le P. Calmes, L’Évangile selon saint Jean, Paris, 1904 ; M. Lepin, La valeur historique du quatrième évangile, Paris, 1910 ; le P. Lebreton, Les origines du dogme de la Trinité, 4e édit., Paris, 1920 ; le P. de Grandmaison, Dictionnaire apologétique de la foi catholique, art. JÉSUS-Christ, sont disposés à faire une part plus ou moins large au symbolisme dans le choix et la disposition des matériaux utilisés par l’évangéliste, et à admettre que. dans la forme tout au moins, les discours mis dans la bouche de Jésus portent beaucoup plus que ceux qui figurent dans les synoptiques l’empreinte personnelle de l’écrivain.
Les critiques non catholiques qui maintiennent l’authenticité et l’historicité substantielle du quatrième évangile entendent souvent cette historicité d’une façon encore beaucoup plus large. Si des critiques comme Zalm, Dos l’evangelium des Johannes, Leipzig, 1907 ; Drummond, The character and authorship of the jourth Gospel, London, 1903 ; Reynolds, Dietionary of the Bible d’Hastings, art. Gospel oj John et Sanday, The criticism of the jourth Gospel, Oxford, 1905, ne s’écartent pas beaucoup sur ce point des positions que tiennent les catholiques, B. W’eiss. Evangelium Johannis, Goettingue, 1902, et Dus Johanneseoangeltum </L>> einheitliches Werk, geschichllich crldart, Berlin, 1912, par exemple, tout en défendant solidement faut lient icilé jnlinmiique du quatrième évangile, refuse toute valeur historique à certains récits, et dans les discours dislingue, à côté d’un courant d’idées qui viendrait de Jésus, un autre courant qui serait de saint Jean. Par contre, il y a des exégètes de tendance conservatrice, connue M. Stanton, The Gospels us historical documents, part. 3, Cambridge,